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L’influence de la Déclaration universelle des droits de l’homme sur les conventions européennes de protection des droits : état des lieux à l’heure de son 70ème anniversaire

 

La protection des droits de l’Homme en Europe : influence de la déclaration universelle ou produit d’une dynamique autonome ?

 

Le 10 décembre 1948 à Paris, l’assemblée générale de l’ONU adopta à l’unanimité la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le texte fut le fruit du travail d’un comité de rédaction présidé par Eleanor Roosevelt et marqué par la présence déterminante de René Cassin. Premier texte ayant pour objet la protection des droits fondamentaux à une échelle « universelle », la DUDH fut dès lors destinée à une grande envergure.

 

Texte fondateur en matière de droit international des droits de l’Homme, malgré son caractère purement résolutoire, la Déclaration universelle exerça une influence considérable sur les traités et institutions ayant vu le jour par la suite. « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en droits », rappel plus nécessaire que jamais aux sociétés contemporaines, le premier des trente articles de la DUDH illustre en 1948 le paradigme des droits fondamentaux. La lutte contre la terreur et la misère furent les buts fixés dans le préambule de la Déclaration.

Une série d’instruments juridiques contraignants ont donc ensuite été créés dans le cadre des Nations Unies, respectant l’esprit de la déclaration universelle des droits de l’Homme. Deux pactes de protection des droits en 1966 ainsi que des conventions spécialisées et des mécanismes de surveillance des États. Ainsi a pu être formé un système de protection des droits humains à vocation universelle.

 

Aborder le thème de l’universalité invite alors à pointer du doigt les défaillances de la DUDH qui, loin de faire l’objet d’un consensus mondial et d’une application uniforme est perçue par certains comme un instrument de diplomatie agressive des puissances occidentales. Les droits de l’Homme, selon leurs détracteurs, relèvent d’une conception occidentale de la morale, une ultime tentative d’impérialisme et d’ingérence.

Réfutées par les défenseurs des droits de l’Homme au motif que ceux-ci s’accommodent aisément des différences culturelles, garantissant simplement un filet de sécurité, un fond commun de droits, les critiques culturalistes ne sont pas les seuls vecteurs d’affaiblissement de la DUDH. En effet, la protection à l’échelle universelle est aussi fragilisée par un soutien décroissant en occident. Les États-Unis ayant annoncé le 19 juin 2018 se retirer du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies.

C’est finalement par la création d’instruments de protection régionaux que la DUDH acquiert une dimension effective. L’un des exemples les plus prégnants est le cas européen. Deux textes contraignants constituent le système européen de protection des droits. La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) adoptée en 1950 et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne proclamée dans le cadre du système communautaire en 2000.

René Cassin encourageait initialement la création de textes contraignants universels car il voyait dans la régionalisation une limite à la protection des droits fondamentaux mais il fut finalement l’un des protagonistes de la Convention européenne des droits de l’homme. C’est l’Europe qui, avec cette convention, se dota la première de textes contraignants en matière de droits fondamentaux. Selon Guido Raimondi, actuel président de la Cour Européenne, la régionalisation en matière de droits de l’Homme présente l’avantage de réunir des peuples aux mœurs communes et ainsi d’en faciliter l’application.

 

Malgré la décentralisation opérée, la DUDH a pu pénétrer l’ordre juridique européen. La Convention européenne des droits de l’homme faisant référence à la DUDH dans son préambule, elle fut interprétée par la Cour à la lumière du texte universel. Ainsi dans l’arrêt Johnston en 1986 c’est au regard de la DUDH que la Cour a pu limiter la portée du droit au mariage et considérer que celui-ci n’incluait pas de droit au divorce. De la même façon, dans l’arrêt Simpson en 1993 concernant la liberté syndicale, la DUDH a servi d’éclairage et de texte de référence pour le juge européen afin de préciser l’interprétation et la portée de cette liberté.

 

Les interactions existantes entre le texte universel et le système de protection régional, bien que marquées par la cohérence ne gomment pas la dimension autonome des textes européens. La convention européenne n’a pas de parenté directe ou de subordination à la DUDH. Le 21 juin 2016, à l’occasion de l’affaire Al Dulimi c/ Suisse, la Cour européenne des droits de l’Homme rappelle l’autonomie totale de son ordre juridique par rapport à celui des Nations Unies.

La Cour de justice de l’UE affirme cette même autonomie pour la Charte des droits fondamentaux de l’union dans l’arrêt Kadi le 3 septembre 2008 du fait de la singularité de l’ordre juridique communautaire.

Aujourd’hui, simple source d’inspiration ou d’éclairage pour les juges européens, la déclaration universelle semble marginalisée et a plus valeur de symbole que d’instrument juridique indispensable. Le texte souffre de la comparaison avec les systèmes juridiques de protection européens assurant une protection bien plus effective et efficace.

La dynamique européenne est en effet bien différente de celle du système des Nations Unies. Qu’il s’agisse de la CEDH ou de la Charte des droits fondamentaux de l’Union, le droit européen est désormais proche d’un système constitutionnel en matière de droits de l’Homme. La création jurisprudentielle par la Cour européenne des droits de l’Homme de la notion d’« ordre public européen » dans l’arrêt Loizidou le 23 mars 1995 n’a fait que renforcer ce sentiment.

Paradoxalement en Europe, la souveraineté des États a été limitée par deux systèmes juridictionnels mais, responsabilisés, les États-membres sont devenus les acteurs de premier plan de la protection des droits humains. Cela se vérifie notamment par l’existence du principe de subsidiarité dans le système de la CEDH et par l’inclusion des conventions relatives aux droits de l’Homme dans les ordres juridiques internes des États. Si la modification des ordres juridiques nationaux est le fait de l’intégration européenne dans le cadre de l’UE, le système de la CEDH connait le même phénomène puisque les quarante-sept membres ont intégré la convention dans leurs droits internes. Dans le système communautaire, les juges nationaux devenus juges de droit commun de l’Union européenne ont vu leurs compétences élargies pour assurer le respect du droit de l’Union.

 

Ces deux systèmes européens, vivants, complets et ouvrant de façon inédite leurs juridictions non seulement aux États mais aussi aux individus vont donc bien plus loin dans la protection des droits fondamentaux que ce qui avait été initié avec l’adoption de la Déclaration universelle en 1948.

S’il est dans l’ADN des conventions européennes de protéger les droits consacrés par la DUDH, selon Françoise Tulkens, ancienne juge à la CEDH, les droits humains ont pour cela été mis sous le contrôle d’une instance juridictionnelle en Europe. Le 70ème anniversaire de la DUDH est une occasion pour rappeler que l’époque de la théorisation des droits est dépassée et que l’attention et le travail d’aujourd’hui doivent se focaliser sur une plus grande effectivité ainsi que sur l’inclusion de problématiques contemporaines.

 

Emma JUBAULT

 


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