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L’obligation de localisation des sportifs conforme à la CEDH : une petite victoire pour la lutte antidopage ?

L’Agence mondiale antidopage (AMA) peut pousser un soupir de soulagement. Après des années de lobbying et de deniers investis dans la mise en conformité de ses mesures avec le droit européen, son système de géolocalisation des athlètes a été validé par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en janvier dernier (CEDH, 18 janvier 2018, Fédération Nationale des associations et des syndicats Sportifs (FNASS) et autres c. France). Retour sur une mesure décriée pour ses incidences sur la vie privée des sportifs, mais proportionnée et nécessaire aux yeux des juges. 

 

Jeannie Longo aux avant-postes

 

Un petit rappel des faits s’impose. En 2004, l’AMA introduisait un dispositif de localisation imposant à des « sportifs cibles » de haut niveau de fournir des informations sur leurs lieux de résidence et d’entraînement quotidiens. Le but ? Les assujettir à des contrôles antidopage inopinés diligentés par les autorités nationales, en vue de renforcer une lutte antidopage internationale constellée d’innombrables scandales. Avec ce système, censé débusquer plus facilement les tricheurs en dehors des manifestations sportives, le gendarme mondial mise principalement sur l’élément de surprise, qui peut aboutir à une suspension de l’athlète après trois contrôles manqués en douze mois. Une mesure drastique qui n’a pas manqué de cliver dès son instauration : la jugeant excessivement intrusive et contraignante, des dizaines d’athlètes belges avaient saisi la justice en 2009 et diverses associations ont depuis dénoncé à cor et à cri un système « animalisant ». Sepp Blatter, président déchu de la FIFA, l’avait comparée à une véritable « chasse aux sorcières ». En France, ses pourfendeurs se sont rangés derrière les rugbymen internationaux Thierry Dusautoir et Morgan Parra, mais surtout aux côtés de l’insubmersible coureuse cycliste Jeannie Longo, furieuse de l’ « acharnement » des autorités antidopage à son égard. Mais après leur validation par le Tribunal arbitral du sport, couplé au refus de transmission d’une QPC par la Cour de cassation et au déboutement de Jeannie Longo par le Conseil d’État de sa demande en annulation du dispositif pour traitement inhumain et dégradant, ces contrôles impromptus ont finalement trouvé droit de cité dans le paysage réglementaire sportif international… Pas assez pour décourager la soixantuple championne de France, dont le regard s’est alors tourné vers Strasbourg.

 

Une ingérence justifiée dans la vie privée des athlètes 

 

Dans une juridiction peu accoutumée aux litiges sportifs — hormis quelques contentieux impliquant des Hooligans, le droit à la chasse ou encore la publicité sur le tabac — l’affaire a fait grand bruit et captivé la sphère sportive. Mais son issue était plus que prévisible : dans un arrêt marqué par la recherche de compromis, la Cour écarté toute violation du droit au respect de la vie privée. Jugeant nécessaire une telle ingérence dans la vie des sportifs, les magistrats se sont sagement fondés sur le soutien universel apporté à la lutte antidopage et ses visées sanitaires, tant du mouvement sportif « propre » que des autorités publiques et supranationales. En outre, malgré leur impact avéré sur la vie privée des requérants, les juges estiment que ces obligations de géolocalisation poursuivent un objectif d’intérêt général et dotent la lutte antidopage d’un cadre légal, lequel laisse en plus aux sportifs le choix du lieu de localisation et des plages d’horaires. La juridiction en conclut ainsi qu’un juste équilibre entre les différents intérêts en jeu a été trouvé, sans violer la Convention européenne des droits de l’homme.

 

La lutte antidopage, le mythe de Sisyphe du sport moderne 

 

À l’heure où les scandales de dopage sont légion et ne cessent de ternir le sport de haut niveau, les enjeux étaient de taille. Tout assouplissement ou suppression dudit dispositif aurait provoqué un tollé, affaibli le mouvement antidopage et menacé l’idéal de franc-jeu inhérent au sport. Son abolition aurait aussi sonné le glas du fructueux passeport biologique, qui dresse un profil hématologique des athlètes sur le long terme via des échantillons sanguins souvent prélevés hors compétition. Certains observateurs regrettent toutefois que le jugement n’ait pas considéré d’autres alternatives moins intrusives et se montrent même critiques quant à la défense obstinée de cette mesure. Certes, les simples contrôles prévus en compétition se sont de longue date révélés insuffisants : l’hypothèse selon laquelle de nombreuses substances sont rapidement éliminées du corps humain mais influent durablement sur les performances du sportif a récemment été accréditée par l’étude d’une équipe norvégienne sur la « mémoire musculaire ». Les dopés, eux, l’avaient très vite compris : en amont des Olympiades de 1976, les Est-Allemands s’étaient empressés de tester leurs athlètes pour s’assurer qu’ils ne seraient pas épinglés par la patrouille au moment des compétitions. S’ils risquaient de l’être, ils feignaient d’être blessés. Ainsi, si le système des contrôles inopinés est louable, il met en exergue le décourageant décalage qu’accuse la lutte antidopage sur la science ; d’autant que statistiquement,un très faible nombre de ces testsse révèlent positifs. Sur ce dernier point, le raisonnement de la Cour aurait pu être plus poussé. D’autres ont même accusé les juges de ne se fonder que sur des ouï-dire ; l’étendue du dopage demeurant incertaine et aucune étude épidémiologique ne permettant d’affirmer l’existence d’un réel problème de santé publique. 

 

Cet arrêt fait ainsi office d’une pale lueur d’espoir dans le tableau bien sombre d’une lutte antidopage malmenée par les récentes esclandres en Russie, en Chine ou au Kenya et plus récemment discréditée par les cinq millions de dollars versés par Lance Armstrong à la justice américaine pour éviter un procès. Mais les nuages n’ont pas fini de s’amonceler pour l’AMA : la question de la modification de l’ADN des athlètes suscite de grandes inquiétudes, et les implications juridiques de ce « dopage génétique » ne sauraient tarder à émerger. En outre, comme une métastase, le dopage affecte aussi les sportifs amateurs, où la consommation de compléments alimentaires douteux fait craindre un futur scandale sanitaire. Alors, faut-il plus de répression, de surveillance, comme le prônent les partisans de la suspension à vie des tricheurs ? Nul n’en a la réponse. Mais la CEDH, elle, semble en tout cas se faire le champion d’une lutte conciliant prévention et santé des athlètes avec la protection et le respect de leurs droits fondamentaux par les autorités antidopage. 

 

 

Thibault Lechevallier


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