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« L’ENTRETIEN DANS TOUS SES ETATS » AVEC MAITRE JEAN-YVES MOYART DANS L’OMBRE D’UN REGARD UNIQUE SIMPLICITE, PRAGMATISME, HUMANISME

     Maître Jean-Yves Moyart est un célèbre avocat pénaliste du Barreau de Lille. Adoubé du surnom de Maître « Mô » en raison notamment de son amour pour les lettres et de son art de l’éloquence, cet avocat engagé est, par ailleurs, l’auteur du blog de chronique judiciaire du même qualificatif (« Maître Mô »), pseudonyme sous lequel il publie son ouvrage Au guet-apens qui sera réédité par la suite en version de poche. Invité dans le cadre de la Conférence portant sur la « Médiatisation de la Justice », l’avocat nous livre sa vision, son ressenti et ses constations sur ce qui constitue, de nos jours, un réel problème de société. Dans cet entretien, Maître Mô insiste notamment sur le fait que la surmédiatisation, non pas de la « justice » mais des « affaires judiciaires », « est une problématique importante qui doit être abordée » […] car, « par de telles pratiques, l’on alimente la peur des personnes et subséquemment l’on alimente leur haine […] je ne considère pas que l’opinion publique s’auto-génère et, bien souvent, lorsque l’on soumet à cette dernière la Justice, la vraie, les choses ne paraissent plus si évidentes, si aisées […] La compréhension est la clef en justice ».

 

Le Décodé : Maître Moyart, pourquoi avez-vous choisi la profession d’avocat et plus précisément celle d’avocat pénaliste ?

     Maître : Au départ, je me destinais à une carrière journalistique en raison notamment de mon amour pour les lettres, mon entrée en faculté de droit fut de l’ordre de la curiosité, du hasard, je voulais voir à quoi cette filière coïncidait. Néanmoins, très tôt, la découverte des « voix » proposées par celle-ci, et plus particulièrement, la découverte du droit pénal a été une véritable révélation. J’ai su, à cet instant, que je souhaitais non seulement devenir avocat, mais surtout, avocat pénaliste. D’ailleurs, les apports liés à l’exercice de cette profession sur ma personne, sur ma vision des autres et sur ma perception de la société me confortent au quotidien dans l’idée que mon choix fut le bon.

 

Quelles sont, selon-vous, Maître, les valeurs d’un bon avocat ? 

C’est une question profonde il est vrai, mais, à cela, je répondrais que ce sont incontestablement celles énoncées dans le serment d’avocat. En effet, ce dernier, outre le fait d’être résolument beau, est, à mon sens, pleinement révélateur de la mission qu’est la nôtre dans l’exercice de notre profession. Personnellement, je n’oublierai jamais le jour où j’ai prêté serment car ces mots forts et lourds de sens « Je jure, comme avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité », prônés par cet acte solennel, constituent un ferment essentiel devant guider tout avocat dans les fonctions, les positions et les responsabilités qui sont les siennes.

 

Vous avez, il y’a deux ans, ouvert un blog et vous êtes aujourd’hui auteur d’un ouvrage « Au Guet-apens ». Dites-nous, Maître, quelles sont les raisons ayant conduit à l’ouverture de ce blog et à l’écriture de cette œuvre ?

Premièrement, le chainon principal de ma démarche fut cette volonté de montrer la justice autrement, de faire transparaitre ses subtilités, les réalités relatives à son fonctionnement, à ses décisions habituellement ignorées du grand public dont la perception à l’égard de son institution régalienne est, de nos jours, faussée par une médiatisation des affaires judiciaires manquant bien souvent de neutralité, de pédagogie et de pragmatisme. En ce sens, j’ai voulu mettre en place une « médiatisation de la justice » et non une médiatisation des affaires judiciaire, la nuance est subtile mais extrêmement importante. La première a pour but de permettre une compréhension de l’appareil judiciaire, de son fonctionnement, afin justement de contrecarrer la seconde qui, malheureusement, avec la médiatisation actuelle, s’effectue dans une recherche perpétuelle du sensationnel. La première a pour but de donner, de façon neutre, une vue d’ensemble sur la justice afin de briser certaines idées reçues, et par extension, de donner la possibilité à chacun de se forger sa propre opinion. La seconde, à mon sens, est une approche beaucoup moins générale, plus ciblée et extrêmement orientée. Cela entraine des réactions tout aussi extrêmes que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans la société en général. À cet effet, cette entreprise de « compréhension » avait pour objectif de montrer la justice sous sa forme authentique pour permettre aux personnes de mieux la concevoir. Pour cela, au travers de mon blog, je me suis servi volontiers des réseaux sociaux qui, utilisés à bon escient, peuvent constituer un véritable outil de vulgarisation de la bonne information tout en conférant un espace de débat et de sensibilisation ouvert à tous.

