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Vrai sport, loterie ou show marketing ? Comment le droit voit l’Esport

Avec une prévision de revenus globaux estimés à un milliard de dollars en 2019 et plus de soixante-dix millions de spectateurs toutes compétitions et plateformes confondues, le sport électronique constitue le secteur du divertissement le plus dynamique. S’il n’y a pas lieu ici de trancher ce nœud gordien que peut être la question du sport électronique comme activité sportive stricto sensu, l’intérêt (financier principalement) que suscite le phénomène pour les acteurs économiques et marketing du monde vidéo-ludique justifie que le droit se saisisse peu à peu du sujet, quand bien même le juriste lambda n’est pas familiarisé avec les notions d’headshoot 360° no-scope. Vous l’aurez compris : cet article ne parle malheureusement d’aucun de vos Top 1 sur Fortnite.

L’Esport est l’appellation classique donnée aux compétitions entre joueurs sur un jeu vidéo. Plus précisément, il est « une forme de sport dans laquelle les principaux aspects sportifs sont facilités par des systèmes électroniques : autant l’input des joueurs que l’output du système sont intermédiés par une interface entre l’humain et l’ordinateur ». Rien d’incompréhensible donc malgré la relative nouveauté du phénomène. La première compétition d’Esport a eu lieu au sein du Massachusetts Institut of Technology en 1972 sur le jeu Spacewar. Le cadre y était donc d’abord universitaire puisqu’il prenait alors place au prestigieux MIT du fait des balbutiements des logiciels informatiques de l’époque. Cela illustre également la première étape de l’Esport qui a été de se baser sur les jeu dit d’arcade où le joueur avait pour principale objectif le score qu’il obtiendrait à la fin de sa partie qui l’oppose la machine. Ce n’est qu’avec les années quatre-vingt-dix et le développement des connexions réseaux privées, ou Local Area Networks(LAN) que la compétition vidéoludique se transforme en opposition entre deux ou plusieurs joueurs humains. Cette forme moderne de l’Esport est également portée par la suprématie naissante des jeux de tir à la première personne (Ou first-person shooter) représentés par les parents du genre qu’ont été Doomen 1993 et Quakesorti trois ans plus tard. Mais comme souvent, il faudra attendre le temps d’un très long écran de chargement pour que la loi intervienne.

En effet, ce type d’événement ne fut finalement nommé par le droit français que récemment. C’est à l’occasion de l’enregistrement du projet de loi pour une République numérique, le 9 décembre 2015, que le législateur autorisa le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance afin d’exclure les compétitions vidéo-ludique de l’interdiction des loteries instituée par les articles L. 332-1 et suivants du Code de la sécurité intérieure. En effet, la loi pour une République numérique ne devait, à l’origine, réformer les compétitions d’Esport qu’en les distinguant des loteries puisque ces dernières font l’objet d’une interdiction générale, frein absolu et inopportun au développement du sport vidéo ludique. Le monopole d’État sur les jeux à gratter valait bien le mécontentement de quelques gamersboutonneux apparemment.

La cause de cette assimilation anachronique entre loterie et Esport est à la fois légale et prétorienne. Dans un premier temps, c’est l’opposition entre un arrêt de la Cour d’appel de Toulouse et la jurisprudence de la Cour de cassation qui annonce la qualification des compétitions de jeux vidéo comme loterie. En effet, une décision de la troisième chambre des appels correctionnels de Toulouse du 17 janvier 2013 refuse cette qualification au poker « Texas Hold’em »en s’appuyant sur la jurisprudence historique de la Cour de cassation. Et pourtant, cette dernière ne sembla pas s’en satisfaire. À l’occasion d’une autre affaire, elle considéra que le poker, sous toutes ses formes, tombe sous le coup de l’interdiction des loteries.

Dans un second temps, la loi elle-même est venue parfaire l’amalgame entre sport électronique et loterie. En effet, l’article L. 322-1, issu de l’ancienne loi du 21 mai 1836 énonce le principe de prohibition générale des loteries. L’article L. 322-2 présume ensuite comme loterie les opérations laissant apparaître la chance d’un gain financier dont l’attribution est même partiellement dû au hasard et pour lequel les participants ont contribué financièrement. Le lien entre ces dispositions et les compétitions d’Esport a alors été fait par la loi relative à la consommation du 17 mars 2014 qui ouvre la qualification de loterie aux jeux faisant appel au savoir-faire du joueur et modifié l’article L. 322-2 qui faisait de l’espérance d’un gain acquis par le sortune condition à la prohibition. 

