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Terrorisme : une balance penchant vers la sécurité au détriment des libertés

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La normalisation de l'état d'urgence

Savoir prendre les bonnes décisions au bon moment pour remplir ses missions régaliennes tout en maintenant les libertés des individus est le propre d’un État de droit. Ainsi que le disait Montesquieu, "parmi les peuples les plus libres, [...] il y a des cas où il faut mettre, pour un moment, un voile sur la liberté, comme l’on cache les statues des dieux". 
 
Toutes nos libertés, dans les textes et dans les coutumes, ont une portée relative et ne doivent pas faire l’objet d’abus. Mais ce n’est pas la seule limite qu’elles connaissent, puisqu’elles peuvent se voir limitées par les pouvoirs législatif et exécutif, pour des raisons qui parfois dépassent et surpassent l’objectif de liberté. Le plus souvent, il s’agit de motifs d’ordre public, de sécurité nationale, de protection de la nation, justifiant les limites que peuvent connaitre nos libertés. Il faudra néanmoins s’assurer du respect du principe de proportionnalité dans le choix des mesures justifiées par ces objectifs. 
 
De nombreux penseurs et auteurs, des siècles passés jusqu’à aujourd’hui, présentent la liberté comme inhérente à l’Homme, comme une évidence, un acquis. Néanmoins, en des temps tels que ceux que nous vivons, parsemés de conflits internationaux, d’organisations terroristes, d’attentats surprise dévastateurs, un besoin de sécurité de plus en plus grand se fait ressentir. Mais les mesures mises en place afin d’y répondre ont pu avoir tendance à heurter les libertés individuelles des individus, dans une mesure plus ou moins conséquente. 
 
Cela n’est pas sans répercussions, et aujourd’hui nous sommes nombreux à se demander jusqu’où nos libertés peuvent être restreintes au nom de la sécurité ?
 
Dans le contexte actuel de soupçon permanent et d’appréhension des actes de terrorisme, le but premier de l’Etat est de protéger la population, de garantir sa sécurité par des mesures visant à diminuer les risques et minimiser les opportunités d’attentat. Bien sûr, la nécessité d’une telle lutte n’est plus à nier. De tels actes criminels sont impardonnables et ne peuvent rester impunis. D’où la conséquente mise en place d’un mécanisme de répression, et ce dés les début des années 2000, suite aux attentats du 11 septembre aux Etats-Unis. 
 
Ainsi, une loi de 2001 (loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne) a créé le délit de financement des actes de terrorisme, ainsi qu’une nouvelle sanction pour les personnes coupables d’actes terroristes : la confiscation de l’ensemble de leurs biens. 
Une autre loi, en 2012, a rendu possible la poursuite de personnes ayant participé à des camps d’entraînement terroriste à l’étranger (loi n° 2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme). Egalement, le délit d’entreprise terroriste individuelle a été créé en 2014, élargissant le champ de la lutte antiterroriste (loi n°2014-1353 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme). 
 
À première vue, ces mesures semblaient potentiellement efficaces et l’atteinte qu’elles portaient aux droits des individus était limitée. Du point de vue des libertés fondamentales, ces mesures ne sont que relativement attentatoires, en ce qu’elles sont fondées sur des faits avérés (comme la participation à un camp d’entraînement terroriste ou le financement de pareilles organisations), qui justifient une sanction. La nécessité de mettre en oeuvre des moyens empêchant ces individus de réitérer ou de mener à bien de telles opérations est évidemment indéniable. 
 
Toutefois, il n’en demeure pas moins que les évènements récents, à savoir les attentats perpétrés depuis début 2015, ont poussé les pouvoirs publics à mettre en place de nouveaux mécanismes, mais de prévention cette fois-ci. À travers l’état d’urgence, mis en place le 14 novembre 2015, et renouvelé à cinq reprises depuis, des mesures heurtant davantage les libertés individuelles ont été mises en place. En première ligne se trouvent notamment la liberté d’aller et venir (restreinte par la possibilité d’assignation à résidence, ou encore les possibles interdictions de circulation des personnes ou des véhicules à des lieux et horaires choisis), le principe de l’inviolabilité du domicile (atteint pour sa part par la possibilité de perquisition administrative, à toute heure, et ce sans passer par l’accord du juge judiciaire), ou encore la liberté d’expression et de la presse (contrôle des publications, fermeture des sites faisant l’apologie du terrorisme…). Mais certaines libertés collectives aussi se retrouvent dévalorisées par les possibilités offertes par l’état d’urgence, comme celles de réunion et de manifestation, lorsque sont mises en place des mesures interdisant certaines réunions publiques, mais également la liberté d’association, via la possible dissolution de groupements qui participent, facilitent ou incitent à des actes pourtant une grave atteinte à l’ordre public. 
 
