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Les trésors engloutis de Méditerranée, merveilles du passé sous protection

La Méditerranée, berceau des plus grandes civilisations européennes, démontra à maintes reprises qu’elle était une mère aussi généreuse que cruelle. Tout comme l’infinité de l’espace, les fonds marins ont passionné et passionnent encore les chercheurs et archéologues par leur diversité. En effet, le bassin méditerranéen est très tôt devenu un carrefour maritime majeur, séparant tout en reliant entre elles les cultures que peuplaient  trois continents et par extension plus d’une vingtaine de pays différents. Ces mêmes cultures ont vu dans la proximité de la mer, une opportunité sans pareil pour coloniser le littoral et explorer les terres inconnues que bordait la grande bleue. Dès le néolithique, les civilisations nautiques telles que la Mésopotamie, l’Egypte ou encore la Grèce se sont attelées à la création d’embarcations sommaires, visant dans un premier temps des buts modestes tels que la chasse ou la pèche plus que l’exploration et la colonisation. À partir de là, des villes se sont élevées le long des côtes, suivant les tendances et modes de vie locaux pendant que le trafic maritime méditerranéen ne cessait de croître au fil des siècles, se développant de manière exponentielle à partir du XIVe siècle, et ce, jusqu'à représenter à l’heure actuelle plus de 30% des échanges mondiaux. Or, l’extension de ce trafic a aussi induit une récurrence de naufrages de plus en plus importante, et ce, par la faute de mauvaises conditions climatiques ou de conflits entre bâtiments en mer. L’UNESCO estime à ce jour que le nombre d’épaves disséminées dans les mers du globe avoisine les 3 millions et que les trois-quarts de ces dernières se situent elles-mêmes en Méditerranée. Si l’archéologie marine a vu le jour XIXe siècle, avec l’apparition des tous premiers scaphandres et appareils d’exploration sous-marine, les technologies modernes ont bien plus largement ouvert le champ de l’exploration des navires, temples ou mêmes villes entières que la mer gardait en son sein depuis bien des années, voir des siècles déjà. Or, là où les archéologues pouvaient trouver une occasion de reconstituer l’Histoire par l’étude de vestiges submergés, d’autres ont vu là une opportunité de piller ces sites ancestraux depuis les amateurs sans réelles mauvaises intentions jusqu’aux grandes entreprises avides du moindre bénéfice. C’est la raison pour laquelle un appel à l’aide a été lancé à l’intention de l’UNESCO afin de protéger ces trésors du passé ainsi que d’éclaircir le flou juridique régnant sur cette question. 

 

L’exploration sous-marine a permis de différencier deux types de vestiges, d’une part les vaisseaux victimes de naufrages qu’ils soient de natures climatiques ou humaines et d’autre part les citées ou pans de cités noyés à la suite de catastrophes naturelles de violence variable ou de changements climatiques. Des mythes et légendes ont d’ailleurs bien souvent tenté d’expliquer ces phénomènes par le biais de châtiments divins, monstres marins ou autres manifestations occultes fantasques et originales. Charybde et Scylla, Sirènes, Serpents de mer, animaux gigantesques, les illustrations des peurs des marins étaient plus que diversifiées à cette époque. Parmi les exemples célèbres d’interprétations superstitieuses de cataclysmes réels responsables de disparitions en mers, on peut cependant citer le mythe de l’Atlantide comme illustration par excellence de ce cas de figure. Si pour le moment aucune découverte scientifique n’est venue étayer les récits de Platon une bonne fois pour toute, une théorie apparue au XXe siècle grâce aux travaux de l’archéologue grec Spyridon Marinatos et de l’historien britannique Edward Bacon a orienté un courant de pensée voulant que l’île de Santorin, située dans l’archipel des Cyclades, fut un jour le siège de la culture légendaire décrite par Platon dans deux de ses Dialogues, théorie intitulée « hypothèse minoenne ». L’archéologue émet en effet l’idée que la Crète minoenne et Santorin aient pu un jour appartenir à un même continent, l’Atlantide, siège d’une civilisation, brillante et raffinée ensevelie d’un coup sous l’eau et le feu. Les fouilles faites au niveau du site d’Akrotiri, sur l’île de Santorin, ont démontré que la ville avait, en effet, été victime d’une éruption volcanique analogue à celle qu’avaient subies les villes romaines de Pompéi et Herculanum, donnant lieu à des tsunamis gigantesques ainsi qu’à de vastes effondrements, contribuant majoritairement à la mise en place de la forme de croissant que l’île, anciennement circulaire, possède aujourd’hui. De nombreux archéologues et chercheurs tels que le Commandant Cousteau et son équipe en 1976, se sont intéressés au patrimoine sous-marin de l’île sans jamais réussir à prouver l’existence du continent mythique. 

