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Oui à l'ingérence franco-italienne !

     L’actualité récente a vu l’ambassadeur français rappelé de Rome pour consultations, une première depuis Mussolini. Le motif[i], la quantité astronomique de compliments que nos dirigeants se sont envoyés ces derniers mois conclue par la visite de M. Di Maio à une liste gilets jaunes. Le 7 janvier, M. Di Maio publie une lettre de soutien aux gilets jaunes, le 20 il accuse la France « d’appauvrir l’Afrique », puis à M. Salvini de reprendre en affirmant que le Président Macron est « un très mauvais Président », ce que notre bon Président conclura par une déclaration d’apaisement ; « le peuple Italien est notre ami et mérite des dirigeants à la hauteur de son histoire. »[ii].

 

     Mme de Recamier et Châteaubriant peuvent être fiers de ces échanges. Pourtant, ils ne sont pas sans contradiction entre les doctrines politiques affichées et leurs application. D’un côté, des souverainistes plaident l’unité de la scène politique européenne pour écarter l’ingérence. De l’autre, des « europhiles » face à ce qu’ils considèrent comme une intrusion dans un débat strictement national crient à l’ingérence et au respect de la souveraineté.

 

     Pourquoi des souverainistes attachés aux frontières nationales se permettraient-ils de réduire les Alpes en un tas de pierre ? Certes le gouvernement italien est réactionnaire[iii] sur de nombreux points, mais de là à dire que M. Di Maio et M. Salvini considèrent que la frontière entre nos deux pays n’existe plus marquerait soit une adhésion totale au fédéralisme européen – à quand une coalition Cohn-Bendit Salvini ? – soit une réaction impériale pleine de remords de l’époque napoléonienne où le représentant de la France à Rome n’était pas ambassadeur mais préfet. Aucune de ces thèses ne semble recevable, pourtant, force est de constater que la coalition à la tête de l’Italie par la visite du Ministre Di Maio aux gilets jaunes a bel et bien commis une ingérence en apportant son soutien à un mouvement désirant ouvertement renverser le Président Macron.

 

     De l’autre côté des Alpes, seconde incompréhension. Le Président Macron a proposé un scrutin de liste transnational[iv] avec pour objectif de renforcer la scène politique européenne. Au moment où ses opposants italiens reconnaissent de fait par leurs interventions l’existence de cette scène politique, le Président s’insurge d’ingérence. Pourtant les élections européennes sont l’un des rares moments où notre citoyenneté commune invite à ce type d’échanges. Comment reprocher à un concurrent politique d’apporter son soutien à une liste ? Luigi Di Maio reconnaît par sa visite (par son adhésion à l’agora giratoire) l’existence de la scène politique européenne. Dans ce cas, M. Macron ferait-il primer la conscience nationale sur la conscience de classe ? C’est-à-dire que les identités nationales doivent primer sur l’identité européenne pendant les élections ? Cette réaction est plutôt surprenante de la part d’un fédéraliste européen.

 

     Revient l’éternelle question de la nature politique des gilets jaunes. S’agit-il d’un mouvement politique qui par ses listes aux européennes a (enfin) réussi à se structurer ou d’une menace factieuse ? Dans la première des hypothèse, M. Di Maio n’a fait que participer aux élections européennes comme citoyen européen. Dans la seconde hypothèse, la visite du Ministre en France est une ingérence dans la vie de notre pays. Mais la situation n’est malheureusement pas binaire. Les gilets jaunes sont à la fois dans un processus de structuration salutaire par leur structuration et dans une dérive factieuse allant du vandalisme à un anti républicanisme épicé d’antisémitisme.

 

     Tout dépend donc de la définition de ce mouvement que constitue des gilets jaunes et de comment on le perçoit. Sans même essayer de rentrer dans ce débat des gilets jaunes, l’illisibilité de ce mouvement n’a-t-elle pas été le terrain d’une dispute entre deux peuples si étroitement liés que l’on en peine à en distinguer les différences ? Le poids de l’histoire n’est pas le même entre l’Italie et la France qu’entre la France et l’Allemagne. Le Rhin, quand il est violé, annonce le pire. Alors que quand les Alpes sont traversées, elles, sont porteuses d’espoir.

 

     L’Italie est née d’interventions françaises dans la péninsule. Que ce soit Napoléon ou pendant le Risorgiamento[v]. La France doit beaucoup au peuple italien qui a contribué à sa libération au sortir de la seconde guerre mondiale. En témoigne le soutien contradictoire de Mitterrand aux Brigades Rouges italiennes. Économiquement, nous sommes totalement interdépendants comme le rappelle le Quai d’Orsay : « la France est le deuxième client et le deuxième fournisseur de la péninsule. L’Italie est le troisième fournisseur et le quatrième client de la France »[vi]. Nos sociétés civiles sont étroitement liées.

 

     En dehors du contexte européen, il y a une histoire commune entre nos deux peuples qui fonde ces échanges. La question de la légitimité de cette intervention est aussi à renvoyer du côté italien. Elle n’appartient pas qu’aux journaux français. Ce n’est pas qu’à la société civile de qualifier les gilets jaunes mais aussi à M. Di Maio d’évaluer ce mouvement pour justifier ou non sa participation sur la scène politique européenne. Se poser cette question, c’est alors reconnaître le droit à nos gouvernements de s’adresser directement à nos peuples, qui ne sont peut-être pas si distincts.

 

     L’Europe s’est moins construite par la vertu que par le vice de nos dirigeants. Les élections européennes permettent à ces derniers de s’écharper en bon droits sans commettre d’ingérence. Le vice de l’homme, nous disait Schopenhauer[vii], est de ne pas chercher la vérité mais de chercher à avoir toujours raison. Et s’il fallait plus de vices entre nos dirigeants, et s’il fallait « que rien ne change pour que tout change ? »[viii].

 

Alexandre CHAZELLE

 

 

 

[i] Question 2, « Entretien du Ministre des Affaires Étrangères Jean-Yves Le Drian », Corriere della Sera, 14.02.2019, https://it.ambafrance.org/La-France-est-prete-a-travailler-avec-l-Italie-dans-le-respect-mutuel-et-l.

[v] Guerre civile italienne de 1861 à 1870 permettant l’(a ré)unification de l’Italie avec le soutien de la France.

 

[vii] Arthur Schopenhauer « L’art d’avoir toujours raison » 1831.

 

[viii] Giuseppe Tomasi di Lampedusa « Le Guépard », 1958. Phrase d’origine ; « pour que rien ne change il faut que tout change ».


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