Deuxièmement, cette initiative avait pour but d’apporter un éclairage sur les réalités et le sens de ma profession. En effet, l’avocat pénaliste est tout sauf « un gros type, avec des bagouses pleins les bras, qui arrive à une audience exclusivement s’il est payé, et lourdement payé, pour à tout prix faire acquitter le pire des salopards moyennant un moyen de procédure », pour résumer ce qui est encore l’opinion publique majoritaire en la matière. Il y’en a quelques-uns à peu près comme cela. Pas gros, mais pour le reste oui. Toutefois, ce n’est évidemment pas le cas de la majorité des avocats pénalistes et encore moins le substrat de notre travail. Il était nécessaire de donner une représentation exacte de notre rôle, par exemple, informer les personnes que, dans 90% des dossiers, la culpabilité ne se discute même pas, soit elle est reconnue, soit elle est établie. En conséquence, il n’y a généralement pas d’acquittement ou de relaxe à plaider quand on est devant le tribunal correctionnel. Le travail de l’avocat est un travail d’accompagnement, d’explication pour arriver à une chose qui se fait bien souvent dans la douleur, à savoir : soit humaniser la personne, la remettre dans l’humanité, permettant ainsi aux jurés de juger non seulement les faits mais aussi l’homme, ce qui est le fondamental en justice ; soit aboutir à une juste peine en permettant, là aussi, aux jurés d’avoir une connaissance globale, non seulement de l’acte, mais des éléments d’ensemble (vie, histoire, personnalité…) des différentes parties au procès, y compris du criminel. D’où l’importance de ce travail d’accompagnement et d’explication de l’avocat.

Voici les motivations qui ont conduit à la création de mon blog et à l’écriture de mon livre, ces dernières peuvent se résumer en une affirmation : « donner à voir la justice, la vraie, afin de sensibiliser sur les réalités judiciaires, les difficultés liées au jugement parce que, dans ce domaine, les choses ne sont jamais si évidentes »

 

Quelles sont les aspects de votre profession qui vous passionnent ?

Tout d’abord, je dirais la liberté. La liberté de défendre ou de ne pas défendre, la liberté dans l’approche que l’on a d’une affaire et dans la manière de la présenter au mieux afin d’éclairer, d’amener, par un travail des fois rétrospectif de la vie de son client, à une compréhension de la personne que l’auditoire, les jurés, le tribunal a en face de lui. J’apprécie aussi l’idée, et c’est l’un des rôles importants de l’avocat à mon avis, de faire un véritable travail d’accompagnement de sa/son client(e), d’être « tout à côté du bonhomme », tout prêt, car, dans la plupart des cas, ce ne sont pas que des criminels qui comparaissent, pour certains, ce sont des personnes dont les situations de départ, les parcours, les circonstances n’ont pas toujours été favorables, et pour d’autres, bien qu’auteurs de faits affreux (dans le cas de crimes sexuels par exemple), se sont bien souvent le fruit d’événements particuliers, d’existences particulières ayant forgé l’être qu’ils sont devenus. Il faut bien se rendre compte que, dans la réalité d’une affaire judiciaire, tout n’est jamais noir ou blanc et c’est d’ailleurs pour cela que j’admire, que je prône, ce travail d’accompagnement et d’explication que l’on opère. Suivant cette logique, j’aime assez l’idée d’être un canal de défense des réprouvés, de prêter ce que l’on a d’acquis en tant qu’avocat au profit de personnes dont le caractère d’humain, au sens d’histoire, de vie, de parcours est souvent ignoré. C’est à mes yeux un des points essentiels de ma fonction, à savoir, mener ce travail de réflexion qui permet de se recentrer sur l’individu dans le but de faire transparaitre cette part d’humanité qui, je le pense, réside en tout homme et qui est si fréquemment écarté dans les débats publics. Enfin, la proximité avec ces histoires, ces faits, ces vies vous font réaliser pleinement la chance qui est la vôtre. Pour ma part, je me considère fortement chanceux de la vie et des acquis qui sont les miens. Vous savez, cela fait vingt-six ans que j’arpente les murs de prisons (pour de bonnes raisons, je précise) et croyez-moi, après chaque visite, après chaque voyage dans les méandres de ces couloirs à l’atmosphère si particulière, si pesante, si oppressante (parce que c’est cela les prisons) revoir la lumière du « monde » est un ravissement unique qui vous fait prendre conscience de votre chance.

