Objet de fascination ou source d’effroi, la mémoire de ce que fut la Terreur révolutionnaire est souvent altérée par les légendes colportées depuis plus de deux siècles. Parmi elles, deux préjugés appellent un examen approfondi : d’une part la Terreur n’est pas le produit de l’imagination du législateur, d’autre part, elle constitue donc une politique indépendante de la volonté d’un seul homme, en l’occurrence Robespierre, auquel elle est communément rattachée. Ainsi, c’est la responsabilité de chacun des acteurs révolutionnaires dans la politique de la Terreur qui mérite une analyse pondérée et impartiale.
« Législateurs ! Mettez la Terreur à l’ordre du jour ! »
Une volonté populaire de vengeance
Le grand historien marxiste Albert Soboul affirme sans ambages que la Terreur s’est imposée en vertu de l’action populaire. François Furet, pourtant bien éloigné des positions marxistes, perçoit également la Terreur comme l’expression d’une « volonté punitive, inséparable du sentiment que la Révolution doit vaincre un ennemi formidable […] cet envers diabolique de la volonté du peuple ». Même le penseur contre-révolutionnaire Joseph de Maistre attribue aux circonstances – et non aux hommes – l’instauration du gouvernement révolutionnaire et de la Terreur. En effet, la consultation des Archives parlementaires permet rapidement de constater que la volonté de mettre la Terreur à l’ordre du jour émane sans équivoque des sociétés populaires et des sections parisiennes.
Le mot d’ordre est lâché dès la fin de l’année 1792 par la Société des Jacobins de Paris dans une lettre adressée à leurs frères des départements : « mettons en état d’arrestation tous les ennemis de la Révolution, et toutes les personnes suspectes. Exterminons sans pitié tous les conspirateurs, si nous ne voulons être exterminés nous-mêmes ». Une société du Tarn-et-Garonne demande – à l’instar de milliers de clubs révolutionnaires – qu’il n’y ait plus de clémence, de pitié, de miséricorde et que « les coupables tombent indistinctement sous le glaive des lois ». Le Conseil général du Gers adresse à la Convention cette autre supplique très représentative du discours sans-culotte : « Agissez révolutionnairement. La foudre nationale est entre vos mains, frappez-en sans pitié les traîtres et les conspirateurs, exterminez les ennemis du dedans, chassez de nos frontières les satellites des despotes ; affermissez les bases de la Constitution, épurez les administrations et les armées ; et quand la patrie sera sauvée, quand la République sera bien assise, alors vous viendrez au milieu de nous, jouir de la reconnaissance de vos concitoyens ».
L’adoption des lois terroristes
Malgré leurs réticences, les députés montagnards finissent par accepter l’idée de la Terreur ; car, grâce à elle, ils continueront à bénéficier de l’appui des sans-culottes. De surcroît, c’est aussi un moyen de conserver le monopole de la violence. Danton, confronté aux massacres des prisonniers pendant le mois de septembre 1792, estime en effet que l’instauration d’une justice révolutionnaire éviterait de laisser entre les mains de la foule l’exercice de la vengeance publique. Le tribun préconise donc d’être « terrible pour empêcher le peuple de l’être ». Sophie Wahnich souligne alors que « l’entreprise de la Terreur vise donc à instituer des bornes à l’exception souveraine, à mettre un frein à la violence légitime du peuple et à donner une forme publique et instituée à la vengeance ». Toutefois, l’idée de Terreur se répand parmi les membres de la Convention. Saint-Just déclare à ses confrères : « Vous avez à punir non seulement les traîtres, mais les indifférents même ; vous avez à punir quiconque est passif dans la République, et ne fait rien pour elle. » Royer déclare, pour sa part, que la Terreur « est le seul moyen de donner l’éveil au peuple et de le forcer à se sauver lui-même ». Le soulèvement de la Vendée inspire également un discours d’une extrême violence à certains députés, dont Barère qui, au nom du Comité de Salut public, affirme dès le 1er août 1793 qu’il faut détruire ce département de rebelles.
Si la mise à l’ordre du jour de la Terreur ne survient jamais, la Convention adopte malgré tout la célèbre loi des suspects le 17 septembre 1793. Cette dernière ordonne la mise en état d’arrestation de toute personne suspecte, à savoir les ennemis de la liberté, partisans de la tyrannie ou du fédéralisme, les individus auxquels on a refusé un certificat de civisme, les nobles, ou encore les parents d’émigrés qui n’ont pas manifesté leur attachement à la Révolution. Puis un décret des 15, 16 et 17 avril 1794 ordonne à son tour à « tous les nobles et étrangers de quitter les villes, les ports et les zones frontières, dans les dix jours, sous peine d’être déclarés hors la loi ». Enfin, la loi du 22 prairial (10 juin 1794), met en œuvre la « Grande Terreur » par une réforme radicale du tribunal révolutionnaire. Les défenseurs officieux disparaissent, de même que les interrogatoires secrets. L’accusateur public est maître de choisir ou non d’auditionner des témoins. Les juges auront donc recours, selon les termes de la loi, aux « moyens simples que le bon sens indique pour parvenir à la connaissance de la vérité ». Toutefois, elle permet de sauver de nombreuses personnes de la suspicion des comités locaux dans la mesure où seules des commissions du tribunal révolutionnaire sont chargées d’un examen préalable au déclenchement de la procédure. Cette loi du 22 prairial, à la différence des précédentes, n’est aucunement légitimée par la nécessité du salut public, et s’apparente simplement à une mesure démagogique destinée à enthousiasmer la sans-culotterie.