 

D’autres exemples, moins fictifs mais tout aussi connus, de villes sous-marines ont été étudiés et explorées dans le courant du XXe siècle. Ce fut le cas de la partie antique de la ville d’Alexandrie, et plus particulièrement de son phare, septième merveille du monde détruite à la suite de la série de tremblements de terre sévissant entre le IVe et le XIVe siècle puis définitivement rasée au profit de la construction d’un fort par le sultan mamelouk Ashraf Qaitbay. Il fallut attendre les années 1960 pour qu’un plongeur local somme la marine de repêcher une statue gigantesque, représentant une reine sous les traits d’Isis. Le site sombra néanmoins dans l’oubli par manque d’archéologues spécialisés et ne fut rouvert que dans les années 90, déclenchant une campagne médiatique telle que des fouilles de sauvetages furent finalement autorisées et lancées en 1994. Des milliers de pièces ont été répertoriées depuis et les experts à la tête du projet ont pu en distinguer principalement deux types, certaines datant de l’époque pharaonique et témoignant de la tendance ptolémaïque qui consistait à réutiliser et recycler ces vestiges alors que d’autres étaient des blocs de pierre parfois reliés entre eux par des broches de plombs et dont le poids pouvait avoisiner les 70 tonnes. Ces restes furent rapidement associés aux vestigesdu phare et motivèrent de nouveaux types de projets à l’échelle nationale et internationale pour le gouvernement égyptien. D’une part, ces fouilles eurent de grandes retombées touristiques et motivèrent entre autres le projet de construction d’un vaste musée amphibie dans la baie d’Alexandrie, sans pour autant qu’une date ne vienne fixer le début de la construction de cet ambitieux monument, mais d’autre part elles motivèrent aussi l’Egypte à ratifier le 8 juillet dernier la Convention de 2001 de l'UNESCO sur la protection du patrimoine culturel subaquatique portant ainsi à 58 le nombre de pays signataires.

 

En effet, si les épaves et cités immergés sont bien souvent des opportunités scientifiques sans précédent pour étudier les modes de vie antiques, les rapports commerciaux existants entre les divers peuples contemporains ou les avancées techniques en matière de transport nautique, elles sont aussi des terribles appâts à chasseurs de trésors en tous genres ou amateurs de sensations fortes. Les archéologues savent pertinemment que ces explorateurs indépendants peuvent eux aussi, grâce aux technologies modernes en expansion constante, atteindre des profondeurs interdites jusqu’à une période récente. De nombreux problèmes furent par exemple rencontrés dans les années 90 alors qu’au Portugal, environ six sociétés internationales de chasseurs de trésors s’établissaient dans les environs des Açores afin de profiter des quelques 850 bâtiments, majoritairement espagnols et portugais, coulés depuis 1522. La législation locale permettait en effet la vente libre d’objets tirés de sites archéologiques subaquatiques, et ce, jusqu’en 1997, année d’abrogation des lois échéantes. Il faut bien se rendre compte que la démarche poursuivie par un archéologue et, ce qui est communément appelé dans le domaine, “chasseur de trésors” n’est absolument pas la même, bien que leur but commun soit la découverte et la conservation d’objets anciens. Largement comparables aux pilleurs de tombes auxquels se sont heurtés les archéologues terrestres, ces explorateurs sont habituellement mues par une logique pécuniaire brute. Le principal revient à travailler vite pour remonter le maximum d’objets et les vendre. Le problème de ce trafic, resté longtemps irrésolu, revenait à définir les limites juridiques de l’exploration de vestiges sous-marins et de la remontée d’objets de valeur par des non-professionnels. 

