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Brexit : quels enjeux pour l’industrie du sport ?

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«  Pendant la campagne du référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’UE, nombre de magnats du football britannique et de joueurs, tels que David Beckham, s’étaient ouvertement engagés contre le Brexit. Et pour cause : l’opulent championnat d’Angleterre de football; la Premier League, vitrine d’un Royaume-Uni impérial et libéral, dépend des joueurs étrangers. Ceux-là, pour la plupart européen

Depuis leur coup d’envoi le 19 juin dernier, les négociations sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union Européenne semblent être au point mort. Elles achoppent notamment sur la question nord-irlandaise, la « facture du Brexit » et la liberté de circulation des personnes. La restriction de cette dernière, que Londres compte opérer dès 2019, suscite de grandes inquiétudes dans l’industrie du sport. Tour d’horizon des potentielles incidences sportives, au premier chef footballistiques, du Brexit, à l’échelle britannique, européenne mais aussi internationale.
 
 
Le championnat d’Angleterre en première ligne 
 
Pendant la campagne du référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’UE, nombre de magnats du football britannique et de joueurs, tels que David Beckham, s’étaient ouvertement engagés contre le Brexit. Et pour cause : l’opulent championnat d’Angleterre de football; la Premier League, vitrine d’un Royaume-Uni impérial et libéral, dépend des joueurs étrangers. Ceux-là, pour la plupart européens, représentaient ainsi en 2015 près de 70% des effectifs du championnat. Les formations de Manchester United, Liverpool, Chelsea et Arsenal, porte-étendards de la compétition, n’échappent pas au phénomène. Les transferts de joueurs et d’entraîneurs ne cessant de s’accroître, le résultat du référendum du 23 juin 2016 est logiquement préoccupant en matière de recrutement, de rémunération et de libre circulation de tous ces acteurs.
 
 
La règle Bosman en danger
 
Si la compétence sportive de Bruxelles se résume à l’appui et à la coordination des actions des États membres, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a eu une portée considérable en la matière. Son arrêt Bosman de 1995 a imprimé un élan de libéralisation du sport communautaire en consacrant la liberté de circulation des joueurs professionnels. La prohibition subséquente des quotas de nationalité a conduit à une internationalisation des effectifs des clubs, une inflation des transferts de joueurs et une explosion des salaires sur le Vieux Continent. Ainsi, à l’heure actuelle, nul besoin pour un sportif de l’Union de se prémunir d’un visa ou d’un permis de travail pour exercer au Royaume-Uni, malgré son absence de l’espace Schengen. 
 
Néanmoins, la soustraction de Londres à la juridiction de la CJUE mettrait fin à cette liberté, et les signaux envoyés actuellement par Theresa May laissent effectivement penser que son maintien est un vœu pieux. En conséquence, les fédérations sportives britanniques se heurteront également à un fardeau administratif jusqu’alors inconnu en termes de stages et déplacements sur le territoire des États membres – et vice-versa –.
 
La situation des sportifs des États tiers, déjà soumis à des restrictions quantitatives, semble plus obérée. Si aucun compromis n’est trouvé, de très nombreux joueurs seraient déchus de leur droit de travail et de libre circulation sellés par les accords européens conclus avec des États tiers. Il en est ainsi pour les « joueurs Kolpak », du nom d’un jugement rendu en 2003 par la cour européenne qui affranchit notamment des procédures tracassières de visa certains joueurs de cricket et de rugby africains et océaniens. Pour les ressortissants d’États tiers ne faisant pas l’objet d’accords particuliers, l’obtention d’un permis de travail est d’autant plus complexe qu’ils doivent satisfaire des critères rigoureux relatifs à leurs apparences en sélection nationale à l’international sur une base annuelle. En outre, ces critères varient selon la place occupée par le pays au classement mondial. 
 
Avec le Brexit, la règle Bosman deviendra caduque à l’égard du Royaume-Uni et les joueurs européens y deviendront à leur tour des joueurs « extra-communautaires » assujettis à ces conditions strictes. De manière frappante, la BBC estime à deux tiers les stars européennes, dont le transfuge français N’Golo Kanté, qui ne répondraient pas auxdits critères et seraient, dans le pire des cas, contraints de quitter la Premier League. Outre ces contraintes procédurales et au vu du regain de nationalisme au Royaume-Uni, il est également envisageable que le Brexit rouvre le débat de l’instauration d’un contingent de joueurs britanniques au sein des équipes de Premier League, hypothèse aujourd’hui proscrite par la législation bruxelloise.
 
