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RAVING IRAN : LA MORT POUR BOUSSOLE

Le 11 septembre à l'occasion du festival toulousain Electro Alternativ le cinéma l'ABC a rediffusé un reportage paru en 2016 de Susanne Regina Meures : Raving Iran.

            Arash et Anoosh travaillent comme DJs dans le milieu croissant de la techno underground à Téhéran. Sans perspectives d’avenir et fatigués de l’éternel jeu de cache-cache avec la police, ils programment dans les conditions dangereuses une dernière rave frénétique en plein désert. De retour à Téhéran, ils tentent vainement de diffuser leur album de musique non autorisé. Lorsqu’Anoosh est arrêté dans une fête, s’éteint leur dernière lueur d’espoir d’un avenir en Iran. Mais voilà qu’ils reçoivent un appel de la Streetparade de Zurich, la plus grande fête techno du monde. Après les angoisses de l’attente, un visa de cinq jours leur est accordé. Arrivés en Suisse, les interviews se multiplient dans les radios et les journaux et les millions de raveurs et collègues DJ les propulsent subitement dans une autre dimension. L’euphorie s’évanouit cependant lorsque le retour approche qui les met devant une grande décision : rester en Europe ou prendre le risque de rentrer en Iran.

 

            En effet nos deux protagonistes évoluent dans un contexte bien particulier: celui de la République islamique d'Iran régie par la Constitution de 1979 adoptée par Ayatollah Khomeini, laquelle repose sur une interprétation particulière des lois coraniques. Le pays est sous le régime des Mollahs, une population Chiite dominante, dont la fonction politique et religieuse est celle d'interpréter à la place de l'Imam la loi religieuse dite Charia, afin d'en faire une traduction politico-juridique. Afin de réaliser cette traduction politique durant son règne, A. Khomeini a fondé en 1979 une milice religieuse nommée Bassidj composée de femmes et d'hommes, dans le but de répondre aux besoins militaires du conflit pétrolier entre l'Iran et l'Irak. Les Bassidjs ont aujourd'hui sous l'actuel président Iranien, Hassan Rohani un rôle de sécurité intérieure aussi important que leur mission initiale de sécurité extérieure, puisqu'ils ont pour mission de produire un contrôle social externe formel sur les citoyens, c'est à dire faire appliquer les lois religieuses. C'est pourquoi l’on compte environ quatre millions de Bassidjs pour quarante-quatre millions de citoyens, présent dans les villes, dans les campagnes dans l'intention d'exercer une pression légitimée par le gouvernement qui donne carte blanche pour remettre les populations sur le droit chemin en cas de manquement, comme par exemple faire de la musique occidentale au regard d'Arash et Anoosh qui risquent la peine de mort pour l'organisation d'une soirée underground considérée comme fête satanique par l’État.

           

            Finalement le documentaire met en exergue la manière dont la société dans laquelle évoluent Arash et Anoosh les conduit à faire un choix constant entre mourir, au regard des peines encourues et vivre dans l'ombre, développant de fait une société underground parallèle où la jeunesse iranienne semble tendre à de nouveaux horizons bien loin des normes imposées par le gouvernement.

 

            Vivre dans l'ombre pour des jeunes Iraniens comme nos deux héros pourrait se traduire comme vivre enfermé dans des lieux privés, c'est à dire chez soi, chez des amis, à l’hôtel, etc., loin du regard de la police, loin des Bassidjs. Cela s'incarne par la «liberté» de s'habiller comme ils le souhaitent, sans le voile pour les femmes par exemple, en jean, porter une casquette, une paire de Nike, in fine tous les symboles occidentaux considérés comme blasphématoires par le gouvernement religieux. C'est aussi la liberté de faire la fête, toujours à huis clos, en essayant de ne pas alerter les voisins, (qui sait, un Bassidj pourrait vivre en face) en consommant de l'alcool, en écoutant le dernier album de rap US en vogue. Cependant faire une fête à la maison relève d'un privilège de classe en Iran puisque l'alcool étant interdit au même titre que la drogue, il est nécessaire d'user de procédés illégaux coûteux pour un Iranien de classe ouvrière comme acheter de l'alcool via un dealer. Ainsi les Iraniens ne sont pas tous égaux face aux tentatives de procuration des symboles de libertés.

           

            Aussi comme nous le comprenons à travers Raving Iran l'oppression gouvernementale produit de manière quasi systématique une aspiration d'émancipation des jeunes Iraniens perdus entre la vie que l'on tente de leur imposer (la vie telle qu'elle est) et la vie désirée (telle qu'ils voudraient qu'elle soit) incarnée dans leur imaginaire commun par l'occident à travers ses codes vestimentaires notamment, comme nous l'avons vu précédemment. Toutefois, il est important de préciser qu'il ne s'agit selon eux pas tant d'une forme d’impérialisme de l'occident, que d'une forme d'outil de contestation du pouvoir politique. En effet, c'est une manière de vivre une liberté fantasmée par procuration, qui peut passer également par les voyages souvent restreints aux pays frontaliers tels que la Turquie ou plus généralement l'Asie, car l'Iran possède une forte réglementation en matière de voyages en Europe et plus largement dans le monde occidental, à l'image de nos deux DJs. Souvent limitées aux justificatifs professionnels ces restriction excluent de fait une grande partie des citoyens qui, d'une part, en raison des motifs de mobilité se voient refuser l’attestation d'un visa, puis, d'autre part, en raison des moyens économiques et du capital social à savoir le réseaux et l'influence nécessaire afin d'obtenir des visas de voyages sans passer par le procédé classique de demande, condamne la majorité des Iraniens à rester dans le pays.

 

            Enfin parfois la colère de cette société underground qui s'est développée déborde du cadre secret. Comme par exemple lors des révoltes de grandes envergures en mars 2018 dans tout l'Iran à l'occasion de la fête du feu, Charshanbeh-Suri. Où cette fête traditionnelle Iranienne sans caractère religieu ayant pour but de célébrer le printemps est devenue au fil des années un moyen légal de protestation de la jeunesse Iranienne qui use de ses propres traditions afin de contester l'ordre établit. De telle sorte que le procureur général de la république Mohammad Montazeri a désigné la manifestation d'ennemie du régime.

 

            Dans ce film clandestin bercé par les lumières tamisées de Téhéran et l'humour dramatique d'Arash et Anoosh, le spectateur vit durant quelques heures la violence constante d'une vie de l'ombre menacée par la lumière d'un gouvernement rigoriste dont l'unique crainte est de voir l'ordre établi remis en cause par des manières de penser, de vivre et d'agir extérieur à l'ordre dominant, à l'image de la vie d'artiste qu'a décidé d'entreprendre ces deux jeunes Iraniens.

 

                                                                                                                           Alexandre Gassier

           

 

 


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