 

Aujourd’hui encore, beaucoup de voyagistes visant les professionnels de plongée recommandent la visite de ruines méditerranéennes célèbres telles que celles de la ville de Pavlopetri, à quelques mètres au large du Péloponnèse ou encore d’Heracleion en Egypte. Certaines épaves en eaux peu profondes sont elles aussi ouvertes aux plongeurs puisque de toute évidence, ériger des barrages ou des surveillances en mer s’avérerait bien plus compliqué à mettre en place qu’une surveillance autour d’un temple terrestre. Afin d’y faire face et d’inscrire ces questions dans un cadre juridique, l’UNESCO, la Section des affaires juridiques au sein de la Division des océans et du droit de la mer de l’ONU, ainsi que l’Organisation maritime internationale ont longtemps travaillé à une convention internationale pour la protection du patrimoine culturel subaquatique. À ce propos, Lyndel Prott, chef de la Section des normes internationales de l’UNESCO dans la fin des années 90, déclarait à l’occasion d’un article du magazine Source UNESCO que « Dès la fin des années 50, nous définissions des orientations générales pour les fouilles archéologiques sous-marines. Depuis, les progrès de la technologie et l’expansion du sport de plongée ont considérablement accru les menaces qui pèsent sur les sites immergés, au point qu’une nouvelle réglementation s’impose ».

 

Il faut se rendre compte qu’avant la convention de Genève de 1958, les États côtiers pouvaient exercer leur souveraineté sur des zones précisément délimitées entre la laisse de basse mer (limite de mer à marée basse) jusqu’à la bande adjacente des eaux territoriales, étendues en moyenne sur une zone de trois milles marins. La zone de souveraineté des États située au niveau de la zone contiguë, adjacente à la mer territoriale n’était quant à elle pas prise en compte en matière de patrimoine culturel. En vertu du principe général qui régnait sur la haute mer à cette époque, toute activité non interdite par les dispositions expresses du droit international pouvait être poursuivie sans crainte. Ainsi, la seule protection du patrimoine culturel sous-marin envisageable consistait à la mise en place de normes nationales, uniquement applicable dans la limite des trois milles marins, puisque de toute manière, les techniques contemporaines ne permettaient pas d’explorer au-delà de cette limite. Or, l’invention du scaphandre autonome par Jacques-Yves Cousteau en 1942 et l’amélioration des vaisseaux de plongée ont rapidement entraîné un retard du droit sur la technique. Les nouveaux procédés d’exploration ont peu à peu rapprochés les plongeurs des grands fonds, zones dans lesquelles les épaves étaient nombreuses, bien conservées et non protégées par les normes nationales. Une étude de 1974 a pu prouver que toutes les épaves situées au large des côtes turques avaient été pillées alors que dans les années 90, les archéologues israéliens estimaient que près de 60% des objets culturels originellement immergés dans les eaux israéliennes avaient été récupérées et dispersées sans pour autant laisser de traces dans des collections publiques. De même, les scientifiques français estime le nombre d’épaves inviolées le long des côtes françaises à 5% seulement. 