 
Le nerf de la guerre
 
Depuis le référendum, la dépréciation de la livre sterling, qui avoisine les 15%, a notoirement rendu le recrutement et la rémunération des joueurs de plus en plus onéreux — en atteste la somme record de 105 millions d’euros versée en août 2016 pour le transfert de Paul Pogba, sociétaire du Manchester United. A moyen terme, il est probable que nombre de clubs britanniques jouent la prudence sur les mercatos, et ce, malgré la concurrence féroce du Real Madrid, de Barcelone mais aussi des structures chinoises. D’après le Financial Times, la chute de la livre a aussi engendré un déficit de 368 millions d’euros pour les clubs de Premier League en 2016, malgré leurs droits audiovisuels records. Les revenus liés aux produits dérivés ont également sensiblement diminué, affectant le budget de certains clubs et les bénéfices d’entreprises de distribution d’articles sportifs, à l’instar de Sports Direct.
 
Par ailleurs, pour gagner en compétitivité et obvier aux coûts d’acquisition exorbitants fixés par leurs homologues européens, les clubs britanniques ont pour coutume de recruter des mineurs prodiges. Cela résulte d’une autorisation spéciale de transferts des sportifs de moins de 18 ans au sein de l’UE par la Fédération Internationale de Football Association. Les États tiers faisant l’objet de régulations plus strictes, les clubs de Premier League perdront accès à des jeunes pépites telles qu’Héctor Bellerín, arrivé à Arsenal juste après son seizième anniversaire. L’équilibre compétitif du championnat pourrait s’en trouver bouleversé : les clubs les plus riches s'embarqueraient dans une foire d’empoigne pour s’offrir les joueurs les plus convoités, au détriment des structures aux moyens plus limités.
 
 
Autres conséquences envisageables
 
D’autres effets du Brexit, d’importance moindre ou plus hypothétiques sont enfin à relever. Tout d’abord, Londres quittera de facto Europol, l’agence d’échange de renseignements sise à la Haye et dont l’apport en matière de lutte contre la corruption sportive est reconnu. Le Brexit pourrait aussi fausser le jeu de la concurrence au Royaume-Uni, au regard notamment des subventions publiques finançant la construction d’infrastructures sportives et le développement des clubs locaux. En effet, la régulation britannique des aides d’état dépendant fortement des travaux de la Commission européenne, cet aspect là fera sûrement l’objet d’une attention législative toute particulière à Westminster pour éviter des abus ou des vides juridiques. Des litiges afférents à la publicité, à la propriété intellectuelle ; notamment en matière de marques déposées, pourraient également se multiplier. 
 
Enfin, dans l’hypothèse d’une Écosse indépendante, l’île serait aussi privée de grands sportifs tels que le double vainqueur de Wimbledon Andy Murray ou la sprinteuse multi-médaillée Eilidh Doyle.
 
 
Un impact à relativiser
 
En conclusion, les incidences du bras de fer entre Londres et Bruxelles sur le sport sont quelque peu impondérables. Chaque économiste, politicien et juriste y va de sa supputation, sans pour autant fournir des éléments de réponse clairs. Le sport britannique s’est retrouvé, plutôt à son corps défendant, embarqué dans la folle course du Brexit et doit maintenant y faire face adéquatement. Pour autant, il est fort probable que la Premier League, jouissant d’une aura culturelle et d’une attractivité économique sans pareil, n’en soit que très peu affectée. Ses droits télévisés excèdent, tant au Royaume-Uni qu’à l’étranger, les droits domestiques de l’Espagne, de l’Italie et de la France, de telle sorte que dans l’hypothèse où des joueurs européens seraient contraints à quitter leur club, les téléspectateurs conserveront sûrement leur appétence pour le championnat. En outre, malgré les cours erratiques de livre sterling, la force de frappe financière des structures britanniques est telle qu’elles auront toujours les coudées franches pour enrôler les joueurs de premier choix. Pour écarter le spectre d’un « Hard Brexit » dommageable à l’industrie du sport, il est envisageable que des accords bilatéraux soient négociés ou qu’une législation spécifique aux sportifs soit prestement mise en place pour permettre a minima aux vedettes européennes et extra-communautaires de continuer à exercer sans encombre au Royaume-Uni. 
 
Dans un secteur si lucratif et qui participe au rayonnement du pays dans le monde entier, le lobbying des fédérations britanniques sera également crucial pour conserver l’attractivité de leurs clubs. Mais in fine, la balle est surtout dans le camp des négociateurs britanniques qui devront, à Bruxelles, tirer le meilleur de cette gageure diplomatique que constituent les négociations du Brexit.
 
Thibault Lechevallier.
 
 

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