La question concernant la frontière irlandaise et le Brexit est incroyablement complexe et polémique, avec des passions et des tensions qui existent depuis près d’un siècle. Comme Stephen Pound MP, ministre fictif de l’Irlande du Nord l’a récemment dit, c’est une question de « vie et [de] mort pour le peuple d’Irlande ». On sait tous que l’UE a été créé dans le but d’établir une paix durable pour l’Europe, or le succès de cet objectif ne peut être nulle part ailleurs mieux observé qu’en Irlande du Nord.
L’Irlande du Nord est née en 1920 avec la promulgation du « Government of Ireland Act 1920 » (et concrétisé en 1921 par le « Anglo-Irish Agreement ») qui a établi deux quasi-États au sein de l’île d’Irlande. À l’époque, la guerre d’indépendance irlandaise fait rage pour établir une république irlandaise, et cette loi est votée pour l’empêcher. La partie méridionale de l’île deviendra donc la République d’Irlande, complètement indépendante du Royaume-Uni, tandis que l’Irlande du Nord y restera liée. Cependant à partir de 1968 une guerre civile, appelée « Les Troubles », éclate entre les Nationalistes s’identifiant comme Irlandais et les Unionistes s’identifiant comme britanniques. Les Nationalistes n’acceptent pas la légitimité de « l’Irlande du Nord » et veulent que cette région fasse partie de la République. Les Unionistes protègent les liens politiques entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne. L’Irlande et le Royaume-Uni sont entrés dans l’Union européenne en 1973, et avec l’aide de la communauté européenne, les deux gouvernements ont signé un traité achevant trente ans de violence. Les libertés de l’Union européenne font disparaître la frontière entre les deux Irlande, ainsi que les postes de contrôle militarisés qui la gardaient. Il en va sans dire que l’UE a eu un rôle primordial marquant la fin de cette sombre période causant la mort de plusieurs milliers d’irlandais.
Cependant, le référendum du 23 juin 2016 a tout mis en péril. Malgré les 56% de voix pour le « remain » en Irlande du Nord, celle-ci s’apprête à quitter l’Union en même temps que sa voisine la Grande-Bretagne. En cas de « no deal Brexit », la frontière invisible entre la République et le Nord va se durcir, et deviendrait la nouvelle frontière douanière de l’Union européenne. Une frontière douanière de 500km avec plus de 280 lieux de passage. Une frontière douanière qui passe à travers des rues et des villes et même des bâtiments. Une frontière douanière où les biens et les services qui la traverseraient seraient taxés. Une barrière douanière entrainant une situation cauchemardesque. L’année dernière, Theresa May affirmait qu’un « backstop » (quelques accords qui s’appliqueraient en cas de défaut de négociations, afin d’éviter une frontière douanière opaque) pourrait être la solution.
Les Brexiteers ont proposé une solution technique pour le backstop, avec des caméras magiques qui s’occuperaient de la frontière, mais cette idée farfelue n’a pas été bien reçue par les 27. Comme solution de repli, l’UE propose d’établir la frontière douanière à travers la mer d’Irlande. Cela aurait pour conséquence de permettre une libre circulation entre la République et le Nord, maintenant néanmoins des contrôles douaniers dans les ports britanniques. Cependant, en septembre 2018, Theresa May a quant à elle constaté que cette situation « qui effectivement divise notre pays [le Royaume-Uni] en deux » serait pire qu’une situation de no-deal.
L’accord de Belfast de 1998, qui a mis fin aux « Troubles », a fortement encouragé la coordination transfrontalière de beaucoup de secteurs économiques, tels que l’énergie, le tourisme, la santé, le transport, l’agriculture et d’autres, incluant l’implémentation de programmes européens. Malgré le fait que l’UE ne soit pas explicitement mentionnée concernant la gestion de cette coordination, la sortie du Royaume-Uni posera des problèmes. En matière de santé, par exemple, on a peur que la gestion partagée actuelle de certains équipements médicaux s’arrête en cas de no-deal. Par ailleurs, selon des documents du gouvernement britannique fuités, l’Irlande du Nord ne pourra pas utiliser les lignes électriques qui viennent de la République dont le pays tire la plupart de son énergie actuellement. Cela causera des pannes d’électricité et l’augmentation des factures d’énergie de 225 euros par an par famille. S’il n’y a pas d’accord sur le « backstop » avant le mois de mars, l’Irlande du Nord se trouvera dans une situation de crise faisant craindre un véritable risque de violence, et la clôture de la frontière enflammerait les passions historiques de la région. Dr Katy Hayward, de Queens University Belfast, expert en matière de la frontière, a comparu devant le Parlement britannique pour donner son témoignage. Elle a souligné que l’UE est « le contexte clef dont on a vu la croissance de coopération et d’intégration transfrontalière… en Irlande du nord ». On pourrait dire qu’on peut toujours conclure des accords bilatéraux concernant ces secteurs entre l’Irlande et le R.-U. selon l’accord de Belfast. Mais ces règlements hypothétiques devraient respecter les obligations existantes que l’Irlande doit déjà à l’Union européenne, et cela contraindrait la position de Dublin vis-à-vis les négociations.
Nous pouvons penser que la gravité de la situation est bien comprise à Londres, mais ce n’est pas du tout le cas. La Secrétaire d’État d’Irlande du Nord actuelle, Karen Bradley, a admis en septembre 2018 qu’elle « avait un peu peur » de la région et qu’à l’époque elle ne comprenait pas que les unionistes ne votaient pas et ne voteraient jamais pour les partis nationalistes et vice-versa. Le gouvernement de Mme May se tient au pouvoir grâce au soutien de la DUP (Partie démocratique des unionistes), un parti ultra-conservateur unioniste du nord qui tient des liens avec les paramilitaires loyalistes. Ce parti a fait campagne pour le Brexit, donc clairement, il ne représente pas la volonté de l’Irlande du Nord. En plus, l’autre grand parti de la région, le parti nationaliste Sinn Féin s’abstient du Parlement de Westminster, car il n’accepte pas l’influence britannique sur l’Irlande. Donc, il y a une forte absence de connaissance concernant le Nord à Londres. Cette ignorance peut porter des conséquences graves et meurtrières pour le peuple d’Irlande du nord, un peuple qui n’a jamais voulu que cette tragédie historique du Brexit ait lieu, qui voulait que la paix durement gagnée continue. Comme toujours pendant le dernier siècle, le peuple du Nord est ignoré, et il en souffrira les conséquences.
Christopher Mahady