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Procès Bendaoud : Couvrez ce terroriste que je ne saurais voir !

Fin janvier avait lieu le procès de Jawad Bendaoud, dit « le logeur de terroristes », à qu’il était reproché d’avoir hébergé l’un des instigateurs des attentats terroristes du 13 novembre 2015. Les médias parlaient alors d’un procès hors normes puisqu’il fut présenté, à tort, comme le premier relatif aux événements qui avaient touchés Paris il y a deux ans. Mais il faut reconnaître que la démesure des audiences était au moins logistique : plus de 250 victimes représentées et tout autant de conclusions plaidées. Or, au regard de la qualification qui avait été retenue contre notre star du prétoire et la peine alors encourue de trois ans maximum, cette disproportion semble bien paradoxale. Alors, comment ça marche le recel de terrorisme ? 

 

D’abord, particularité française : des recels, il en existe beaucoup. Alors qu’en Allemagne ou en Italie, on connaît des terminologies générales simplifiant la répression (respectivement Regünstigunget Favoreggiamento), la France a raté cette opportunité qui s’est pourtant présentée lors de la réforme du code pénal en 1992. Aujourd’hui, il faut rechercher dans des textes éparses toutes les manifestations du recel de malfaiteur. Par exemple, l’article L.321-19 du Code de justice militaire incrimine le recel de déserteur. Il existe même un recel d’insoumis prévu par l’article L.128 du Code du service national. Plus classiquement, le Code pénal sanctionne le fait de fournir des locaux ou des véhicules à des personnes se livrant à la prostitution. Il est à noter que dans ce dernier cas, est incriminé le fait de donner l’asile à une personne qui ne commet pourtant aucune infraction. Enfin, le plus « célèbre » des recels : celui prévu par l’article 321-1 du Code pénal, scindé en deux manifestations du délit : le recel-dissimulation et le recel-profit. Dans tous ces cas, l’idée du législateur est toujours d’incriminer le concours apporté a posteriori de l’acte délictueux ou criminel. Tout ce que touche l’infraction d’origine est contaminé par une criminalité d’emprunt. Et pourtant, en tant qu’infraction distincte et autonome, le recel de malfaiteur n’impose ni la condamnation définitive du recelé (et même s’il est acquitté : Cass. crim. 2 mai 1946 : Bull. crim. n° 116) ni même la connaissance exacte du crime reproché (Cass. crim. 25 janv. 1894 : DP 1898. 1. 287). 

Le recel reproché à Jawad Bendaoud est celui présenté par l’article 434-6 du Code pénal. Il prohibe le fait de fournir à la personne auteur ou complice d’un crime ou d’un acte de terrorisme puni d’au moins dix d’emprisonnement un logement, un lieu de retraite, des subsides des moyens d’existence ou tout autre moyen de la soustraire aux recherches ou à l’arrestation. L’élargissement du champ de l’incrimination aux actes de terrorisme par la loi de 1996 (L. 96-647 du 22 juill. 1996) résulte des lacunes dans la rédaction d’origine de l’infraction. En effet, l’ancien Code pénal fixait un plafond de cinq ans pour les peines privatives de liberté délictuelles contre dix ans actuellement. Ce relèvement a eu pour conséquence que certaines infractions correctionnalisées s’en retrouvaient facilitées, au moins dans la dissimulation de leurs auteurs comme par exemple le délit d’extraction. 

Présenté de la sorte, beaucoup auraient présumé  que M. Bendaoud correspondait parfaitement au portrait dressé par ce texte, surtout depuis la réforme de 1996. Et la jurisprudence ne leur aurait pas donné tort. Les juges peuvent se montrer particulièrement stricts dans l’application du délit de recel de malfaiteur. Ainsi, en 2003 était rejeté le pourvoi d’une infirmière condamnée car ayant hébergé et soigné un criminel portugais blessé par balle. La demandeuse évoquait l’état de nécessité découlant du mobile humanitaire puisque, selon elle, les infirmières ont un devoir de secours et de soins à l’égard de toute personne malade (Cass. crim. 17 sept. 2003, Bull. crim. n° 165). La Cour de cassation, dans un attendu plus que laconique, rejettera le pourvoi alors que l’argument de l’obligation de porter secours avait déjà fleuri dans d’autres domaines (v. notamment, Cass. crim. 11 avril 1964, Bull. crim. n°113). 

L’élément matériel de l’article 434-6 se veut suffisamment large pour couvrir un large champ d’action qualifiant le recel de malfaiteur ou de terroriste. Ainsi, la simple indication d’un mandat d’arrêt rend coupable le commissaire de police qui prévient l’individu sur ce fondement (Cass. crim. 14 juin 1951 : Bull. crim. n° 176). L’ajout de dispositions contre le recel de terroriste par l’article 7 de la loi de 1996 fait tomber les actes de l’article 421-3, 5° du Code de procédure pénale ainsi que les articles 421-2-1 et 421-2-2 du Code pénal, incriminant respectivement les délits d’association de malfaiteur en vue de la préparation d’actes de terrorisme et de financement d’entreprise terroriste, sous le domaine d’application de l’article 434-6. Enfin, l’élément moral est classique : en vertu de l’article 121-3, le délit de recel de malfaiteur est un délit intentionnel. En l’absence d’un dol spécial, les juges doivent se contenter de caractériser la connaissance de la situation criminelle de la personne recelée ainsi que la volonté effective, de l’aider à se soustraire aux enquêteurs. La Cour de cassation contrôle pour autant la suffisance de cette caractérisation. Ainsi, est censurée la Cour d’appel qui se contentait de relever que le prévenu avait reconnu avoir reçu deux personnes accusées et qu'il ne pouvait donc prétendre, de ce fait, ignorer qu'il s'agissait de malfaiteurs poursuivis par la loi (Cass. crim. 13 oct. 1955, Bull. crim. n° 408, D. 1955. 738, Gaz. Pal. 1955. 2. 371, RSC 1956. 109, obs. L. Hugueney). C’est d’ailleurs cette absence de caractérisation de l’élément intellectuel qui justifiera, en l’espèce, la relaxe de l’intéressé par la 16ème Chambre correctionnelle. 

 

Au final, l’infraction qui a été retenue à l’égard de Jawad Bendaoud est pour le moins classique. Elle permet de pallier à l’impossibilité juridique de retenir une complicité, non prévue, a posterioride la réalisation de l’infraction. Elle évite ainsi l’impunité de tous ceux qui, même par opportunisme, ont apporté leur concours à l’acte criminel. Néanmoins en l’espèce, l’écart entre la répression encourue pour ce recel et l’acte terroriste à l’origine est frappant, accentuant cette idée de décalage. Ce sentiment n’en sera que renforcé par la décision elle-même puisque Jawad Bendaoud fut relaxé le mercredi 14 février par tribunal correctionnel qui a estimé que l'homme qui avait hébergé deux des terroristes des attentats du 13-Novembre ne l'avait pas fait en connaissance de cause. 

 

Thomas Bugada


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