En clair, si l’efficacité des mesures rendues possibles par l’état d’urgence n’est plus à démontrer, puisque des réseaux ont effectivement été démantelés et des attentats empêchés, il n’en demeure pas moins que certaines personnes ont pu voir leurs droits bafoués et que le principe de sûreté a été piétiné par lesdites mesures. Ainsi, des familles entières se sont retrouvées assignées à résidence des mois entiers, sans fondement ni juridique ni factuel, sans contrôle du juge judiciaire, pourtant reconnu juge des libertés individuelles. Leur remise en liberté par la suite ne permet pas d’effacer les conséquences d’une telle mesure. D’autres se sont vus perquisitionner, parfois en plein milieu de la nuit, assistant à la scène surréaliste d’agents des forces publiques retournant leur domicile et fouillant de fond en comble, sans qu’aucun contrôle juridictionnel ni aucune procédure n’ait pu empêcher ou au moins tempérer une telle mesure.
 
Cette problématique reste pour le moment sans réponse, et il semble qu’il soit impossible de protéger la population contre les actes terroristes sans qu’il y ait quelques dommages collatéraux et donc des personnes qui voient au passage leurs droits et libertés restreints.  De telles mesures luttent bien contre le terrorisme, mais le font non sans heurter de grands principes du droit visant à protéger les libertés fondamentales, et notamment les principes de sûreté et de présomption d’innocence; de telle sorte que des personnes peuvent voir leur liberté restreinte sans que le juge judiciaire puisse jouer son rôle de filtre dans le déploiement de telles mesures. 
 
La sécurité juridique dont chacun pouvait se prévaloir autrefois est désormais instable, néanmoins le risque de graves troubles à l’ordre public est considérable, d’autant plus que les attentats récents ont eu pour effet d’agiter émotionnellement la population. L’actualité et les faits divers qui ont suivi ces évènements en témoignent.Il faudra alors trouver un équilibre : l’État se doit de protéger la Nation, mais dans sa stratégie, les juridictions supposées protéger les libertés fondamentales ont vu leur champ d’action devenir limité, tant du côté du juge judiciaire que de celui du conseil constitutionnel. Et cette restriction de pouvoirs ne sera hélas sûrement pas limitée dans le temps comme elle était supposée l’être, puisqu’à présent ces mesures préventives et répressives vont entrer dans le bloc législatif. 
 
En effet, le projet de loi récemment adopté par le Parlement, et signé par notre Président de la République, est entré en vigueur ce mercredi 1er novembre, prenant ainsi le relais de l’état d’urgence qui, lui, a pris fin à cette date.Ce texte transpose partiellement certaines dispositions de l’état d'urgence dans notre droit positif, faisant de l’assignation à résidence, des perquisitions administratives, de la fermeture de lieux de culte jugés dangereux, et d’autres encore, des mesures "normales", faisant partie du droit ordinaire. Elles ne seront plus considérées comme des possibilités exceptionnelles. Les juridictions ont donc un contrôle de plus en plus limité sur ces actions de la puissance publique, gommant petit à petit l’idée d’Etat de droit en France. 
 
L’équilibre entre sécurité et liberté est précaire. Il sera donc important durant les années à venir de protéger de manière absolue nos libertés premières, celles qui nous permettront ensuite de revendiquer le retour à la pleine effectivité de nos droits garantis par plusieurs textes à valeur constitutionnelle ou conventionnelle. Cela concerne notamment nos droits collectifs comme la liberté d’association, de réunion, et de manifestation. Mais il faudra également utiliser et valoriser des mécanismes de protection tels que la question prioritaire de constitutionnalité, afin de s’assurer que nos libertés ne soient pas restreintes au point d’en devenir inexistantes. Car à l’heure actuelle, il est indéniable que des mesures s’avèrent nécessaires pour lutter contre le terrorisme, et aucun autre moyen efficace et respectueux des libertés ne semble envisageable pour atteindre cet objectif. 
 
Ce difficile équilibre peut être vu comme un curseur, qui devrait rester à mi-chemin entre les notions de sûreté et de liberté, mais qui au fil des évènements et de l’actualité, au gré des époques et des volontés politiques, peut aller tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, nous faisant passer ainsi à travers des épisodes de prévention répressive générale, où la sûreté garantie par nos textes les plus fondamentaux n’est plus que relative, et où son maintien en l’état actuel n’est plus garanti. 


 
Alan Smithee


 
Pour aller plus loin :
P. Le Monnier de Gouville, De la répression à la prévention, réflexions sur la politique criminelle antiterroriste, Les Cahiers de la Justice, 2017, n°2, p. 209.
 

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