Aller au contenu
  • Facebook
  • X
  • Instagram

Vous êtes ici : Accueil > Rubriques > International

Résolution 2334 : la fin d’un statu quo dans le conflit israélo-palestinien ?

Résolution 2334
Tel un jeu, le droit international tient en grande partie de la bonne volonté de ces participants : on ne peut y jouer qu’en respectant un minimum de règles. Cependant, si la situation ne tourne pas à son avantage, un joueur peut très bien faire “cavalier seul”. Sans en arriver à cet extrême, le 23 décembre 2016 a marqué l’histoire d’un vieux jeu entamé depuis soixante ans, celui de l’Organisation

 D’une relative simplicité, son but est de garantir la paix et la sécurité dans le monde en invitant tous les États à préférer la plume au glaive, la discussion plutôt que l’agression. Le modérateur du jeu n’est autre que le Conseil de sécurité où figurent les vainqueurs de la dernière “dispute”, s’assurant qu’une autre aussi sanglante n’ait pas lieu. Or celui-ci a voté une résolution, le 23 décembre, fort peu appréciée par l’État israélien. Cette résolution 2334 vise la mauvaise volonté d’Israël à diminuer les tensions avec son voisin palestinien. Pis elle reconnaît la violation du droit international par Israël.
 
Pourtant depuis la création d’Israël, appuyée par l’ONU en 1947 (résolution 181), ce joueur avait déjà reçu de multiples avertissements pour ses manquements au droit international, humanitaire notamment. Cette fois-ci, la réaction israélienne ultra-défensive souligne l’importance de cette décision, non seulement pour la situation au Proche-Orient mais surtout en matière de respect (ou non) du droit international et de ses répercussions.
 
Avant d’aller plus loin, la résolution 2334 doit être analysée, puis ses remous dans les relations internationales seront étayés. Enfin, après avoir expliqué la furie du joueur israélien à l’égard de cette résolution “assassine”, peut-être en saurons-nous davantage sur les motivations du complice de la manœuvre ?

La résolution 2334, des dispositions claires et un vote surprenant:
 
 Une bonne résolution ne se résume pas qu’à un document bien écrit avec une formulation juridique impeccable et des sentences ronflantes, c’est surtout un texte adopté – passant à travers le veto des cinq membres permanents (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni) plus exactement. Pour le cas de la résolution 2334, sa teneur n’est pas si surprenante mais son orientation est franche: Israël fait peu d’efforts pour une solution pacifique à deux Etats, et ceci est un euphémisme en lisant le texte d’origine ! En ce qui concerne le vote, c’est une bien mauvaise surprise pour le délégué israélien. En substance, l’objet de cette résolution touche au conflit israélo-palestinien, et plus précisément à l’intensification des colonies israéliennes en Cisjordanie, cela faisait huit ans que le sujet n’avait pas été abordé devant le Conseil…
 
Dès le préambule, sont rappelées plusieurs résolutions du Conseil de sécurité ayant déjà traité des thèmes convoqués, et certaines n’ont pas été respectées par Israël comme les résolutions 242 et 446 pour les actes d’occupation et de colonisation imputés à Israël ou les résolutions 1515 et 1850 pour assurer une solution à deux Etats. Puis, s’en suivent cinq paragraphes à charge contre Israël, le premier reste implicite (“l’acquisition de territoire par la force est inadmissible”) mais les suivants sont clairs: Israël est une “Puissance occupante”, ses colonies sont “condamnées” par le Conseil car elles violent la ligne de séparation en deux Etats, israélien et palestinien, de 1967. Les palestiniens sont aussi visés, la lutte contre les terroristes sur leur territoire doit être intensifiée.
 
Les dispositions de la résolution sont tout aussi limpides: le Conseil reconnaît “la violation flagrante du droit international” et “l’obstacle majeur” pour la paix que représentent ces colonies, “y compris à Jérusalem-Est”. Ensuite, des efforts sont demandés aux deux parties pour arriver à la fameuse solution des deux Etats. Finalement, cette résolution arrive à point nommé en condamnant la politique coloniale intensifiée par le gouvernement israélien : un repeuplement israélien dispersé dans les territoires occupés aurait rendu inopérant les frontières de 1967. Et c’est justement cette urgence qui a pesé dans le vote!
 
