Afin de comprendre ce qu’était Toulouse sous les Wisigoths, il est nécessaire de faire un rappel historique. Au IIIème siècle, la présence des barbares (terme désignant les peuples qui ne participent pas à la culture grecques ou latine, dont les Wisigoths) devient significative à l’intérieur de l’empire d’Occident. Au siècle suivant, ils se font de plus en plus nombreux, fruit d’un large mouvement déclenché par les Huns, venus d’Asie centrale. Le séisme juridique et politique se prépare.
A la suite des invasions barbares de 273, Toulouse est une des villes les plus grandes de Gaule avec une superficie de 273 hectares. Pourtant, au VIe siècle, les légions romaines ne sont plus. Conséquence directe : dans une ville où se conjuguent incendies, paysages de décombres et absence d’activité administrative, la noirceur s’installe comme pour prévenir d’un avenir sombre. Il n'y a pas de témoignage de vie urbaine à cette époque, aucun vestige. Cependant, dans ce ciel noir comme saturé, une colonne de lumière immense se dresse. Elle est coiffée des migrations barbares.
Sous l’empereur Constantin, les barbares parviennent à des postes de responsabilité. Par exemple, le service militaire devient pour eux un moyen d’intégration : les meilleurs deviennent généraux des armées romaines ou régents de l’Empire. En 382, les Wisigoths acceptent le traité qui leur assigne, en qualité de fédérés du peuple romain, une partie de l’actuelle Bulgarie, entre le Danube et les monts Balkans. Ce traité, le fœdus, leur confie l'administration et la protection de plusieurs provinces au sud de la Loire. Les Wisigoths, qui conservent leur roi et leurs institutions, doivent en échange de cette concession participer militairement à la défense des frontières. Cependant, l’administration impériale néglige de verser à ce peuple la solde qui leur avait été contractuellement promise. Le contrat étant caduc, les Wisigoths et leur roi Alaric pénètrent dans Rome qu’ils pillent et rançonnent pendant trois jours. Ainsi Rome, en bonne intelligence, décide d’un nouvel accord : un transfert en Gaule, en Aquitaine précisément, où les Wisigoths font de Toulouse leur fameuse capitale et demeurent fidèles à Rome pendant un siècle en participant notamment à la victoire remportée sur les Huns d’Attila.
En 458, cette grande vague d’immigration prend une tout autre perspective : les fédérés wisigoths se proclament indépendants et l’ancien Empire d’Occident devient une mosaïque de royaumes barbares. Ce mouvement est si puissant que Salvien, prêtre à Marseille vers 450 apr. J.-C. confesse : « Aussi le seul vœu que forment les Romains, c’est de n’être jamais forcés à retomber sous la domination romaine (...) ». La crise de l’Empire romain est à son apogée.
Ainsi, au début du Ve siècle et dans une Gaule abandonnée par les troupes romaines, les Wisigoths voient en Toulouse une parfaite capitale : imposante enceinte, positionnée à la lisière de la Méditerranée, qui offre la possibilité de contrôler la vallée de la Garonne. On parle de « royaume de Toulouse ». Successivement, les rois Wallia, Théodoric, Thorismond, Théodoric II, Euric et l’empereur Avitus s’y établissent. Sous le règne d’Euric, la position géographique de Toulouse permettra même la conquête de l’Auvergne.
La ville de Toulouse est rapidement devenue une capitale attractive et active via la Cour supérieur de justice et les jurisconsultes qui l’accompagne. Ce travail de la pensée juridique est un symbole de grande puissance. Ajouté à cela les écoles toulousaines formatrices de notaires, de fonctionnaires, de poètes et de rhéteurs ainsi que les ateliers de sarcophages dont les produits émigreront fort loin.
Il semble qu’une Rome miniature s’annonce. Autre symbole majeur de cette puissance toulousaine : sa forte attractivité. En effet, l’évêque Saint Orens se déplace à Toulouse en messager de paix (rôle de médiateur dans la prise de Toulouse par les armées romaines) et l’évêque/théologien Saint Epiphane est envoyé par l’empereur Nepos. De plus, cette attractivité est venue se renforcer avec la création de la Daurade, quartier incontournable de nos jours.
Les Wisigoths (comme les Burgondes et Franc saliens) vont être à l’origine d’une révolution juridique. En effet, ils mettent en place des « lois barbares », leur rédaction est d’autant plus précoce qu’elle s’appuie sur les premières ébauches réalisées au temps de l’Empire Romain, ébauche qui sera ensuite complétée par le royaume wisigothique d’Espagne au VIème et VIIème siècle. En 476, le Roi des Wisigoths, Euric, promulgue un « code », la lex antiqua, mêlant traditions wisigothiques et solutions romaines. C’est la première version de la « loi des Wisigoths ». C’est en ce sens que Charles de Secondat, baron de la Brede et de Montesquieu écrit presque douze siècles plus tard dans De l’esprit des lois : « Dans celui du domaine des Wisigoths, une compilation du Code Théodosien, faite par l’ordre d’Alaric, régla les différends des Romains ; les coutumes de la nation, qu’Euric fit rédiger par écrit, décidèrent ceux des Wisigoths ». Le roi Théodoric Ier établit ensuite le siège de ce « royaume » à Toulouse qui vit, en 506, la promulgation d'un nouveau code juridique : la loi romaine des Wisigoths, plus connue sous le nom de Bréviaire d'Alaric. Cette juridiction constitua un apport historique fondamental, inspirant le droit des cités d'Occitanie jusqu'à la Révolution.