 

Êtes-vous fidèle à votre réputation ? Êtes-vous humaniste ? 

En ce qui me concerne, je considère que dans n’importe quelle personne se cache un trésor d’humanité. Il faut comprendre une chose essentielle : l’Homme est capable de tout, de bonnes choses comme de mauvaises. Je pars toujours de cette conception dans mon approche des individus, par conséquent, je cherche avant tout à comprendre l’Homme et par extension comprendre ses actions, ses réactions et, chez certains, leur inaction. Je recherche donc l’humain. Pour autant, il ne faut aucunement dissocier mon approche du pragmatisme qui doit être la sienne. En effet, cette dernière ne consiste nullement à éluder les actes répréhensibles de l’individu, en particulier, lorsque qu’ils sont avérés. Ma démarche a pour objectif de comprendre et « de faire comprendre » ces personnes qui, bien qu’étant des monstres pour certains, restent des monstres terriblement humains. Ainsi, en comprenant l’on peut efficacement se prémunir.

 

Pensez-vous que l’on murit en exerçant, en côtoyant et en évoluant dans la profession qu’est la vôtre ?

Oui, l’on murit car l’on apprend à mieux appréhender l’Homme et à réaliser la valeur de la situation souvent favorable qu’est la nôtre. Vous savez, dans ce métier nous sommes amenés à défendre des personnes qui, des fois, n’ont pas le verbe, la culture, l’éducation pour le faire et nous, nous faisons le canal de défense de ces mal lotis du sort. De même, dans le cadre de certaines affaires assez médiatisées, j’ai eu à défendre des personnes qui, pour le coup, avaient réellement commis des actes odieux. Pour autant, même en de telles circonstances, il m’est arrivé d’assister à de véritables scènes d’humanité aussi bien de la part de l’auditoire, des victimes, des jurés, mais surtout, des accusés. Lorsque l’on vous présente un homme comme étant un monstre sans âme et qu’au final, lors du déroulement des plaidoyers, des interventions et des témoins, en retraçant le fil de sa vie, l’on s’aperçoit des subtilités de celle-ci, du fait, par exemple, que ce dernier ait manqué d’amour, ait subi des sévices (souvent violentes et cruelles), ait subi des rejets perpétuels et brutaux... éléments qui, pris dans leur ensemble, ont façonné l’être qu’il est devenu, l’on arrive à comprendre l’individu qui se tient devant nous. La compréhension est, à mon sens, la clef en matière de justice pace que, d’une part, elle permet de prendre en compte « l’humain » dans les décisions judiciaires et parce que, d’autre part, elle confère aux victimes, ou à leurs proches, les clefs permettant de saisir les raisons ayant causé le drame qui les accable. Savoir pourquoi l’individu a agi de cette manière peut aider, croyez-en mon expérience.