Une telle résolution n’a pas été créée ex nihilo, un groupe de travail de quatre membres non permanents du Conseil y a contribué: la Malaisie, la Nouvelle-Zélande, le Sénégal et le Venezuela. Après avoir présenté leur vision d’une solution à deux Etats ainsi que leur crainte d’une colonisation nuisible à la pacification de la Palestine, tous ont salué le travail de l’Egypte. Quelle fut sa contribution? Son délégué, de suite après le vote, avouera qu’elle s’était retirée du projet (dont elle était l’instigatrice) à cause de pressions et de mises en garde de certains membres du Conseil. Le vote a lieu et la résolution est adoptée: les Etats-Unis se sont abstenus!
 
Grâce au veto américain, Israël était protégé de toute condamnation, l’idée même de proposer une résolution critiquant ouvertement son gouvernement semblait impossible. Toutefois, la déléguée américaine donne une vision cohérente à cette abstention: réutilisant la position de Ronald Reagan contre la colonisation israélienne comme une stature naturelle des présidents américains. La résolution n’est pas appuyée non plus, car les Etats-Unis estiment qu’Israël reçoit un traitement différent venant des instances onusiennes, ce qui est inacceptable. Plus subtilement, il faut éviter de froisser l’un des rares alliés américains finançant certaines campagnes de ses élus et servant de force de projection au Moyen-Orient. Evidemment, le délégué israélien est furieux.
 
Alors que tous les membres s’étaient exprimés sur le caractère salvateur de cette résolution et reconnaissant les torts palestiniens sur le mauvais contrôle du terrorisme et les actes haineux, le délégué a fustigé le Conseil pour son parti pris. Ce dernier affirme qu’une telle résolution alimentera le terrorisme et la haine contre son pays et qu’elle nuit à la paix entre palestiniens et israéliens (en d’autres termes, la colonisation y contribuerait). Ultime argument du diplomate, Israël en tant qu’Etat juif conserve des droits éternels sur Jérusalem, sa capitale (non reconnue internationalement), et qualifie même la résolution de “décret maléfique”. À ce moment précis, le joueur israélien utilise une position constructiviste: en défendant son identité, il légitime le désaveu de la résolution 2334. Mais ce n’est pas son dernier coup…
 
Israël, mauvais perdant ou joueur habile?
 
En déclamant sa désapprobation devant le Conseil de sécurité, Israël a annoncé la suite. Dans un premier temps, le portrait du mauvais perdant dépeint son attitude: continuant à jouer, à respecter les règles du jeu avec opportunisme mais quittant la partie lorsque la situation lui est défavorable. Or, dans le jeu du droit international, tous les acteurs n’ont pas le même poids ni la même orientation. Des Etats peuvent continuer à jouer en éludant certaines règles ou sanctions tandis que d’autres sont contraints de les respecter. Pour illustrer cette perspective plus réaliste, des hégémons et des suiveurs, autant reprendre une citation de Stanley Kubrick : “Les grandes nations ont toujours agi en gangsters, les petites en prostitués”. Non pas qu’Israël soit gangster ou prostitué, loin de là, mais il guette le soutien d’un puissant allié pour éviter les condamnations.
 
Dans son attitude, le mauvais perdant peut s’identifier par deux aspects, son esprit revanchard et sa capacité à s’indigner sur son traitement injuste. Le premier élément est nettement avéré, d’autant que le gouvernement israélien est coutumier du fait. Déjà en 2011, américains et israéliens avaient revu leurs contributions financières à la baisse pour l’UNESCO, qui reconnût la Palestine comme un membre à part entière. Par ailleurs, Israël a réduit ses dons onusiens à la suite de la résolution. Mais cette fois-ci, ce sont les auteurs de la résolution qui en ont subi les conséquences: la Malaisie, le Venezuela, le Sénégal et la Nouvelle-Zélande. La Malaisie et le Venezuela n’entretenaient pas forcément de relations diplomatiques avec Israël, à l’inverse du Sénégal et de la Nouvelle-Zélande. Pour l’un, le gouvernement israélien a annulé les visites officielles, les aides financières, et pour l’autre rupture diplomatique (pour l’anecdote, l’ultimatum israélien envers la Nouvelle-Zélande fut de considérer la poursuite du projet de résolution comme “une déclaration de guerre”). Entre temps, Gérard Larcher, président du sénat, a dû venir rassurer les parlementaires israéliens sur les intentions de la France. Comment justifier cette méfiance du gouvernement israélien? Tout simplement en relativisant les normes internationales, si celles-ci lui sont défavorables, le problème ne vient pas de son comportement mais des normes elles-mêmes. Sans répondre au problème des colonies de peuplement comme un frein aux négociations, il lui suffit de souligner “l’obsession” de l’ONU sur le sujet et de détourner la discussion sur la mauvaise volonté des palestiniens “boudant” les négociations. Finalement une réponse complexe mais efficace fondée sur un discours constructiviste: “par cette résolution, vous ne reconnaissez pas mes efforts ni mon droit d’exister sur un territoire sacré pour mon peuple”. Si l’on ne reconnaît pas l’identité d’un acteur, ce dernier se sentira blessé et ripostera en conséquence.
 
