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Lobbies, fonds d’activistes, comment ces acteurs ont-ils pris une place prépondérante dans les manœuvres décisionnelles ? La fiche éco du jour se charge d’y répondre

À l’aube de la réforme constitutionnelle prévue initialement pour 2018, plusieurs événements sont venus perturber l’emploi du temps à l’Élysée. Si des affaires médiatiques ont monopolisé l’actualité pendant des semaines, la démission du Ministre de la Transition Écologique, M. Hulot a marqué nos esprits en annonçant que ce départ est la raison de la présence très remarquée d’un lobby aux côtés du Président de la République. Cette nouvelle, hâtivement parue sur les médias, a permis de mettre sur la table la question de l’influence des lobbyistes et tout ce qu’ont les groupes de pression pour servir leurs intérêts. Entrons donc dans le vif du sujet en commençant par… les premières apparitions et c’est bien évidemment l’histoire qui saura nous en conter de belles !


            Le lobbying serait né aux États-Unis. C’est tout au moins l’idée communément reçue. Patrick Romagni (1995) resitue quant à lui l’ancrage du lobbying en Grande-Bretagne, où le terme « lobby » évoque tout d’abord les couloirs de la Chambre des Communes britannique. Au début du XIXème siècle, le terme évolue pour désigner un groupe de pression. Ainsi vers 1830, le lobby est un groupe de pression qui agit sur les élus de la Chambre des Lords et de la Chambre des Communes. Puis le lobby part à la conquête des États-Unis, qui devient la patrie du lobbying. Le terme est lié au Président Ulysses S. Grant, qui désignait sous le terme de lobbying la salle d’attente de l’Hôtel Willard à Washington, où ses bureaux étaient établis ; de nombreux solliciteurs s’y pressaient chaque jour afin de faire entendre leurs points de vue sur les projets mis en chantier par le gouvernement. C’est bien pour cette raison que des nouvelles structures telles que les fonds d’activistes sont apparus outre-Atlantique et plus généralement aujourd’hui dans les pays anglophones. En France, il faudra attendre la loi Waldeck-Rousseau de 1883 et surtout la loi de 1901 sur les associations pour que les activités de lobbying soient autorisées, leur véritable participation datant des années 60.

 

L’importance des lobbies a toujours été soulignée par des décisions qui ont perturbé l’environnement initialement prévu. En 1902 le chantier du canal de Panama a été le fruit de la réussite d’activités lobbyistes : le site de Panama, en difficulté car éclaboussé par la faillite se trouve alors en compétition avec celui du Nicaragua. Sur la base de recherches en cours depuis 1886, le Nicaragua aurait dû être le terrain pour un futur canal par Washington, mais l’ingénieur français Bunau-Varilla et l’avocat Cromwell s’attachent à convaincre le Congrès américain que le projet panaméen est plus avantageux. Pour cela, 60 000 dollars sont distribués aux membres-clés du Parti républicain. Philippe Bunau-Varilla et l'avocat d'affaires, décrié, William Nelson Cromwell développent une stratégie d'influence auprès de la présidence américaine ainsi que du Congrès américain, pour favoriser le choix de Panama.. Contre la recommandation de la Commission parlementaire Walker, l’amendement Spooner permet l’acquisition des droits pour quarante millions de dollars. Le vote du 19 Juin 1902 dégage cinq voix d'avance en faveur du Panama, à l'issue du parcours juridique du projet. Le Traité Hay-Bunau-Varilla du 18 Novembre 1903 conclut ainsi la vente des droits d’exploitation et de construction du canal aux États-Unis. L’ouvrage sera creusé au Panama.

 

Qu’en est-il du contexte actuel ?

 

Le philosophe F. Fukuyama souligne l’explosion de ces « groupes d’intérêts puissants qui peuvent bloquer des changements nécessaires » : de 175 en 1971, on en comptait 2 500 dix ans plus tard. À présent, le nombre de lobbyistes enregistrés au Congrès des États-Unis est de 35 000. Au sein de tous ces inscrits on distingue même aujourd’hui la présence de lobbies étrangers dans les prises de décision de l’administration américaine. C’est l’exemple assumé du puissant lobby iranien, du lobby saoudien pour lequel les États-Unis ont un passé très conséquent mais aussi du lobby turc et plus récemment du lobby de Pékin rappelant de vieux conflits (notamment toute l’histoire communiste de la Chine) qui a atterré le républicain Frank Wolf critiquant que « personne n’aurait représenté le gouvernement russe dans les années 1980 ».