Pour en donner une illustration, au regard de mon expérience personnelle, j’ai eu à défendre un individu dont les rapports avec ses deux filles furent peu conventionnels au sens où cela résultait de crimes sexuels, domaine dans lequel j’ai acquis une certaine expérience. Toutefois, en faisant la diachronie de la vie de ce père, une chose apparaissait de façon criante : ce dernier fut un homme peu aimé, effacé, dont la docilité et la faible prestance eurent fortement surpris l’auditoire en raison du fait que cela contrastait grandement avec l’image du criminel que l’on peignait avant le procès. Il fut, durant toute sa vie, rejeté, humilié et descendu plus bas que terre par des compagnes, des proches, des amis. D’ailleurs, sa mère, à qui j’ai demandé, devant la Cour, l’évocation d’un seul souvenir de tendresse à l’égard de son enfant (anniversaire, voyage ou autre) n’a pu satisfaire à ma demande. Il devient compréhensible (mais non excusable) qu’au regard de ce mépris, de ce rejet perpétuel, cet individu ait cru bon se tourner vers les deux êtres qui n’ont jamais exprimé de tels ressentiments à son égard, ses filles. Que l’on soit claire, je ne tolère en rien ces agissements, néanmoins, et bien que son acte soit différent du sens que nous donnons à des rapports père/fille, ce dernier aimait ses enfants et assumait pleinement son rôle de père. Ces éléments ne rendent aucunement irresponsable l’individu, cependant, ils permettent de cerner ce dernier, de le comprendre, d’appréhender l’homme se tenant devant nous. Voilà pourquoi je considère que l’on murit énormément dans l’exercice de cette profession, avocats, jurés, magistrats ; quelles que soient nos valeurs, nos principes, notre conception de la justice, confronté à de telles affaires, notre regard sur le monde et sur les individus est inévitablement impacté.

 

Justement, Maître, à l’occasion de la conférence sur « la médiatisation de la Justice » durant laquelle vous interviendrez, comment jugez-vous l’activité médiatique au regard des multiples affaires judiciaires survenues récemment ?

Je dirais pour ma part que les médias s’accroissent. Les chaînes d’information en continue, BFM en tête, sont entrées dans une forme de « marchandising » de l’information, qui est une démarche à laquelle je n’adhère pas. Nous l’avons vu sur de nombreuses affaires, la médiatisation de ces dernières s’est effectuée dans une optique beaucoup plus vendeuse que pragmatique et impartiale. L’on ne suit pas l’affaire dans le fond, et surtout, jusqu’à son aboutissement. Au contraire, l’on retire de celle-ci les substances aptes à choquer, à défrayer la chronique, tout en laissant sur le bas-côté les éléments de fond, de forme, qui permettent de concevoir la complexité réelle de la situation. Dans cette démarche, l’on ne peut conférer au grand public la possibilité de saisir toute la difficulté d’un jugement ; il y’a donc une surenchère de la médiatisation, il faut constamment donner du grain à moudre. Ce marchandising se répercute très vite sur les réseaux sociaux dont, malheureusement, l’une des particularités actuelles est d’être un espace dans lequel tout le monde juge et où certains commentaires, difficiles à tenir sur la scène publique, telle que la promotion de la peine de mort pour les criminels sexuels, sont véhiculés de façon systématique. Par de telles pratiques, l’on alimente la peur des personnes et subséquemment l’on alimente leur haine, c’est là une véritable difficulté. Cette surmédicalisation des affaires, qui est une problématique extrêmement importante, doit être abordée. Personnellement, je ne considère pas que l’opinion publique s’auto-génère et, bien souvent, lorsque l’on soumet à cette dernière la Justice, la vraie, les choses ne paraissent plus si évidentes, si aisées, si tranchées. Dans une telle situation, même les familles de victimes sont capables de modération, sont capables de retenue, sont capables d’entendre une décision de justice, et, c’est finalement cet aspect essentiel que l’on supprime avec ces boucles qui ne concentrent l’attention du grand public, la plupart du temps, que sur les aspects sensationnels des affaires, renforçant par la même occasion la rupture de l’hyménée entre le grand nombre et sa justice. C’est à mon sens un premier dévoiement des médias actuels.

Ensuite, il faut notifier que dans le cadre d’une Cour d’assises, bien qu’ils soient d’ordre réduit, il existe des acquittements. Cependant, avec la médiatisation actuelle des affaires judiciaires, ces personnes, pourtant présumées innocentes selon le droit, sont coupables d’avance et, pour la plupart, le restent toute leur vie même après que toutes charges aient été abandonnées. Si demain vous êtes soupçonné d’avoir agressé sexuellement une étudiante et que l’affaire est médiatisée, bien que présumé innocent, votre travail, votre famille, votre vie en générale en seront gravement impacté en raison notamment du battage médiatique suscité par l’affaire. Très tôt, ce qui est une conséquence directe du climat actuel, aux yeux de tous, vous serez jeté sur la place publique en qualité de « monstre ». A contrario, ce qui est tout autant déplorable, la médiatisation des acquittements, des non-lieux, des mises hors de cause, elle, ne fait pas l’objet du même battage médiatique, mais ne comporte des fois que trois ou quatre lignes dans un magazine. Cette démarche profondément pernicieuse rejoint ce marchandising de l’information ; car, sauf pour évoquer le laxisme de la justice, les acquittements sont beaucoup moins vendeurs. En conséquence, pour en revenir à l’exemple de l’étudiant, même en cas de cessation de toutes poursuites, le mal sera fait et bien fait au sens que, pour ce dernier, le dénouement de l’affaire aura suscité moins d’engouement médiatique que son commencement. L’on se relève difficilement de cela !

