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L’élégance à travers la mode féminine en Europe durant le XXème siècle

 

Paul Valéry donnait l’élégance pour « L’art de ne pas se faire remarquer, allié au soin subtil de se distinguer » et Antoine de Saint-Exupéry d’ajouter que « L’essentiel est invisible à nos yeux ». L’élégance est donc une notion vaste aux contours imprécis qui fait qu’on l’apprécie autant dans l’art, la mode et l’architecture que dans le comportement humain. C’est une appréciation d’éthique positive et tenter de définir les élégances puisqu’elles sont plurielles, est un problème philosophique très vaste et ardu. Nous avons donc choisi de ne parler que de l’élégance à travers le prisme de la mode féminine en Europe durant le XXème siècle.

Selon le Trésor de la langue française, l’élégance est la « qualité qui se caractérise par une grâce faite d’harmonie, de légèreté et d’aisance dans la forme ». Au fil du temps, voire même des jours, notre appréciation de cette intuition de « l’élégance » se trouve changée, bouleversée même, par l’histoire, cette même grande histoire qui ne cesse d’en remodeler notre appréciation. Dans le monde de la mode et du vêtement, l’élégance, en soi, reste le graal soyeux de tous les couturiers.

L’Europe est politiquement considérée comme un continent ou géographiquement comme une partie des supercontinents de l’Eurasie et de l’Afro-Asie. Elle est parfois appelée « Vieux continent » par opposition au « Nouveau continent » (l’Amérique). Le XXème siècle a été marqué par deux guerres mondiales, plusieurs chocs économiques, politiques et aussi par l’émancipation de la femme qui en a découlé. La mode et le vêtement ont en partie décousu les plis d’un patriarcat vieillissant, cette émancipation un peu tardive mais progressive a donc suivi les cahots d’une histoire très mouvementée qui a connu de très grands changements économiques, financiers, politiques et culturels. C’est donc une relation étroite qui lie le vêtement, le regard porté sur lui et la place de la femme au cours du XXème siècle. Il sera donc question ici d’étudier l’évolution de cette notion d’élégance en tant que norme morale et canon de beauté en parallèle des évènements marquants de l’histoire.

 

 

C’est au cours du XXème siècle que la mode, et plus particulièrement la mode féminine va évoluer, jusqu’à redéfinir et renouveler la conception de l’élégance. Au début du XXème siècle, la mode chez les femmes est assez sévère, la majorité des femmes porte le corset, des robes à col montant avec une taille cintrée. L’élégance se caractérise alors par une allure sévère, ferme aux tons sombres. En 1903, le couturier français Paul Poiret fonde sa maison de couture. Marqué par les influences orientales, il a inventé la robe chemise, il impose les lignes droites et popularise les couleurs vives, il va même jusqu’à abolir le corset. Cet avant-gardiste libère le corps et l’esprit de la femme, ne s’imposant aucune restriction. C’est la « Belle époque » en France.

Mais c’est la première guerre mondiale qui va réellement amorcer un changement dans l’industrie du vêtement. En effet, face à la mobilisation des troupes, beaucoup de femmes ont dû travailler dans des usines ou des hôpitaux pour que le pays maintienne son économie et fournisse les moyens nécessaires à la guerre. Il a donc fallu adapter les tenues vestimentaires à la pratique. Les cheveux des femmes sont coupés, les jupes sont plus courtes, plus fluides et surtout le corset disparaît.

L’après-guerre marque un moment d’effervescence et une envie pressante d’émancipation de la part des femmes européennes qui, en l’absence des hommes partis au front, ont fait leurs preuves et réclament leurs droits. Les années vingt, aussi appelées années folles (d’après le film éponyme réalisé par Mirea Alexandresco et Henri Torrent en 1960), sont marquées par la mode androgyne, la silhouette féminine se veut garçonne. Les femmes se libèrent du carcan du corset, le vêtement doit être pratique et confortable. Gabrielle Chanel, va accompagner l’émancipation des femmes, elle supprime la taille, raccourcit les jupes et n’hésite pas à s’afficher en pantalon. Antoine Cierplokowski, coiffeur et homme d’affaires polonais lancera la mode de la coupe à la Jeanne d’Arc, adoptée par les garçonnes. Cependant, le krach boursier de Wall Street en octobre 1929 n’épargnera pas le Vieux continent. En effet, confrontée à des pénuries de textile la mode redevient prudente, on revient à des tenues plus simples et classiques. Les années trente sont marquées par un retour à la simplicité.

 

La décennie suivante s’ouvre sur l’horreur de la Seconde guerre mondiale. Dès 1941 sont émis des tickets de rationnement. Toutes les matières utiles à l’industrie de l’armement sont réquisitionnées. Ainsi, les textiles sont parmi les premiers produits limités. La mode semble donc morte. Cependant, les femmes vont redoubler de créativité et d’imagination, elles recyclent des matières inédites et créent leurs propres vêtements. Ainsi, elles vont confectionner des robes en raccommodant des tissus différents, recycler leurs rideaux en vêtements… La longueur des juges remonte sous les genoux, faute de tissu, ce qui marquera l’avènement de la jupe crayon.

