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Devons nous, dix ans après la "Grande Récession", avoir peur de notre système économique et financier

Le 5 novembre 2008, en visite à la London School of Economics, la Reine Elizabeth II, surprise, affirme : « C’est terrible. Pourquoi personne ne l’a vu venir ? » en référence au caractère imprévisible de la crise. Effectivement, la crise de 2008 est tristement célèbre tant pour son ampleur que pour son imprévisibilité. Aux retentissements stridents, elle est à l’origine d’un chômage de masse et d’une croissance en déperdition. Véritable tournant de la décennie des années 2000, cette crise est lourde de conséquences dix années plus tard révélant les failles de notre système économique et financier. Les  États-Unis ne retrouvent pas leur croissance d’antan et l’Europe, plus hétérogène, est en proie à un chômage de masse frappant particulièrement ses états méditerranéens. 

Il s’agit d’analyser le caractère surprenant de cette crise, qui, en raison d’innombrables risques pris par les acteurs privés et publics du système, nous amène justement à questionner la fiabilité de notre système économique et financier. 

 

Mais alors, la crise, c’est quoi ? 

 

En quelques mots, la crise financière de 2008 trouve sa source dans un véritable trou informationnel.  Le jargon économique utilise le terme plus évocateur d’« asymétrie d’informations ». En d’autres termes, certaines parties ont plus d’informations que d’autres ce qui met en péril l’équilibre économique entre les agents du système. Dès lors, il s’institue tel un amas de risques et d’incertitudes. Ces injustices informationnelles sont accentuées par l’apparition de nouveaux instruments financiers complexes souvent incompris par les acteurs économiques.

 

Ces causes intrinsèques ont accueilli des causes structurelles, qui elles, auraient dû être analysées et prohibées par les autorités régulatrices. Dès le début des années 2000, le marché américain devient véritablement attractif en raison d’une titrisation excessive réunissant des investisseurs nombreux et variés issus de Chine ou des pays du Golfe exportateurs de pétrole. Accru, le marché a échappé au contrôle des autorités financières. Les organes financiers, avides, ont opté pour une logique simplifiée de prêts immobiliers. Ceux-ci, fondés sur de faibles apports personnels et de faibles capacités de remboursement, permettaient à toutes les classes sociales du pays de réaliser le rêve américain. Pendant deux années consécutives, le taux fixe était bas, puis il remontait de manière totalement aléatoire. Aucun contrôle de solvabilité n’était effectué ; les ménages américains s’empressèrent de vendre leurs âmes au diable. Ainsi, l’oncle Sam accomplissait son devoir sans voir que les rouages de la crise étaient en marche. Masquée par son succès, la crise, invisible, se préparait. C’est ce que Hyman Minsky qualifie de « paradoxe de la tranquillité ». Incapables de faire face aux échéances, une partie des ménages américains décidèrent de ne pas rembourser leurs emprunts tandis que d’autres firent tout simplement faillite. Des milliers de maisons se retrouvèrent ainsi sur le marché. Par conséquent, celui-ci s’effondra provoquant l’apparition d’une bulle. Or, il faut bien voir que le gouvernement américain, démocrate puis républicain, choisit de favoriser ces emprunts. Or, du fait de sa passivité, l’exécutif a mis le système entier en danger en voulant rendre le rêve américain accessible à tous. L’illusion politique a fait place à l’illusion économique aux retentissements sismiques. D’ailleurs, Jean Tirole dans son ouvrage Économie du bien communreproche au gouvernement américain son manque de paternalisme qui, dans cette situation, aurait été bénéfique permettant un rétablissement informationnel entre les parties. Ce relâchement institutionnel délibéré a été accentué par les agences de notation mises en place à l’issu des accords Bâle II de 2004. Celles-ci évaluent le risque d’un titre financier en se fondant sur l’évaluation de l’actif. Or, il semble que ces dernières se sont montrées trop laxistes dans leur évaluation, ce qui a tendu à une sous-estimation du risque. Le dernier acteur en cause est évidemment les banques. En choisissant d’emprunter à court terme sur les marchés interbancaires et monétaires, elles ont fragilisé leur propre structure puisque certaines n’avaient pas les réserves suffisantes pour faire face à un phénomène de panique générale à l’origine de la faillite de certaines d’entre elles. 

 

 

Est-on sevré de la crise ? Qu’a-t-on hérité de cette dernière ?