Aussi, l’autre conséquence de cette hypermédiatisation est liée, sans doute, aux multiples divulgations des secrets d’enquête devenues, de nos jours, monnaie courante. Je pense que les limites de l’information devraient se heurter au secret de la procédure. La démarche actuelle constitue, de ce fait, un dévoiement de tout ce qui fait nos principes judiciaires, ce qui est extrêmement dangereux. Dans le cadre de l’affaire de Wambrechies, à partir du moment où certains détails ont été révélés par la presse, le soir-même, la femme de l’agresseur présumé, mère de deux enfants, a reçu, à son domicile, plusieurs jets de projectiles qui auraient pu porter atteinte, non seulement à sa vie, mais aussi à celles de ses enfants et cela malgré le fait qu’il n’ait nullement été prouvé que cette dernière fut au courant des agissements de son conjoint. Voyez que la médiatisation extrême pousse à des réactions extrêmes ; par conséquent, le secret en matière de justice, étant si primordial (au sens qu’il protège à la fois l’enquête, les présumés innocents, les victimes présumées et les collatéraux), doit être préservé. Par ailleurs, notre profession, elle aussi, fait les frais de cette pression médiatique ambiante. Dans certaines affaires, à l’instar de l’affaire Jonathan Daval, plusieurs règles de procédure n’ont pas été suivies, notamment la divulgation par les avocats de la défense de leur entretien avec le client, ainsi que de ses aveux, ce qui est une démarche profondément néfaste dans la mesure où les conciliabules entre avocat et client doivent faire l’objet d’un secret absolu. Cela montre une des conséquences notoires des pratiques médiatiques actuelles sur l’exercice de notre vocation : nous sommes désormais contraints de défendre et de nous défendre à tous les niveaux, y compris à un niveau où nous ne devrions pas le faire, à savoir, celui de l’hypermédiatisation. Ce qui peut s’avérer être un véritable guet-apens, même pour les plus rompus en la matière.

 

Pensez-vous que la justice soit impactée par cette surmédiatisation ?

Je pense que la justice résiste. À ce titre, les magistrats ont toute mon admiration précisément parce qu’ils résistent encore actuellement. Cette dérive médiatique n’atteint pas les tribunaux au sens où les peines ne sont pas devenues totalement délirantes dans ces domaines, il y’a encore un équilibre et je m’en félicite. D’ailleurs, c’est l’hommage que leur rendait l’avocat Dupont Moretti dans le cadre de l’affaire du frère Merah dont la décision a rappelé que le mis en cause n’était pas là au moment des faits et que, par conséquent, l’on ne pouvait satisfaire les victimes en le condamnant à la totale alors qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments. Ce fut un jugement réaliste et courageux.

 

La justice de nos jours est beaucoup décriée, certains la qualifie d’insuffisante, de laxiste, d’aucuns disent qu’elle est trop lente ou pas assez ferme. Selon vous, Maître, ces critiques sont-elles méritées ? Quels sont les points à améliorer dans le système judiciaire actuel et plus précisément dans le domaine pénal, qui est votre secteur de prédilection ? Plus encore, peut-on dire que la justice française est équitable ?