Cette relation intersubjective est rationnelle, quel intérêt de participer à un jeu qui vous déclare perdant? Cependant, Israël n’a pas quitté le jeu onusien.
 
En exprimant son courroux, le gouvernement israélien a réagi comme tout autre Etat défendant ses intérêts. Il continue à jouer mais adopte une attitude ultra-défensive pour deux raisons: Juridiquement, il n’a aucun intérêt à reconnaître cette résolution, et politiquement, il attend un soutien de poids. Sur le plan juridique, les arguments du gouvernement sont relativement faibles et l’évolution du statut de la Palestine le met dos au mur. En matière de droits territoriaux, le gouvernement israélien pourrait très bien avancer l’argument “magique” de la souveraineté: l’Etat israélien a proclamé son indépendance en 1948, il est maître chez lui. Mais en évoquant le droit éternel du peuple juif à vivre sur ses terres ancestrales, il oublie non seulement que les palestiniens pourraient revendiquer les mêmes droits (ancienne province ottomane avant de devenir une colonie anglaise) mais qu’en plus l’ONU, en somme le droit international, a permis la création d’Israël. De même pour l’extension des frontières due aux colonies de peuplement, quel argument la justifie? On ne peut considérer les terres voisines comme res nullus (n’appartenant à personne) puis dialoguer avec ses habitants, les palestiniens. Ce qui entraîne un paradoxe dangereux pour le gouvernement israélien: la reconnaissance factuelle d’un Etat palestinien. Dans plusieurs documents onusiens, et même dans la résolution 2334, l’autorité palestinienne est une “partie”. Qu’est-ce qu’un Etat juridiquement ? Les palestiniens forment une population, vivant sur un territoire donné, et représentés, jusqu’à l’ONU, par une autorité, pour ne pas dire un gouvernement! Il ne manque que la reconnaissance des autres Etats (qui peut être unilatérale) et surtout de son voisin israélien. Ce qui est problématique: Israël exige le retour des palestiniens à la table des négociations alors que les dirigeants israéliens veulent abandonner la solution des deux Etats. Quel intérêt pour l’autorité palestinienne ? Aucun car, au fur et à mesure, la possibilité d’être reconnu comme un Etat s’approche, ainsi que la condamnation d’Israël devant le Cour Internationale de Justice. Voilà pourquoi le gouvernement israélien se refuse à accepter une telle résolution et le premier ministre israélien subit une pression constante de son extrême droite pour maintenir le statu quo. Surtout qu’un nouveau joueur pourrait le défendre mais n’apparaîtra que le 20 janvier: Donald Trump. Mais la résolution n’a-t-elle pas été adoptée grâce à l’abstention américaine?

Obama, le deus ex machina
 
 Chute spectaculaire, surnaturelle au cours d’une pièce de théâtre, le deus ex machina est un élément bouleversant une situation, comme le non veto américain sur la résolution 2334. Barack Obama va finir ses deux mandats consécutifs, il n’a pas plus besoin de lobbies pour des campagnes électorales, sa relation exécrable avec Benyamin Netanyahu (qui lui en veut terriblement) est avérée, Trump soutient ce dernier et les républicains ne veulent plus d’une solution à deux Etats (Convention de Cleveland en 2016). Comme ses prédécesseurs, il aura au moins « une » résolution adoptée sur ce conflit, et peut-être réussi, dans un baroud d’honneur, à appuyer une solution viable pour un Etat palestinien. Finalement, Obama quitte la partie en donnant à son successeur un nouveau défi: revenir sur une solution souhaitée par la majorité des joueurs. Peut-être que Donald Trump préférera jouer comme Francis Underwood : « Si vous n’aimez pas comment la table est dressée, renversez-la! »

  • twitter
  • facebook
Partager cette page

 Auteur de l'article : Julien Vilar, doctorant


En appuyant sur le bouton "j'accepte" vous nous autorisez à déposer des cookies afin de mesurer l'audience de notre site. Ces données sont à notre seul usage et ne sont pas communiquées.
Consultez notre politique relative aux cookies