En été 1945, les européennes ont envie de changement, de couleurs et d’innovation, c’est la période euphorique d’après-guerre. La mode va grandement s’inspirer du « Nouveau Continent », (les États-Unis), ce qui révèle d’autant plus leur grande influence sur la reconstruction de l’Europe après le conflit. Après la libération en arme, une autre libération, la mode devient « fashion » et ce terme définit à lui seul un passage de relai. Cet après-guerre se distingue de celui des années vingt, les femmes vont chercher à s’émanciper d’une manière différente qu’en adoptant un look androgyne. Tout va changer avec l’arrivée du New-Look en 1947 de Christian Dior, la réapparition du corset apparaît comme un retour en arrière par rapport à l’émancipation des femmes, pourtant, le corset de Dior a fait des progrès en matières synthétiques, en confort, styles de confection. Paris redevient la capitale de la mode dans le monde et de l’élégance à la française.

 

Pendant les années soixante, en Europe, sous l’influence des États-Unis, on assiste à l’essor du « blue-jeans », un ancien bleu de travail qui fait sensation. Ce tissu résistant devient tellement populaire qu’il habillera bientôt les jeunes du monde entier, sans distinction de sexe. Les trente glorieuses libèrent les mœurs en matière vestimentaire, de nouveaux couturiers redoublent d’imagination pour proposer des vêtements audacieux : les années soixante marquent l’essor du prêt-à-porter, l’élégance et le haut de gamme tendent à se démocratiser et à offrir plus de possibilité et d’originalité aux femmes. André Courrèges s’inspire de l’espace et produit des vêtements colorés et en vinyle, il invente la mini-jupe. Pierre Cardin triomphe avec ses jupes trapèze tandis qu’Yves Saint-Laurent s’approprie les toiles abstraites de Mondrian et appose ses motifs sur des robes. L’élégance devient couleur, liberté, elle s’émancipe de la rigidité de la Belle époque, à noter qu’encore une fois la mode peut surgir de la rue et les révoltes du printemps 68 ne sont pas pour rien dans ce déchaînement de couleurs.

Les années soixante-dix marquent la fin des Trente Glorieuses avec la Guerre du Vietnam qui n’en finit plus de faire des victimes, le Bloody Sunday en Irlande du Nord en 1972, les chocs pétroliers de 1973 et 1979 qui plongent l’Europe en crise économique. L’heure est au pacifisme revendicatif. Les années soixante-dix aspirent à la légèreté et à l’insouciance. Le corps féminin s’affranchit du regard de l’homme, les femmes s’approprient définitivement le pantalon, notamment avec l’apparition du pantalon patte d’éph’, il est customisé, peint, brodé… Le pull, vêtement phare des travailleurs de la classe ouvrière, va devenir un vêtement élégant que les plus grands couturiers reprendront.

Les années quatre-vingt révolutionnent les sources d’inspiration, notamment par la démocratisation du poste de télévision et plus particulièrement avec l’apparition de la chaîne MTV en 1981 qui va imposer une nouvelle esthétique. De nouvelles matières telles que le lycra, de nouvelles couleurs vont s’imposer. La femme affirme son émancipation professionnelle, le blazer devient une pièce élégante.

Pourtant, avec la récession du début des années 1990, on assiste à un refus de la mode matérialiste et jugée ostentatoire des années 80, l’élégance redevient synonyme de sombre et conceptuelle. La Guerre du Golfe marque un recul de la Haute couture.

 

Au cours des années 2000, si sur les podiums de la plupart des grandes marques s’inspirant des débats sur le genre n’hésitent pas à faire défiler des hommes en jupes ou robes par exemple, ces créations ont du mal à franchir les murs de ces grandes maisons et peut-être par manque d’imagination ou simple lassitude, la rue effectue plusieurs retours sur les années quatre-vingt ou quatre-vingt-dix ou, voulant afficher une sorte de « street-credibility », adopte les codes vestimentaires du rap américain. Devant une pauvreté grandissante associée à une prise de conscience de plus en plus aigüe de l’épuisabilité des ressources de la planète, commence à s’installer une démarche de réutilisation des vêtements par le biais de fripes de plus en plus nombreuses et d’organisations tels qu’Emmaüs. Sans rien enlever à l’essence de l’élégance vestimentaire, ce parti-pris qui ouvre grand la porte au sens créatif de tout un chacun, s’il prenait de l’ampleur serait une première, en effet, ce ne serait plus l’histoire qui par ses hauts et ses bas induirait des changements vestimentaires, mais des changements vestimentaires qui essaieraient de modifier les futures crises à venir. Ce serait alors là la nouvelle vision de l’élégance du XXIème siècle.

 

Lucie Esteve


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