C’est une vaste question pour le coup. Je pense premièrement que tout est perfectible, en particulier, la justice des Hommes parce que, justement, elle est rendue par des Hommes. Toutefois, le fait qu’elle soit rendue par des Hommes est, à mon sens, une bonne chose car ces derniers s’adaptent aux personnes qu’ils ont en face d’eux. Ainsi, je trouve que la proposition de réforme récente, effectuée par la Ministre de la Justice, Madame Belloubet, consistant à transformer certaines cours d’assises en tribunaux criminels, c’est-à-dire, en tribunaux sans jurés, constitue une erreur fondamentale. Il est très important d’avoir des jurés, des personnes comme vous et moi sorties de nulle part et qui n’ont rien à voir avec la justice afin qu’ils se forgent une opinion, découvrent et assimilent les réalités judiciaires. À de nombreuses reprises, des membres d’associations d’anciens jurés m’ont confié qu’ils arrivaient, au début de la procédure, avec énormément d’a priori, avec des idées de vengeance sociale, mais, qu’ils en ressortaient enrichis d’idées nouvelles, enrichis de perceptions beaucoup plus humanistes, enrichis d’un regard réellement nouveau.

Par contre, je pense bien évidemment que la justice peut s’améliorer, en particulier, dans des domaines assez techniques. Nous avons, à titre d’exemple, un retard conséquent sur l’utilisation du numérique en droit pénal : les avocats devraient pouvoir accéder au dossier à distance et les magistrats devraient pouvoir communiquer plus facilement entre eux. Il y’a plein de choses très matérielles à améliorer qui peuvent l’être à moindre coût bien qu’il se pose, là encore, des questions budgétaires.

Par ailleurs, je pense aussi que la justice, pour faire face aux critiques récurrentes, doit s’ouvrir d’avantage au grand public en effectuant une forme de pédagogie de son fonctionnement de sorte que l’opinion puisse saisir au mieux les réalités liées à son action, notamment, sur des points qui font polémique. Par exemple, il faudrait, concernant les procès en cour d’assises, informer, sensibiliser le grand nombre sur l’utilité et l’importance de la lenteur judiciaire fréquemment invectivée. En effet, juger dans les deux semaines, l’auteur d’un crime sur une gamine, comme malheureusement l’actualité nous en a donné l’illustration récemment, serait une véritable boucherie, un lynchage collectif, un raz-de-marée médiatique face auquel les juges auraient bien du mal à faire face. J’ai très souvent eu l’opportunité de défendre des familles de victimes et il y’a de l’apaisement au travers de la lenteur judiciaire. D’ailleurs, si vous observez bien, il y’a très peu d’incidents aux audiences d’assises alors que se côtoient, dans la même salle, familles de victimes et auteur des faits, ce qui est terrible comme confrontation. Pour autant, avec le temps qui s’est écoulé, il y’a une forme d’apaisement, pas de pardon, il ne s’agit pas de cela, mais il n’y a plus cette haine des premiers jours, des premières semaines, des premiers mois. L’on a appris, l’on a commencé à faire face au chagrin, l’on a peut-être découvert des éléments nouveaux sur l’auteur du crime, il ne faut pas croire que les familles des victimes sont totalement dans la répression ou dans la vengeance, elles sont au contraire accessibles. De plus, le fait de comprendre les raisons ayant provoqué le drame peut les rassurer, peut les aider à faire leur deuil, elles peuvent désormais se dire : « Notre enfant a subi cela d’accord, mais je comprends mieux pourquoi ». La compréhension est la clef en justice et je ne le répèterai jamais assez ; un délinquant qui comprend sa peine n’en fait pas appel, une partie civile qui comprend la peine est satisfaite. Croyez-moi, le fait qu’une partie civile puisse intégrer les raisons ayant conduit au passage à l’acte du délinquant est une notion essentielle qui permet bien souvent de faire face à la tragédie. Voyez donc qu’il ne faut pas se précipiter en matière de justice (particulièrement en matière de justice criminelle), les enquêtes sont longues parce que, précisément, l’on juge l’homme. Si nous nous contentions de découvrir un cadavre dans des circonstances atroces, de retrouver l’auteur du crime puis, dans la foulée, procéder à son jugement, nous n’aurions rien compris, nous n’aurions pas solutionné la chose. Or, si l’on investigue sur ce dernier, sur sa personnalité, sur sa vie en général, sur celle de la victime, là, nous nous serions donné les moyens de juger le plus complétement, le plus efficacement possible ; tout en nous conférant la possibilité de prévenir les futurs drames de la même essence. Vous savez, la justice n’est pas une startup, l’on ne produit pas « des patates », bien au contraire, l’on produit des jugements fondamentaux pour la vie des personnes. Cela prend un certain temps il est vrai ; néanmoins, une telle démarche est nécessaire parce qu’il faut se donner les moyens de juger efficacement.