Robespierre et « le système de la Terreur »
La légitimation de la Terreur dans le discours robespierriste
Le rôle de Robespierre dans la mise en place du système de la Terreur inspire, depuis le lendemain de sa chute, beaucoup de fantasmes. L’incorruptible est en réalité davantage un théoricien de la Terreur qu’un ordonnateur. Au commencement de la Révolution, le député d’Arras ne montre guère d’appétence pour la violence. Lors de l’élaboration d’un nouveau code pénal, il prononce un discours retentissant en faveur de l’abolition de la peine de mort. L’homme, dit-on couramment, ne supporte pas la vue du sang. Les événements révolutionnaires le déterminent malgré tout à voter la mort du roi. Surtout, Robespierre construit un discours cherchant à donner une légitimité à la Terreur. S’il élabore une conception de la citoyenneté liée à l’exercice de la vertu publique, l’élimination de toute forme de vice constitue son corolaire. La Terreur, déclare-t-il, est « une émanation de la vertu ». Elle est alors une nécessité de l’ordre révolutionnaire, une mesure de salut public : « Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur : la vertu, sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante ». Car, selon lui, les malheurs publics proviennent « de l’apathie des hommes faibles » et de l’impunité des crimes commis par les ennemis de la liberté. Ainsi, selon les mots du général Westermann se félicitant d’avoir dévasté la Vendée, « la pitié n’est pas révolutionnaire ». Cependant, il est d’ailleurs important de souligner que Robespierre ne se prononça jamais publiquement sur le sort à réserver à l’insurrection vendéenne.
Positionné au centre l’échiquier politique au printemps 1794, entre des Indulgents prônant une certaine clémence et des Exagérés prônant au contraire l’extension de la Terreur, Robespierre entre en guerre contre ces deux factions. Ainsi prend-il une part importante dans l’arrestation de leurs leaders. Sa responsabilité dans la mort de Danton, de Camille Desmoulins et de leurs amis Indulgents l’accable souvent aux yeux de la postérité. De même que ses discours sur le despotisme de la liberté qui débouchent sur la loi du 22 prairial rédigée par son acolyte Georges Couthon. Toutefois, comme l’explique Jean-Clément Martin, cette loi est instrumentalisée par ses ennemis, car « en pratiquant des arrestations en grand nombre, en suscitant des troubles dans les prisons, où plus de 7 000 personnes sont entassées, en exploitant les attentats contre Robespierre, ils organisent la répression de juin-juillet », et parviennent à en imputer la responsabilité au seul Robespierre.
La chute de Robespierre : la fin de la Terreur ?
Malgré la chute des factions, il demeure, parmi les représentants envoyés en mission dans les départements, des hommes se livrant à des massacres de masses. Fouché et Collot d’Herbois ordonnent des fusillades à Lyon, Fréron et Barras à Toulon, Tallien à Bordeaux, tandis que Carrier organise les grandes noyades des prisonniers nantais. Indigné par ces crimes, ainsi que par la politique de déchristianisation menée par ces députés, Robespierre décide leur rappel à Paris. Rassemblés dans la capitale et se sentant désormais menacés par Robespierre, ils s’appuient sur les nouveaux Indulgents, sur les députés de la Plaine de la Convention et sur des hommes situés à la gauche de l’Incorruptible tel Billaud-Varenne, président de la Convention le 9 thermidor an II (27 juillet 1794). Le gouvernement révolutionnaire se trouve alors confronté à une crise majeure. Afin de le sauver, Robespierre prononce, le 8 thermidor, un discours menaçant dans lequel il dénonce ces nouveaux Indulgents comme les auteurs des excès de la Terreur. Le complot se trame alors au cours de la nuit suivante, si bien que, le 9 thermidor, Robespierre est mis en accusation à l’unanimité. Avec son frère cadet Augustin, Saint-Just et dix-neuf autres complices, il est exécuté, sans jugement, le lendemain même de son arrestation. Les anciens terroristes se présentent dorénavant comme les vainqueurs du tyran et proclament la fin du règne de la Terreur. Ainsi ils transforment – comme l’écrit Jean-Clément Martin – Robespierre en « bouc émissaire, seul responsable de la violence ». Il est l’auteur selon – Tallien – du « système de la terreur » que l’Incorruptible dénonçait pourtant la veille de son arrestation.
La fin de la Terreur ne peut se réduire à la date du 10 thermidor. En effet, ce jour-là, Barère annonce au nom du Comité de Salut public qu’il n’y aura toujours aucune indulgence contre les crimes des aristocrates. La loi de prairial est abrogée le 14 thermidor tandis que le tribunal révolutionnaire est réorganisé le 23. De surcroît, la chute de Robespierre, loin de mettre un terme aux violences, ouvre la voie à une Terreur blanche qui s’exerce contre les agents de l’ancien gouvernement. Qualifiée de « tuerie sans idéal » par Mathiez, cette nouvelle Terreur ne constitue que l’assouvissement d’un désir de vengeance. Elle débute après le vote de trois lois emblématiques, la première autorisant le retour des émigrés girondins, la deuxième permettant le retour des prêtres exilés, la troisième assignant à résidence Jacobins et sans-culottes, ainsi abandonnés à la vengeance des royalistes et des populations catholiques. La Terreur blanche s’exerce alors sporadiquement jusqu’au début du Directoire et renaîtra, en 1815, après l’épisode des Cent-Jours et le retour de Louis XVIII à la tête de la monarchie restaurée.
Jérémy Maloir