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Le "délit de consultation habituelle de sites terroristes" : entre droit à la sécurité et préservation des libertés fondamentales en France

Depuis le début des années 2000, un peu partout dans le monde, fleurissent des normes qui sous le couvert de "mesures sécuritaires", entrainent parfois des atteintes aux libertés fondamentales des personnes.

Depuis le début des années 2000, un peu partout dans le monde, fleurissent des normes qui sous le couvert de « mesures sécuritaires », entrainent parfois des atteintes aux libertés fondamentales des personnes. Ces atteintes peuvent être justifiées car poursuivant un objectif de protection de la population. La France, qui s’était déjà dotée en 1789 d’une déclaration sur les droits inaliénables des Hommes[1] n’est pas la dernière en course. Au contraire, il semblerait que cette nation soit bien en tête de liste avec un nombre record de lois antiterroristes.

Nous traiterons ici d’un exemple récent de norme sécuritaire considérée comme portant atteinte aux libertés fondamentales françaises[2]. Nous soulignons, toutefois, dès à présent qu’une nouvelle décision sur le sujet devrait bientôt être rendue par le Conseil Constitutionnel français.

 Le 3 juin 2016, la Loi n° 2016-731 venait introduire l’article 412-2-5-2 au Code pénal français. Cet article établit le « délit de consultation habituelle de site terroriste », en le réprimant par deux ans d’emprisonnement ainsi qu’une amende de 30 000euros[3].

À la lecture de l’article, l’intention du législateur nous semble peu claire. Cherche-t-il à punir une intention criminelle ? Une façon de pensée extrémiste ? La consultation d’un site internet ? Il semblerait que cette nouvelle infraction permette aux autorités d’arrêter des individus qui, en raison de leur consultation de pages à accès public, en ligne, pourraient être dangereux pour la société.

Or, l’une des pierres angulaires d’un système démocratique est la présomption d’innocence. Celle-ci, garantie par de nombreux textes nationaux et internationaux, signifie que jusqu’à preuve du contraire, un individu est innocent. Si le but de la loi est bel et bien d’empêcher des gens de « passer à l’acte » sans même aucune preuve de l’intention de l’individu, ne serions-nous pas face à une grave atteinte au principe de présomption d’innocence ?

Dans le cas où l’objectif de la loi est de punir la consultation d’un site internet, cette loi ne porterait-elle pas atteinte aux libertés d’expression, d’opinion, de conscience et de communication ?

 L’Etat à un devoir de protection envers sa population, ce qui légitime certaines atteintes aux libertés fondamentales. Toutefois, même justifiée, l’atteinte ne doit pas être disproportionnée par rapport au but recherché.

En considérant que cette atteinte soit justifiée pour des raisons de sécurité publique, la sentence de deux ans d’emprisonnement, accompagnée de 30 000euros d’amende n’est-elle pas excessive, disproportionnée et inadaptée ? Pensez-vous que le fait de réprimer l’accès à un service international et public va remettre en cause les croyances radicales d’un individu ? Au contraire, en envoyant une personne dont on ne peut juger du degré de radicalité, en prison avec des personnes ayant un degré de radicalité élevé, ceux-ci ne risquent-ils pas de ressortir avec des convictions bien plus ancrées ?

Répondant à ces interrogations dans une première décision du 17 février 2017, les juges du Conseil Constitutionnel[4] écartent la disposition litigieuse. Pour eux, cet article représente effectivement « une atteinte à l’exercice de la liberté de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée ».[5]

Huit jours plus tard, l’article est réintroduit au Code pénal avec quelques modifications, tenant à l’ajout d’un « motif légitime » mis en opposition avec la présence d’ « une manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée sur ce service [6]». Malgré cette première censure du Conseil Constitutionnel, le législateur n’apporte pas de définition plus claire des notions utilisées au terme de ce nouvel article.

Le 4 octobre 2017, la  Cour de Cassation[7] rend un arrêt dénonçant la violation de nombreuses dispositions de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789, par le fameux article réintroduit[8]. La haute Cour rappelle que cet article, en sus de porter atteinte à la liberté d’expression et de communication, marque une rupture au principe d’égalité entre les citoyens. En effet, qui pourra bénéficier du couvert de « motif légitime » ?

Nous attendons donc avec impatience la nouvelle décision du Conseil Constitutionnel[9] concernant cet article et saluons le travail impressionnant des juges français en ce qui concerne la protection des libertés fondamentales de la population. En effet, ceux-ci ne se privent pas de remettre en cause une loi qui serait susceptible de porter atteinte à ces libertés. Ils contrôlent le droit et n’hésitent pas à s’indigner lorsque le législateur dépasse les balises marquées par les droits fondamentaux.