Pour terminer, je pense qu’il est essentiel de voir les choses autrement, d’apprendre de nos erreurs et remédier aux pratiques qui ont vraisemblablement montré leurs limites. À ce titre, je suis favorable au fait de revoir notre système carcéral, je ne pense pas que l’enfermement pur et simple, c’est-à-dire couper totalement les individus du monde extérieur puis les relâcher dans la nature une fois leurs peines exécutées, soit la solution, loin de là. Il faudrait, à mon sens, renforcer notre système de réinsertion, notamment, la réinsertion par le travail. Il faudrait se pencher sur la discrimination opérée par les entreprises au regard des anciens détenus (car ceux-ci sont souvent stigmatisés et cela peu importe leurs origines sociales). Il faudrait expérimenter d’autres méthodes d’incarcération à l’instar de celle mise en œuvre dans la prison Corse de Borgo où les détenus travaillent pour la collectivité, dans des champs, sans autres habitations aux alentours, système qui fonctionne plutôt bien et peut, à mon sens, être généralisé.

 

Maître, eu égard aux multiples événements et aux particularités de notre époque, est-ce que vous croyez en l’avenir de cette justice et en sa capacité à faire face aux défis qui l’attendent ?

Oui, personnellement, je pense que les gens apprennent. Bien qu’il soit vrai qu’ils soient tous les jours fournis en scandale, je suis persuadé que de plus en plus de personnes appréhendent, apprennent, comprennent mieux le déroulement d’un procès, les éléments judiciaires qui y sont souvent discutés ou encore la difficulté de juger. Par ailleurs, et c’est l’un des codes de l’avocat, nous ne croyons jamais, presque par définition, presque par essence, que ce soit foutu, qu’il n’y a plus d’espoir, qu’il ne faut plus y croire. Bien au contraire, nous pensons toujours que l’on va réussir à faire de l’Homme quelque chose de bon, à quelques exceptions près où tout le monde baisse les bras parce qu’il n’y’a plus rien à faire. Alors oui, je crois en l’avenir et au rôle important qui est le nôtre en tant qu’avocat.

Pour cela, néanmoins, il serait primordial de travailler sur « la foule », « les gens », « l’opinion ». Par exemple, il est impératif à mon sens que l’on enseigne les bases de la justice à l’école, quelques heures, savoir ce qu’est le premier degré, ce qu’est le second degré, comment se déroule un procès, ou encore, qu’est-ce qu’un juge d’instructions, bref, les bases ; parce que beaucoup de personnes ne savent absolument pas comment cela fonctionne et elles sont complètement perdues. Définir ce qu’est l’échelle de peines, son rôle, son importance, parce que, bien évidemment, un viol est beaucoup plus grave qu’un vol d’auto radio, ainsi, l’on ne jugera pas ces deux affaires de la même façon. Voyez, je crois que cette forme de pédagogie peut s’acquérir et, par ailleurs, je suis partisan, comme je l’ai dit en amont, d’une médiatisation non plus des affaires mais de la justice elle-même. Dès lors, pourquoi ne pas créer une chaine publique qui retransmettrait, au kilomètre, des procès d’assises ? Sans commentaires, avec une caméra fixe afin que le spectateur derrière son écran soit au centre de « l’action » comme le sont, après tout, les personnes présentes dans la salle ; ce serait très pédagogique à mon sens. Voilà pourquoi j’apprécie particulièrement le fait que les élèves viennent voir comment se passent les comparutions immédiates, pour ne citer que cet exemple. Il faut s’ingénier à lutter contre les idées reçues, un sondage tout récent mettait en lumière le fait que, pour de nombreuses personnes, la prison était un endroit « beaucoup trop cool », que « les délinquants éprouvaient énormément de plaisir à y être ». Et bien faisant un petit tour, organisons des visites, pédagogiquement, sans commentaire, l’on se contentera d’une balade, l’on verrait à quoi ressemble réellement l’univers carcéral avant de ressortir, et, je mets au défi cette grande majorité de ne point changer d’opinion à la fin. Cela fait vingt-six ans que j’arpente les prisons et, à chaque sortie, je me sens à la fois mal à l’aise et content de revoir l’air libre, je pense que ça ferait le même effet aux personnes qui vivront une expérience similaire ; certainement, elles arrêteraient de considérer l’univers carcéral comme un endroit merveilleux pour les personnes qui y résident (bien que ce soit le but d’une prison). Voyez, il y’a un énorme effort pédagogique à faire et il est faisable, nous devons continuer à associer les personnes à la justice tout en la renforçant de façon plus significative encore.