Il fallut attendre 1982 et la célèbre convention de Montego Bay pour que le droit à la protection du patrimoine culturel sous-marin soit enfin abordé, brièvement cependant. Les questions concernant la propriété des épaves découvertes en haute mer par exemple, ne furent pas réglées par le texte, malgré une tentative d’amendement de la part de l’URSS qui proposait d’attribuer tout vaisseau trouvé ainsi que son équipement au pays dont il arborait le pavillon. La convention a cependant permis d’établir des régimes particuliers aux objets de valeur archéologique et historique sous-marins par ses articles 149 et 303, insuffisants cependant et trop aisément contournés par les chasseurs de trésors les plus doués. Les textes se contentaient en définitive de prévoir, d’une part, une obligation de protection de ces biens et, d’autre part, une extension de la juridiction de l’État côtier à l’égard des objets archéologiques trouvés dans sa zone contiguë. Pour le reste, elle n’entendait porter aucune atteinte aux droits des propriétaires identifiables, au droit de récupérer des épaves et aux règles de droit maritime. Quant aux normes nationales, prises indépendamment, une inégalité des plus totale était à déprécier alors que d’une part certains pays présentaient une législation trop faible pour être efficace pendant que d’autre part d’autres possédaient des mesures largement suffisantes voir même excessives. 

 

Heureusement, la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 (UNCLOS) autorisait expressément à son article 303, paragraphe 4, la mise en place d’un accord international plus spécifique en matière de protection du patrimoine culturel immergé. C’est sur cette base que fut élaborée la Convention de l’UNESCO sur la protection du patrimoine subaquatique de 2001. La convention reconnaît ce patrimoine comme étant partie intégrante du patrimoine culturel de l’humanité et est conçue de manière à garantir sa préservation au moyen d’un cadre législatif spécifique de protection et de coopération entre ses États parties. Le règlement ainsi établi doit être justement appliqué par tous ses membres signataires, conformément au droit international et notamment l’UNCLOS.

 

L’article premier de la convention dispose précisément la définition de patrimoine subaquatique culturel comme désignant « Toute trace d’existence humaine présentant un caractère culturel, historique ou archéologique qui ont été partiellement ou entièrement immergés, périodiquement ou en permanence depuis 100 ans au moins (…) ». Le texte fixe pour norme un niveau élevé de protection des sites archéologiques sous-marins afin d’en freiner, voir même, bloquer le pillage et la destruction et peut être comparé aux autres conventions de l’Unesco ou législations nationales mises en place pour la protection du patrimoine culturel terrestre. Si la convention, indépendante de tout autre traité, fixe des exigences minimales en la matière, chaque état partie peut développer s’il le souhaite des normes plus élevées de son propre chef et ne porte aucunement atteinte aux droits, juridictions et devoirs des États, fixés par le droit international et notamment l’UNCLOS. La convention, ayant elle-même fixé sa date d’entrée en vigueur à son article 27, est officiellement entrée en vigueur le 2 janvier 2009 et compte à l’heure actuelle 58 membres signataires, un début puisqu’encore d’autres États s’apprêtent à devenir parties, suite à la reconnaissance et à la préoccupation croissante, au sein des membres de l’UNESCO, de sauvegarder les sites archéologiques submergés. L’UNESCO a d’ailleurs même complété ses vœux de préservations en publiant un « code de déontologie pour la plongée sur les sites de patrimoine culturel subaquatique ». Il est ainsi possible aujourd’hui d’explorer, armé de simples bouteilles d’air le site de Baïes dans le golf de Naples pour étudier le mode de vie de l’aristocratie romaine de l’époque d’Auguste et d’Hadrien ou encore celui de la ville de Thonis-Heracleion, ville égyptienne du héros solaire Héraclès, témoignant de la proximité des civilisations grecques et égyptiennes. Les épaves de la Lune de la flotte du roi soleil, celle du HMS Sussex, monument de la Royal Navy ou encore celle du HMHS Britanic, plus grande épave de Méditerranée située au large de Ken en Grèce et tous leurs pairs ne peuvent plus espérer couler des jours solitaires sur le fond méditerranéen et auront tôt fait de révéler leurs secrets aux scientifiques et archéologues, avides de réécrire et compléter l’Histoire sans se voir entravés par des pilleurs ou chasseurs de trésors égoïstes œuvrant en marge de la loi. 

 

 

 

Mathilde Pezirianoglou-Prevot


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