Pour conclure, nous tenons à souligner que la présence de contenus web présentant des idées extrémistes n’est pas une chose nouvelle née du « terrorisme » tel qu’on l’entend aujourd’hui :

« Il ne faut pas dire ouvertement que l’on estime que les traîtres méritent la mort. […] Lorsque nous arriverons au pouvoir, nous éliminerons impitoyablement ces traîtres et ennemis qui ont tenté de nous exterminer. Il faut en avoir conscience : c’est par ce chemin que passera notre salut. »

Ce passage est tiré de l’article « le choix de la radicalité » du site « blancheurope »[10], prônant la suprématie blanche. On peut mieux l’identifier dans le passage qui suit :

« Ce qui nous importe, c’est que cette répression devienne généralisée, que débordé par l’ampleur du phénomène, l’ennemi s’attaque à l’ensemble des blancs, se les aliénant plus encore, les préparant à basculer dans notre camp. Les options modérées s’effaceront alors progressivement. »

Doit-on également poursuivre les personnes revendiquant ces idées et les rendant publiques sur ce site ?

 Ceci nous amène à la question très délicate de savoir quelle est finalement la limite entre liberté d’expression, d’opinion et incitation à la haine. La frontière semble mince entre ces concepts et cette question ne peut surement pas être traitée dans l’urgence sous le poids de la peur.

Dans une société en proie aux idées extrémistes accentuées par une islamophobie grandissante, l’information, l’expression, l’éducation au sens critique revêtent une importance capitale. Lutter contre une idéologie violente en restreignant la capacité de s’informer, en réprimant et punissant n’est pas une fin en soit. Au contraire, une punition basée sur ces motifs risque parfois d’exacerber le climat de tension, de peur, d’intolérance et d’incompréhension entre les individus. Le simple exemple de montée de tous les extrêmes, quels qu’ils soient en Europe, suffit à appuyer cet argument[11]. Ce n’est pas qu’en interdisant que l’on détruit une idéologie, mais en contre-argumentant, en s’informant, en expliquant et donc également en communiquant.

La démocratie est le « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Ce fondement tend de plus en plus à être remis en question. L’intention d’agir pour protéger une population est louable, nous n’en doutons pas ; mais la « protection de la population » est-elle une excuse suffisante pour établir un régime de plus en plus strict et contrôlant ?  Je crois au contraire qu’il ne faut pas laisser cette lutte contre le terrorisme nous voler notre bien le plus précieux : nos libertés. Ce sans quoi nous aurions déjà perdu.

 EVA MURITH


[1] Déclaration universelle des droits de l’homme de 1789

[2] Voir Décision n° 2016-611 QPC du 10 février 2017.

[3] Voir article 412-2-5-2 du CP : « Le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d'actes de terrorisme, soit faisant l'apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende. [Nous  soulignons]

Le présent article n'est pas applicable lorsque la consultation est effectuée de bonne foi, résulte de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice. »

[4] Cour garantissant l’application de la Constitution. Les juges de cette Cour ont le pouvoir d’écarter n’importe quelle loi ou norme inférieure à la Constitution, qui ne la respecterait pas.

[6] Article 4121-2-5-2 du Code pénal

[7] La Cour de Cassation est en France, le plus haut tribunal judiciaire : on peut l’apparenter à la Cour Suprême du Canada par exemple dans ce sens qu’elle rend les décision en dernier ressort.

[8] Décision Arrêt n° 2518 du 4 octobre 2017 (17-90.017) - Cour de cassation - Chambre criminelle : https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/qpc_3396/2518_4_37781.html

[9] Voir le tableau des affaires pendantes de question prioritaire de constitutionnalité : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/affaires-en-instance/affaires-qpc-en-instance/qpc-en-instance-tableau-trie-par-n-d-affaire.97146.html

[10] Blanche, « Le choix de la radicalité », 9 nov. 2015 ;  http://www.blancheurope.com/2015/11/09/le-choix-de-la-radicalite/

[11] Voir notamment au sujet la formation du groupe « defend europe », regroupant des jeunes de « génération identitaire » sur le bateau C-star. https://www.fidh.org/fr/themes/droits-des-migrants/c-star-la-fidh-demande-a-la-mongolie-de-retirer-son-pavillon-de ; pour consulter la page facebook du groupe :https://www.facebook.com/DefendEuropeID/; ;
Voir également au sujet les articles du monde concernant la nationalité des auteurs d’attentats terroristes en France :
http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/02/14/tous-les-terroristes-sont-immigres-l-intox-du-depute-europeen-fn-nicolas-bay_5079530_4355770.html;

http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/07/15/les-principaux-attentats-en-france-depuis-2012_4970357_3224.html;


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