 

Justement, nous sommes les héritiers de deux principales donations post-crise. Premièrement, les nouvelles générations sont en proie à des taux d’intérêt dont la valeur n’a jamais été aussi basse. Effectivement, toutes les banques centrales ont édifié des taux proches de 0 presque négatifs si on tient compte de l’inflation. L’idée étant de permettre aux institutions financières de se refinancer à bas coût. On retrouve l’héritage keynésien selon lequel l’État s’établit tel un véritable régulateur macroéconomique par ses capacités de liquidité. Ces taux, indispensables en temps de crise, ont pourtant des effets dévastateurs sur notre système. Ils constituent un lit favorable aux bulles financières tout en incitant à la prise de risque. En Allemagne, par exemple, les compagnies d’assurance ont promis à des détenteurs d’assurance vie des rendements minimum pouvant aller jusqu’à 4% par rapport aux rendements classiques bien plus bas en réalité, de 0,5% à 1%. Ces taux, difficiles à baisser, incitent les agents économiques à détenir des billets de banque qui conservent leur valeur nominale de 0. C’est le phénomène de « la Zeo Lower Bound ». Or, le problème est que la banque centrale ne peut plus relancer l’économie en baissant les taux, source de récession et de chômage. Deuxièmement, donation bien moins pessimiste, notre système s’est tourné vers de nouveaux modes de régulations. Nous sommes désormais conscients que le risque 0 n’existe pas. Ainsi, il ne s’agit pas de chercher à éviter toute forme de crise mais plutôt d’encourager les comportements sains des acteurs de l’économie. C’est ce que souligne Jean Tirole, dans son ouvrage Leçons d’une crise, considérant qu’il est de mise de protéger les institutions à risque tout en renforçant les ratios de solvabilité. L’objectif étant de surveiller les agences de notation, maintenir la titrisation sans pour autant cesser de réfléchir à de nouvelles « infrastructures de régulation ». Pour ce faire, l’ancien patron de la FED, Paul Volke propose de séparer les banques de détail des banques d’investissement de manière à accroître le contrôle et rendre plus flexible les interventions éventuelles. Les accords Bâle III ont exigé de nouvelles mesures en terme de liquidité et de solvabilité, ce qui rend le système plus fiable et moins incertain. 

 

À qui la faute : info ou intox ? 

 

En quelques mots, la crise de 2008 est, d’abord, une crise de l’État. Ayant manqué à ses obligations de régulation, celui-ci a révélé les faiblesses des organes nationaux et supranationaux. Or, aujourd’hui, une grande partie de l’opinion publique fait la chasse aux économistes considérant qu’ils ont manqué à leur devoir de « prédiction ». Cependant, il semble important de rappeler que ces derniers ne sont pas des êtres mystiques ayant le don de lire dans les cartes et autres boules de cristal. Ce sont des êtres de chair et de sang tournés vers les avancées scientifiques de notre monde essayant de les comprendre, se tenir informés des évolutions constantes de la sphère financière.  À bon entendant, déterminer un bouc-émissaire est inopportun dans une société où trouver un coupable à ses maux est devenu coutume. Réduire l’incertitude et s’informer l’est davantage. En revanche, Olivier Blanchard, économiste en chef du FMI et enseignant au MIT, tire cinq conséquences de la crise. Selon lui, certains économistes doivent réapprendre l’humilité en raison de leur trop-plein de certitudes. Deuxièmement, la sphère financière compte et doit être prise en compte dans toutes les décisions ; elle n’est plus à sous-estimer. Il montre également que la mondialisation a laissé ses traces révélant l’interconnexion de nos systèmes en faisant une structure mondiale complexe un nouvel objet d’étude. Quant aux outils fiscaux et monétaires actuels, ils semblent inopérants pour sortir de la crise de 2008. Au monde de réinventer des systèmes protecteurs, là où le risque est, pourtant, omniprésent, permettant aux investisseurs, particuliers ou privés, de retrouver confiance en l’économie. Enfin, il met en garde les décideurs politiques contre la trop grande indépendance des banques centrales qui, selon lui, est problématique même si là n’est peut-être pas la priorité…

 

 

 

Quel bilan peut-on en tirer ? 

 

Finalement, rappelons que la morale du capitalisme est de ruiner toutes les deux ou trois générations le rentier… Cette crise, leçon majeure délivrée aux acteurs de la structure financière, aussi négative qu’elle a pu être, a permis de connaître les failles de notre système fondé sur un environnement trop certain et trop aveugle. Désormais, la prudence est de vigueur. Le problème s’est peut-être inversé aujourd’hui : les investisseurs, plus craintifs, rechignent à mettre la main à la patte. Or, la vitalité d’un système économique et financier s’évalue surtout par son dynamisme. Ne serait-on pas bloqué dans une sphère de l’appréhension et de la peur de tout un chacun ? Il semble urgent de rétablir la confiance dans le système économique et financier. Rappelons qu’à toutes les époques et dans toutes les sociétés, lorsque l’économie va mal, la société va mal. Comme le note Kant dans Qu’est-ce que les Lumières ?,se responsabiliser est source de liberté. En d’autres termes, le philosophe nous invite à apprendre à penser par nous-mêmes, injonction à l’autonomie. Ainsi, le fin mot de l’histoire est peut-être de tirer les conséquences objectives de la crise et d’avancer en fonction de son bilan et non de se tourner vers les erreurs commises, aussi graves qu’elles puissent être…

Myriam Jeddi

 



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