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La conquête de l'Arctique

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Autour du cercle polaire arctique, les États riverains, qui avaient délaissé cette partie de la planète, cherchent depuis la moitié du XX ème siècle à s'approprier « leur part » de l'Arctique. De par les richesses naturelles de ses territoires et l'importance stratégique qu'ils revêtent, l'intérêt des États frontaliers, ainsi que d'autres plus éloignés, fut ravivé.

Autour du cercle polaire arctique, les États riverains, qui avaient délaissé cette partie de la planète, cherchent depuis la moitié du XX ème siècle à s'approprier « leur part » de l'Arctique. De par les richesses naturelles de ses territoires et l'importance stratégique qu'ils revêtent, l'intérêt des États frontaliers, ainsi que d'autres plus éloignés, fut ravivé ! Parmi les parties directes se disputant le partage du pôle Nord, on retrouve les États-Unis avec l'Alaska, le Canada avec ses provinces nordiques (Yukon, Territoire du Nord-Ouest, Nunavut et l'île de Baffin), le Danemark avec le Groënland, la Norvège avec l'archipel des îles Svalbard et l'île Jan Mayen, et enfin la Russie avec son immense littoral sibérien bordant l'océan glacial arctique ainsi que quelques archipels. Ses États seront qualifiés de « possessionnés ». L'Islande ne revendiquant aucun droit sur l'Arctique, elle ne sera pas incluse dans le développement.

 

Le goût prononcé pour les revendications arctiques de ces États n'est pas inné. Trois facteurs vont jouer : la « maritimisation » de l'Arctique qui permet d'ouvrir de nouvelles voies de communication (les coûts reviendraient moins chers qu'en passant par le Panama ou Suez pour rejoindre d'autres continents), son potentiel militaire croissant à travers la première guerre mondiale, la seconde guerre mondiale et la guerre froide, et enfin la richesse de ses ressources naturelles encore inexploitées (gaz, pétrole, minerais précieux, etc...). Les revendications arctiques sont très récentes. En 1867, la Russie vendait aux États-Unis l'Alaska, dont l'utilisation revenait à la chasse exclusivement, afin d'éviter une domination britannique. Pour 7,5 millions de dollars, les États-Unis ont acheté leur droit à revendiquer une part de l'Arctique. Avec les enjeux présentés, une telle offre de la Russie n'aurait pu avoir lieu. Mais des accords sont toujours possibles pour agrandir son territoire : les Etats-Unis ont, avec l'accord des danois, une appropriation « quasi-souveraine » sur des parties du Groenland.  La vision de l'Arctique par les « possessionnés » est considérée comme un héritage ayant fructifié mais jamais remarqué. En d'autres termes, les États associant leur territoire à une propriété estiment qu'il en existe une partie auquel ils n'ont jamais porté attention. La corrélation d'une telle prise de position avec la découverte des nombreux atouts de l'Arctique laisse à penser qu'il s'agit d'une attitude opportuniste.

 

L'attraction suscitée par l'Arctique atteindra son paroxysme avec la justification de l'appartenance d'une zone grâce au droit international. L'article 76 de la Convention des Nations Unies de Montego Bay introduit des principes du droit de la mer pour délimiter la souveraineté maritime des États, mais annonce également que l'Arctique n'appartient à personne.  En outre, la souveraineté étatique s'étend sur 200 miles à partir du littoral (c'est la Zone Économique Exclusive), avec la présence d'un plateau continental, une extension maximale de 150 miles est possible ; au-delà des 350 miles maximum, on se retrouve en haute-mer, dans les eaux internationales. Or la Russie affirme que la dorsale de Lomonosov, une dorsale océanique reliant le Groenland à la Sibérie en passant exactement par le pôle Nord, est une extension de son plateau continental. Ainsi, la Russie gagnerait 150 miles de plus sur l'Arctique ! En 2007, la Russie a déposé à plus de 4000 mètres de profondeur un drapeau russe pour marquer sa souveraineté dans la région. En réaction, les canadiens estiment que cette dorsale est au contraire le prolongement du continent américain. Les équipes de chercheurs envoyées sur la banquise ne se préoccupent pas seulement des considérations climatiques, ils s'intéressent aussi à la géomorphologie soit à l'étude des fonds marins et la présence d'un plateau continental. Ces travaux permettent d'établir une meilleure cartographie pour appuyer les revendications territoriales de chacun mais également de prévoir des voies d'accès jusqu'aux ressources naturelles.  Ces recherches sur les excroissances sous-marines du plateau continental semblent relever de la fantasmagorie géomorphologique et juridique, les États veulent à tout prix contrôler ce territoire ; la Danemark pourrait très bien revendiquer à son tour une extension du Groenland via la dorsale de Lomonosov.