In fine, ce royaume indépendant s’étend du Sud de la Loire jusqu’au Nord de l’Espagne actuelle. Il regroupe le personnel administratif essentiellement composé de personnes et de familles qui étaient au pouvoir avant l’arrivée des Wisigoths. Ces derniers se réservent l’aspect militaire et la collecte des impôts. La population locale semble s’y plaire. En effet, elle a trouvé dans cette organisation une protection militaire des Wisigoths et par conséquent une stabilité pérenne. C’est en ce sens que l’évolution de la population toulousaine se veut exponentielle, d’où (encore et encore) une extension de la ville. Ainsi, la ville de Toulouse s’étendra particulièrement au nord-ouest, c’est-à-dire à proximité de la voie romaine allant vers le Nord et de la chaussée du Bazacle, essentielle pour traverser la Garonne.
Cependant, l’aspect administratif ne suffit pas à lui seul pour faire de Toulouse une Rome miniature. Il faut y ajouter une forte garnison, l’une des composantes de la sécurité militaire. Aussi, l’aspect théologique ne doit pas être négligé. La religion est à cette époque la clé de voûte des politiques menées par les différents rois. Les rois wisigoths ne menaient pas systématiquement une politique persécutrice, au début de l’occupation ils agissaient en qualité de « fédérés », respectueux de la religion des Gallo-Romains. La représentation charnelle de ce respect s’observe dans leur rapport avec Saint Orens, Saint Epiphane et Saint Bibien. Avec la disparition du royaume des Wisigoths, les documents administratifs disparurent. Pourtant, l’ensemble de ces éléments, objet d’une réévaluation critique par la communauté scientifique, sont connus et reconnus par les historiens. Comment ? En réalité il nous reste quelques vestiges et chroniques de Sidoine Apollinaire, qui devient évêque de Clermont-Ferrand en 472 et qui est un des témoins de l’époque. C’est en ce sens que l’'étude de la culture matérielle des peuples migrants du Ve siècle a fait partout en Europe, depuis bientôt 30 ans, des progrès significatifs
L’aspect économique qui en découle est un élément prépondérant dans la renommée de cette capitale. Digne conjugaison de la sécurité militaire et de l’organisation administrative inspirée des romains, l’économie toulousaine se porte bien. Les produits de luxe, les tissus, les matériaux importés depuis l’Afrique du Nord et les denrées issues de l’agriculture transitent par elle. Comme beaucoup d’autres cités à cette époque, la ville vit de l’agriculture et s’appuie sur un réseau de villas puissantes comme Montmaurin et Valentine, datant des Romains.
L’ensemble des activités de la capitale se situait alors entre la fac de droit actuelle et la Daurade sur une surface d’environ deux hectares où étaient regroupés notamment les services administratifs, le trésor royal, l’édifice de culte et le cadastre. En 1988, lors de travaux sur le site de l'ancien hôpital Larrey, place Saint-Pierre, des vestiges de constructions monumentales ont été identifiés comme ce qu'il restait du palais royal des Wisigoths. Des vestiges qui n'ont pas été conservés. En 2011, c'est sur le chantier de l'École d'économie, à l'Arsenal, que des fondations d'un bâtiment wisigoth sont découvertes.
En conclusion, il est une évidence que ce royaume wisigothique s’inscrit définitivement dans le marbre de l’Histoire. Or, cette période est trop méconnue par l’opinion publique. Bien trop. Le temps des Wisigoths a été poussé dans l’oubli sous le poids et l’impact historique de l’Empire romain puis de l’arrivée au pouvoir de Clovis. Pour beaucoup, le départ des Romains a marqué l’entrée dans le Haut Moyen Âge, ce qui n’est pas le cas puisque les Wisigoths se placent bien dans la continuité des Romains.
C’est ainsi que ce jeudi 12 octobre, lors du conseil municipal, les élus écologistes proposèrent, en fin de séance, lors des vœux, que l'année 2018 soit consacrée « année du royaume wisigoth de Toulouse ». Les écologistes suggèrent que l'année « Wisigoths » prenne la forme d'une exposition au musée Saint-Raymond et de manifestations. Peu importe la couleur politique de ces élus, les amateurs de culture et d’histoire ne peuvent que saluer cette initiative.
Sami Ayadi