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La colonisation de Mars : Une utopie juridiquement contrastée (partie II)

Suite et fin de notre article sur la colonisation martienne

Le barrage juridique de l’implantation d’une colonie spatiale.

 

Il existe déjà une colonie spatiale, l’International Space Station (ISS), qui matérialise à la perfection les fruits de la coopération internationale. Cette dernière accueille en permanence 6 astronautes.  Donc sur le papier oui, c'est complètement faisable. Maintenant, la vision de notre milliardaire n'est pas l'ISS, il n’y a pas la même proximité avec la Terre (en cas de problème cette donnée jouera sûrement), pas la même finalité, et encore moins la même ampleur. On comprend alors qu’en pratique elle se retrouve fortement limitée par différentes contraintes. L’une d’entre elle étant le droit.

 

Se pose en premier lieu la question de savoir quel droit doit-on vraiment appliquer ? Le droit international qui prévoit de par les différentes conventions et accords sur l’espace, des mesures qui peuvent paraître trop contraignantes si elles doivent s’appliquer à un million de personnes ? Celui de l’État d’immatriculation qui ne sera sûrement pas adapté à moins de le modifier en conséquence? Ou prévoir une nouvelle réglementation ? Cette dernière pourrait alors prendre en compte les nouveaux facteurs issus de l’environnement martien, mais se pose alors la difficulté de sa création. A qui reviendrait le devoir de rédiger un tel texte ? L’État d’immatriculation, qui est plus à même de pouvoir mettre en avant ses intérêts mais aussi ceux de la colonie ? Ou l’ONU dont le contenu sera plus neutre mais potentiellement dénué de valeurs contraignantes.

           

En l’état actuel, la colonie serait, en vertu du principe de l’immatriculation, soumise au droit américain et en conformité avec le droit international. Cela crée alors une dualité de normes donnant lieu à un cocktail de bizarreries.

Pour preuve, prenons exemple sur l’assistance des astronautes : Les astronautes reçoivent par le biais du traité le statut d’« envoyés de l’Humanité »[1], qui confère l’obligation d’assistance aux autres astronautes. Formule très vaste puisqu’on peut s’interroger : Qu’est ce que l’on entend par assistance ? L’Accord sur le sauvetage des astronautes, le retour des astronautes et la restitution des objets lancés dans l'espace extra-atmosphérique prévoit certaines mesures à prendre lorsqu’un équipage d’un engin spatial est victime d’un accident ou en détresse. Cela peut être consécutif à un atterrissage ou amerrissage forcé sur la zone d’un État (partie ou non à l’accord) mais aussi sur « tout autre lieu qui ne relève pas de la juridiction d'un État », donc la Haute mer mais aussi l’espace et ses corps célestes. L’accord prévoit alors une obligation d’informer immédiatement l'autorité de lancement et le Secrétaire Général de l’ONU de l’accident ou du danger, et si elle ne peut pas, diffuser l'information par tous les moyens de communication appropriés. Cependant doit-on appliquer cette mesure sur une colonie d’un million d’habitants ? Imaginez le nombre d’accidents ou dangers par jour dans une ville plus grande que Marseille, et si à chacune de ces intempéries il fallait contacter le Secrétaire Général des Nations Unis…

           

Un autre problème majeur est celui de la contamination de l’espace martien. En effet, envoyer un million d’êtres humains à la surface de la planète rouge, serait envoyer des milliards de milliards de bactéries influencer directement son environnement[2]. Ce qui est complètement prohibé par le traité de l’espace. De même, lors du retour des engins et humains sur Terre, les particules martiennes viendraient également contaminer l’espace terrestre.

D’autres contradictions existent sûrement et certaines risquent de se manifester qu’une fois sur place. Toujours est-il que le droit ne semble pas applicable tel qu’il existe actuellement à ces 1 million d’habitants de la colonie. Il pose en effet trop de contraintes, et cela est normal. Les opérations spatiales sont délicates, extrêmement coûteuses et dangereuses, une réglementation stricte est donc nécessaire. Le plus délicat reste à faire, trouver une solution conciliant une sécurité élevée pour les personnes sans pour autant poser trop de contraintes, s’avère primordial.