 

Nous sommes actuellement en pleine semaine de l’Europe et, à ce titre, nous aimerions savoir, Maître, êtes-vous pro-européen ou partagez-vous l’euroscepticisme qui fleurit de nos jours ?

Je suis plutôt pro-européen bien sûr, parce que justement en matière d’humanité et de respect des droits fondamentaux la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) nous sauve la vie tous les jours. C’est grâce à elle que nos droits d’avocats en matière de garde-à-vue ont augmenté, et d’ailleurs, l’on ne désespère pas d’avoir un jour accès au dossier afin de ne plus être complètement aveugle durant cette procédure. Bien évidemment, la Convention a beaucoup apporté à notre droit pénal, la France, à force de condamnations, modifie énormément ses textes et l’on a pu noter des évolutions prépondérantes depuis quelques années, grâce notamment à une forte impulsion européenne. Ce qui prouve que, globalement, l’Europe se veut au-dessus des mêlées et essaie, à raison, d’entériner plus profondément cette Charte des droits de l’homme [TB1] qui présente, à mon sens, des garanties fondamentales devant constituer tout État démocratique. Au regard de cela, je pense que l’on peut rester pleinement attaché à ces textes, donc, oui, je suis pro-européen.

 

Que conseillez-vous, Maître, aux étudiants qui aimeraient suivre votre voie, qui aspirent à être avocat pénaliste ?

Me concernant, il y’a donc vingt-six ans que j’ai prêté serment, je l’ai évoqué au moins trois fois aujourd’hui, ça doit être un complexe maintenant. Toutefois, l’on me disait déjà à l’époque : « Oh là, le pénal c’est compliqué, le pénal c’est dur, le pénal on ne peut en vivre… ». D’ailleurs, je crois que ça continue de plus belle, pour de nombreuses personnes, il n’y a pas d’avenir dans le pénal. À titre personnel, je suis sûr de certaines choses : d’abord que la profession d’avocat pénaliste est une fonction très noble au sein des multiples corps du métier d’avocat au sens où elle nous fait grandir en tant qu’Homme car c’est une profession qui humainement vous tire plutôt vers le haut. Personnellement, à la faculté, je n’étais pas très studieux, je n’étais pas un très bon étudiant, cependant, j’ai toujours fait le minimum vital pour avancer (je pense que c’était moins dur à l’époque parce qu’il y’avait moins d’étudiants dans les facultés). Cependant, au moment où l’on commence à exercer, l’on oublie pratiquement toutes les études que l’on a faites et l’on se rend compte du caractère très humain de ce métier ; il suffit pour cela de s’ouvrir tout en rasant un peu les murs parce que l’on ne sait rien, rien du tout. Vous pouvez avoir appris dans les livres comment se déroule un procès d’assises, le jour où vous en voyez un pour de vrai, ça devient concret, tout change et vous ne l’oubliez plus jamais. Lorsque vous êtes dans le box, tout seul, vous retenez la leçon pour toujours, vous ne faites pas deux fois les mêmes erreurs, vous n’êtes pas deux fois hésitant sur une question, vous regardez les choses d’un regard nouveau. Voyez, les avocats aussi pour une petite part changent le monde et essaient d’équilibrer les choses. Il faut surtout continuer à s’accrocher à ses idées de naïveté, de foi en l’Homme car je suis persuadé qu’elles sont réelles, que ce ne sont pas que des mots vides de sens affirmés pour le plaisir mais que ce sont réellement des marqueurs, des constructeurs d’être, de carrière et d’Hommes.

 

Propos recueillis par Isaac Mouetoukouenda.


 [TB1]Parle-t-il de la CEDH ou de la Charte des DF de l’UE ?

 

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