En France les lobbies ont désormais l’obligation de s’inscrire sur un répertoire mis à disposition par la Haute autorité de la transparence pour la vie publique (HATVP). La liste comprendrait plus de 800 lobbies, ce qui paraît faible lorsqu’on voit que l’Italie en compte presque 1 700. Chiffre assez étonnant quand on sait que les plus grandes multinationales comme LVMH, Google France ou Facebook France font partie des acteurs enregistrés. En effet si les lobbies sont apparus plus tardivement sur le territoire, c’est sans négliger la place des associations et surtout des syndicats qui, déjà auparavant, luttaient activement sur le terrain arguant la défense de leurs intérêts respectifs.

Plusieurs distinctions expliquent une approche différente des lobbies ou simplement du groupe de pression dans les différents pays. La plus significative s’exerce avec les pays ayant connus ces activités d’influence à une époque plus ancienne comme les États-Unis ou l’Angleterre, au niveau de l’appréhension dans la société et de la réputation que peut représenter ce type de structure à l’égard de certains scandales de corruption faisant la joie des journalistes au grand dam de grands politiciens et hommes d’affaires (Affaire Barroso/GS). Déjà en 1936, le Président des États-Unis Franklin Delano Roosevelt prononça un discours pugnace lors duquel il accusa sans détour les lobbies : « Nous avons dû lutter contre les vieux ennemis de la paix, le monopole industriel et financier, la spéculation, la banque véreuse, l’antagonisme de classe[...] Ils avaient commencé à considérer le gouvernement des EUA comme un simple appendice à leurs affaires privées. Nous savons maintenant qu’il est tout aussi dangereux d’être gouverné par l’argent organisé que le crime organisé. »

Dans l’hexagone l’acceptation de ces groupes reste encore une question de morale et l’avocat français Olivier Debouzy (2003) s’était demandé alors « pourquoi le lobbying a si mauvaise presse en France et pourquoi il existe une telle réticence des autorités publiques à son endroit, au moins lorsqu’il s’affiche comme tel. Car il est en effet une forme de lobbying jugée acceptable, voire légitime, par les autorités et l’opinion publique, comme celui des “syndicats représentatifs” ou des organisations patronales ».

 

Quelles sont les nouvelles règles de l’échiquier taille réelle ?

 

Tenons-nous en à la définition de Frank J. Farnel nous décrivant « le lobbying comme le fait de procéder à des interventions destinées à influencer directement ou indirectement l’élaboration, l’application ou l’interprétation de mesures législatives, normes, règlements, et plus généralement, toute intervention ou décision des pouvoirs publics. » Un champ lexical presque scientifique inspirant peut-être la véritable crainte des citoyens face aux activités de lobbying. Nous sommes tous des influenceurs potentiels, mais tous les lobbies ne sont pas égaux en termes de puissance et de moyens. C’est aujourd’hui une profession, un métier qui s’apprend et dont l’efficacité se mesure. C’est bien parce que le lobbying est autorisé qu’il est contesté.

            La loi française a défini les personnes physiques ou morales qui pouvaient constituer une activité de lobbying. Les représentants d’intérêts sont des cabinets d’avocats, sociétés des conseils ou des syndicats. Il peut également s’agir d’une personne exerçant à titre individuel tel un avocat ou un consultant indépendant. Ces personnes doivent ensuite agir sous un statut de représentant d’intérêts c’est à dire qu’entre principalement dans ses fonctions, celle de contacter des personnes publiques afin de les influencer sur un projet de loi, de règlement, etc… Enfin pour remplir les conditions d’inscription sur la liste de la Haute Autorité le lobbyiste doit s’employer à son activité de façon principale (s’il consacre plus de la moitié de son temps sur une période de six mois) ou régulière (s’il a réalisé, à lui seul, plus de dix actions d’influence au cours des douze derniers mois).