           

D'autres procédés existent pour accroître ses possessions ou diminuer celles des autres. Les détroits sont censés être libre d'accès et permettre une circulation sans contrôle selon le droit international, or certains, comme le passage du Nord-Ouest qui est considéré comme un détroit international par les États-Unis quand le Canada revendique une partie de ses eaux intérieures. Dans un registre un plus cocasse, il y a le cas des stations dérivantes : des centres de recherche installés sur la banquise mais qui, avec la fonte, dérivent au large sur un iceberg tabulaire. L'iceberg emportant le centre de recherche prendrait par la même occasion « la nationalité » du centre.  Or quelle réaction doivent avoir les garde-côtes quand dérive dans leurs eaux un colossal iceberg frappé du drapeau américain, russe, norvégien, danois, canadien ou même chinois ? Effectivement, la Chine n'a aucun rattachement possible avec l'Arctique hormis le cas où elle navigue en haute-mer. Mais n'importe quel État pourrait installer son centre de recherche sur la banquise au-dessus des eaux internationales, ils ne seront pas qaulifiés de « possessionés » mais comme des États à vocation arctique.

           

Étant donné les rivalités autour de ces eaux, on peut évoquer une « méditerranée arctique » qui baigne trois continents mais qui les confrontent plus qu'elle ne les lie. A la différence de l'Antarctique qui appartient à tout le monde depuis 1961 et qui bénéficie de la qualification de « patrimoine commun de l'humanité » depuis 1999, l'Arctique n'est pas reconnu comme tel alors que l'Union Européenne, qui n'est pas concerné par ces luttes de souveraineté, pourrait apparaître comme l'agent régulateur de la zone. Le Canada adopte également une telle stratégie sur les peuples autochtones. Son attitude bienveillante, voire paternaliste, tend à démontrer qu'elle se préoccupe de l'environnement arctique et laisse entendre que sa dégénérescence est de la responsabilité des autres, le Canada serait alors plus légitime à occuper l'Arctique pour ses considérations environnementales ?

           

Au pôle nord, les États ne s'intéressent qu'à l'exploitation des richesses naturelles de l'Arctique, mais peut-on évaluer simplement ces richesses en terme de matières fossiles ou bien également par les avantages tactiques du relief ? Les voies de communication constituent également des avantages découlant intrinsèquement du territoire, d'où son appropriation, tandis que certains États peuvent y voir des biens publics, comme avec les détroits. Dès lors, les revendications arctiques semblent être au paroxysme de la vacuité du concept de souveraineté. La souveraineté, attribut juridique nécessaire pour bénéficier de droits territoriaux, est contingente, elle poursuit les desiderata des États, toutes les mesures géomorphologiques ou cartographiques sont justes tant qu'elles garantissent le contrôle du territoire. Mais de quel territoire s'agit-il en définitive ? Plus d'eau que de terre, une banquise qui diminue au fur et à mesure et une faune qui est en danger (ours polaire). Peut-on encore parler de territoire ? Ou bien faut-il qualifier l'Arctique de territoire pour pouvoir être conquise ?            

           

Même si l'Arctique est inhospitalière, les États s'y intéressent et l'Amiral Besnault émet une réflexion intéressante sur la vision de l'Arctique durant la guerre froide : « C'est pourquoi l'affrontement arctique […] a le mérite de suggérer que le sort de la rivalité actuelle entre les deux grands blocs militaires pourrait être influencé, certainement, déterminé, peut-être, par la possession, la prise ou la destruction de points ou de régions inhabituelles à la pensée européenne traditionnelle ».

 

Quid de ces «  régions inhabituelles à la pensée européenne traditionnelle » ? Il y aurait alors des territoires échappant à notre conscience où tout procédé serait possible, justifiable car ces fameux territoires ne sont pas « classiques », ou nous sont tout simplement inconnus ?

 

 

Julien Vilar


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