Quel tort vous fait-il ? Quel dommage ?
Qu'est-ce enfin que ce mal dont tant de gens de bien
Se moquent avec juste cause ?
Quand on l'ignore, ce n'est rien
Quand on le sait, c'est peu de chose.
La Coupe enchantée, Jean de La Fontaine (extrait), 1749
Jean de La Fontaine ne voyait aucun inconvénient ni à être infidèle, ni à ce que sa femme, Marie Héricart, le soit. Il n’a jamais exprimé une quelconque opposition à cela et il appréciait même la compagnie de certains des amants de sa femme. Pourtant, sous la pression des habitants de la ville de Château-Thierry, il a provoqué en duel l’un des amants dans le but de préserver son honneur. Le duel l’opposant à l’amant en question, le Capitaine Poignant, ne dura néanmoins que quelques minutes, Jean de La Fontaine étant peu familier avec le maniement des armes.
Cette pression sociale exercée en faveur du duel démontre l’engouement de la société pour ce mode de règlement des différends. Souvent motivés par la préservation d’un honneur lésé, les duels ont connu de nombreuses évolutions dans l’histoire française.
Les duels : entre préservation de l’honneur et mode de preuve
Bien qu’il semble aujourd’hui être une coutume archaïque, le duel n’en était pas moins l’aboutissement d’un contrat. En effet, les parties, après avoir convenu qu’un duel aurait lieu, fixaient par convention les règles applicables. Était par exemple déterminé le lieu, la date, le nombre de coups donnés ou l’évènement qui marquait la fin du duel (par exemple arrêt au premier sang ou duel à outrance, lequel supposait la mort).
Durant le Moyen Âge, le duel constituait plus particulièrement un mode de preuve, dans le cadre notamment des ordalies, qui permettaient de prouver l’innocence ou la culpabilité devant Dieu. Ce processus impliquait par exemple de faire combattre deux suspects dans le but de déterminer lequel des deux était coupable. Le duel d’honneur était également réputé chez les nobles qui en usait très régulièrement, conduisant à ce que 10 000 personnes soient mortes entre la fin du XVIe et le début du XVIIe siècle.
Le duel d’honneur a en particulier été l’apanage des politiques sous la IIIe République. L’honneur revêtait alors une définition extrêmement large. C’est ainsi que Charles Floquet, le 12 juillet 1888, a interpellé le Général Boulanger sur son âge, ce qui a conduit, dès le lendemain, à ce que se tienne un duel. Le toulousain Jean Jaurès a également pris part à un duel en 1904 à la suite d’une querelle avec Paul Déroulède.
Interdiction des duels et préservation de l’autorité royale
Les duels ont été tour à tout interdits puis autorisés. Au XIIIe siècle, Louis IX les interdira et à la fin de ce même siècle, Philippe IV, dit le Bel, les rétablira.
Par la suite, au XVIe siècle, les duels sont de nouveau interdits. La raison avancée est que le déroulement des duels méconnaît le droit de justice appartenant au Roi et constitue donc, dans le cadre d’une monarchie de droit divin, un crime de lèse-majesté. C’est ce qu’a indiqué l’ordonnance de Blois adoptée par Henri III en 1576, faisant suite à l’ordonnance de 1566 qui avait créé une « juridiction du point d’honneur ». Cette juridiction, dite tribunal des maréchaux de France, pouvait connaître des affaires d’injures et provocations, mettant en cause l’honneur de l’une ou des deux parties.
Après la Révolution, du fait de l’abolition de tous les édits royaux, les duels n’ont plus été interdits. Ainsi, jusqu’au dernier duel, ayant eu lieu en France en 1967, cette pratique a été courante et elle a impliqué des personnages bien connus.
Quels sont les moyens de défense de l’honneur aujourd’hui ?
Si aucun texte ne prévoit expressément la protection de l’honneur en droit français, il en est fait mention à l’article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 qui traite de la diffamation. Récemment, la Cour de cassation, par un arrêt du 17 décembre 2015 rendu par la Première chambre civile, a indiqué que ne constitue pas une atteinte à l’honneur l’infidélité conjugale et, ce, au regard de l’évolution des mœurs. La protection de l’honneur est par ailleurs assurée par son rattachement à l’article 9 du Code civil assurant le respect de la vie privée.
En droit européen, la Cour européenne des droits de l’homme protège elle aussi le droit à la réputation au regard de l’objectif de protection de la vie privée, prévu à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Quelques duels illustres
Victor Hugo a, en 1821, affronté en duel un garde du corps qui lui aurait arraché une feuille des mains.
En 1826, c’est Lamartine qui a fait face à un colonel italien qui avait considéré qu’il avait insulté les italiens dans quelques vers.
Léon Gambetta, en 1829, lorsqu’il était président de l’Assemblée nationale, a livré un duel au pistolet contre Oscar Bardi de Fourtou du fait d’une dispute dans l’hémicycle.
Georges Clémenceau a par exemple livré douze duels pour divers motifs au titre desquels figurent des accusations de parjure ou de corruption,
Le dernier duel ayant eu lieu en France a opposé les députés Gaston Defferre et René Ribière. Defferre, après avoir traité « d’abruti » Ribière, refuse de revenir sur son propos et le différend sera alors réglé par l’épée.
Kristiana Tollumi