 

            De quelles qualités doit justifier un lobby ? Si l’on en croit le film que je vous conseille en fin d’article, un bon lobby doit savoir anticiper, avoir des coups d’avance. J’ajouterai à cela une capacité de cultiver toujours plus son réseau et comme n’importe quel influenceur un goût prononcé pour la négociation. Pour faire changer les décisions ou les lois des stratégies à long terme se mettent en place comme lorsqu’un cabinet d’avocat conseille une entreprise dans le cadre d’une fusion par exemple. Les objectifs sont alors multiples, faisant écho aux dires de M. Coste, puissant lobbyiste français, il s’agirait d’actions destinées à faire gagner de l’argent à ses clients, de gagner des parts de marché, de gagner des positions au niveau des lois et des règlements, de gagner des voix lors d’un futur vote, etc… Afin de mettre en place sa théorie bien ficelée, un lobbyiste doit accéder aux cercles fermés de la politique, aux discussions privées des hommes d’affaires ou encore aux réunions annuelles de grosses entreprises. Et souvent comme nous le dit Thierry Coste, tout commence dans la rue, ce qui nous fait sourire s’exclamant que « [son] métier est le deuxième plus vieux métier du monde puisque [qu’il] fréquente énormément les couloirs et les trottoirs ! Cela [leur] permet de rencontrer celles et ceux [qu’ils] doivent influencer. »

            En France le lobbying existe, est autorisé et représente même un métier au sein de la société. Il n’est donc pas condamnable en soi, cependant des scandales, notamment au sein du Parlement européen, montrent à tous que des dérives sont possibles. Si la loi du 11 Octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique prévoit des amendes civiles, des sanctions pénales cherchent à protéger l’intégrité du lobbying des écarts tenant du conflit d’intérêts, du trafic d’influence, d’opacité des décisions, de pantouflage et de corruption.

 

            Venus tout droit des Etats-Unis, les fonds d’activistes qu’on aurait envie de nommer lobbies 2.0 sont les prochaines formes d’influence, canalisant toujours plus de ressources à la manière d’un fonds d’investissement et se permet d’agir comme ces derniers, achetant des parts dans une entreprise afin de renverser le « board » en place pour placer ses pions. Un conseil avant de se quitter? Si ce n’est pas encore fait, apprenez les échecs…

 

 

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Vous pensiez qu’on allait se quitter sans notre petite liste de films mensuelle ?
I’m not that kind of man.

  • Miss Sloane - 2016 : Merci I.B. pour cette découverte je ne regrette pas de m’être laissé influencer ;)
  • Wall Street - 1987 : ceux qui me diront « Pourquoi ? », no comment.
  • House of Cards - 2013 : une série qui conclue cette liste (mais juste la première saison car c’est Fincher qui réalise).

           

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Glossaire :

 

Pantouflage. C’est l’action pour un ancien haut fonctionnaire de passer dans le privé. Cela peut poser un problème quand dans l’exercice de ses anciennes fonctions il a eu à contrôler le secteur d’activité de sa nouvelle société.

                                                            

Conflits d’intérêts : toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction.

 

Trafic d’influence : fait pour une personne de recevoir – ou de solliciter – des dons dans le but d’abuser de son influence, réelle ou supposée, sur un tiers (autorité publique) afin qu’il prenne une décision dans un sens favorable aux intérêts de la personne bénéficiaire.

 

Fonds d’activistes : Symbolisés par des hommes d’affaires célèbres comme Carl Icahn ou Bill Ackman, les fonds activistes viennent tout droit des États-Unis où ils sont nés dans les années 1960. Dans la culture populaire, l’investisseur activiste est symbolisé par Gordon Gekko dans Wall Street où il convainc Bud Fox, les syndicats et les autres actionnaires de Bluestar Airlines, de lui donner plus de pouvoir pour finalement essayer de céder l’entreprise.

 

«The most valuable commodity I know of is information. », Gordon Gekko

 

 

Philippe Hoarau


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