L’étude de cette assimilation malencontreuse entre loteries et compétitions d’Esport lors des travaux parlementaires sur la loi pour une République numérique a été l’occasion d’un rapport parlementaire désireux d’aller plus loinet faisant objet de onze propositions visant à améliorer les situations à la fois des participants et joueurs professionnels mais également des organisateurs de ces événements. C’est sous l’angle de ces deux principaux acteurs de l’Esport que se focalisa la réforme ainsi opérée par la loi pour une République numérique adopté le 28 septembre 2016. La reconnaissance par le droit de l’Esport et plus généralement, du jeu vidéo, voyait ainsi le jour, donnant l’actuel cadre légal à ces thématiques. Le dispositif tient alors en deux articles et deux décrets d’application les précisant.

Du côté des organisateurs

La libération de la manette voit son origine dans l’introduction d’un article L. 321-9 au Code de la sécurité intérieure. Il exclut de l’interdiction des loteries « les compétitions de jeux vidéo organisées en la présence physique des participants, pour lesquelles le montant total des droits d'inscription ou des autres sacrifices financiers consentis par les joueurs n'excède pas une fraction[...] du coût total d'organisation de la manifestation incluant le montant total des gains et lots proposés ». Cette disposition, si elle a le mérite d’exister, fait néanmoins l’impasse sur les événements en ligne, qui se déroulent sans la présence physique des joueurs et qui sont par nature, facilités dans le secteur de l’Esport.

La loi subordonne par la suite l’organisation de ces manifestations à un régime souple d’autorisation auprès du service du Ministère de l’Intérieur chargé des courses et jeux. Il soumet enfin l’Esport au droit commun des paris puisque le nouvel alinéa 3 de l’article L. 321-8 du code de la sécurité intérieure énonce leur non-inclusiondans les compétitions vidéo-ludiques. Il échapperaita fortioriau champ de la délégation de service public à la base du régime d'autorisation des paris sportifs. 

Malgré ces largesses dans le régime juridique instauré, les principaux acteurs dans l’organisation de ces événements soulignent une précipitation dans l’encadrement, effleurant les sujets passés et ignorant ceux à venir. Les autorités belges ont par exemple décidé l’interdiction du système de « lootbox »sur plusieurs jeux majeurs tels FIFA 2018 ou Star Wars Battlefront II. Le train est donc raté pour la France.

Du côté des joueurs

La réforme opérée en 2016 a permis de prendre en compte une caractéristique importante de l’Esport : l’importance quantitatif des joueurs mineurs. En dessous de l’âge de douze ans, toute compétition offrant une récompense monétaire est interdite et seuls l’honneur ou les goodies pourront motiver vos marmots. Logiquement, quel que soit son âge, le mineur devra être autorisé par son représentant légal et informé des enjeux financiers support de la compétition. Concernant les joueurs professionnels, ils sont définis comme « toute personne ayant pour activité rémunérée la participation à des compétitions de jeu vidéo dans un lien de subordination juridique avec une association ou une société bénéficiant d'un agrément du ministre chargé du numérique ». Le législateur s’aligne ainsi sur l'article L. 222-2, 1° du code du sport en se basant sur le rapport « Sur le statut des sportifs »du 18 février 2015. L’assimilation entre sport et Esport est donc faite au moins sur le sujet du statut des professionnels de ces secteurs puisqu’en effet, la courte durée des carrières, l’aléa et le marché des transfert sont autant de facteurs qui justifient une comparaison entre eux. Les gamers se sont donc vu ouvrir les portes du contrat à durée déterminée dérogatoire prévu pour les sportifs stricto sensu ainsi que tous les inconvénients qui ont pu lui être reprochés. Ce contrat spécifique ne peut néanmoins être délivré que par les associations ou sociétés ayant reçu l’agrément du Ministère chargé du numérique. Signe peut-être d’une inadéquation de ce statut, à l’heure actuelle, seules trois équipes professionnelles ont demandé cette faculté.

Ainsi, sous le prisme du droit, l’Esport se décompose plus ou moins judicieusement. Événementiel ciblé concernant les organisateurs, sportif pour les joueurs professionnels, la loi pour une République numérique emploi une conception distributive du sport électronique. Elle cherche à aligner aux différents acteurs du secteur les régimes juridiques les plus adaptés selon leurs rôles. Mais le droit positif ne prend malheureusement pas en compte les spécificités du médium qu’est le jeu vidéo et, surtout, le caractère international du phénomène. En attendant, on se contentera du mode solo de Call of Duty apparemment…

 

Gordon Freeman


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