 

Comment revisiter le droit pour rendre le projet compatible ?

 

Il n’y a pas de réponse à ces problèmes, du moins pas encore. Il est fortement probable que suite à l’établissement de cette colonie d’un million de personnes, les États-Unis se détachent du droit international afin de maintenir son hégémonie économique, comme cela s’est déjà produit dans le passé[3].  Peut-être cet acte unilatéral passera par la création d’un Code entier régissant les activités extra-atmosphériques ou par tout autres textes de portée normative.

 

Mais, il faut savoir que d’autres alternatives peuvent exister. L’une d’entre elle serait de s’inspirer de systèmes de coordinations juridiques entre États et peuples autochtones Ceux-ci permettent en effet de concilier le droit d’un peuple possédant un mode de vie différent avec celui d’un État. C’est bien de cela dont il est question ici. Prenons le cas des Saamis, qui constituent le plus grand groupe indigène d’Europe avec une population d’environ 130 000 personnes. Ces derniers, majoritairement présents en Norvège, Finlande et Suède sont soumis à un régime juridique spécifique très intéressant. Ils possèdent par exemple leur propre parlement mais n’y créent pas de lois puisqu’ils restent soumis à la juridiction de leur État. Cette institution a donc un but consultatif uniquement.  Ainsi lorsque l’un de ces États prévoit une mesure qui pourrait affecter directement cette population (par exemple la création d’un barrage en amont d’un territoire où ils sont majoritaires ou augmenter les quotas de chasse dans cette région), celui-ci est obligé de faire part du projet au parlement Saami qui pourra alors s’y opposer. C’est un peu l’équivalent de la consultation obligatoire avec avis conforme du droit administratif français.

Un tel système permettrait aux autochtones de la colonie spatiale de faire valoir leurs intérêts sans pour autant se détacher de la juridiction de l’État d’immatriculation et du droit international. Il y aurait alors une coordination entre chacun des acteurs puisque les États-Unis pourraient légiférer en prenant en considération les attentes des « martiens », tout en respectant le droit international public.

 

Pour conclure je noterai une chose : il faut garder les pieds sur Terre. Ce projet semble fou, incroyable, réel mais aussi fictif, il ne faut pas perdre de vue les enjeux qu’il représente. Ainsi, Elon Musk devra faire face à des problèmes dont ni son ambition, ni son portefeuille (qui sont pourtant aussi gros l’un que l’autre) ne pourront venir à bout. Subsisteront en plus du problème juridique, des problèmes économiques, scientifiques mais aussi politiques. La course à l’espace, vestige de la guerre froide n’est pas finie, loin de là. Elle s’est simplement étendue sur de nouveaux terrains, tel que l’arsenalisation de l’espace, la gestion des débris spatiaux ou encore le tourisme spatial[4].

Réalisable ou pas, ce projet n’est qu’une esquisse de ce qui se fera dans le futur : la propagation de l’Homme hors de son habitat terrestre. Tôt ou tard, il faudra se pencher sur les aspects juridiques qu’impliquerait une telle migration. Les différentes agences spatiales nationales ou internationales, mais aussi les institutions intergouvernementales devront mettre la main à la pâte pour pondre non pas un texte, mais une constitution réglementant toutes ces questions. Cet article n’en est qu’une incitation.

 

Hugo LOPEZ



[1] Article 5 du traité  sur les principes régissant les activités des Etats en matière d'exploration et d'utilisation de l'espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes.

[2] Huffpost, Pourquoi Elon Musk ne doit pas envoyer l'Homme sur Mars.

[3] Jussi hanhimäki, Les États-Unis et le multilatéralisme depuis le 11 septembre.

[4] Wikiversité, Course à l'espace : Post-1989.


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