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Existe-t-il un droit à la culture ?

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L'Encyclopaedia universalis définit la culture comme tantôt tout ce qui englobe le phénomène humain pour s'opposer à la nature, tantôt, est le résidu où se rassemble tout ce qui n'est ni politique, ni économique, ni religieux. Et une fois la faiblesse de cette définition avalée, on ne peut qu'approuver : la culture, c'est vaste.

L'Encyclopaedia universalis définit la culture comme tantôt tout ce qui englobe le phénomène humain pour s'opposer à la nature, tantôt, est le résidu où se rassemble tout ce qui n'est ni politique, ni économique, ni religieux. Et une fois la faiblesse de cette définition avalée, on ne peut qu'approuver : la culture, c'est vaste. Si vaste que même le Droit, à tendance interventionniste pourtant, a un peu de mal à s'y retrouver dans son pot-pourri à la Prévert. Quand bien même on aurait facilement développé un droit à l'enseignement et à l'éducation garanti par les pouvoirs publics, peut-on en dire autant d'un droit à la culture ? C'est-à-dire d'un droit-créance (un droit à quelque chose) qui oblige une intervention de l'Etat, débiteur envers sa population. Et force est de constater qu'on ne peut répondre à cela que par un laconique "Meh".
 
 
Le développement rapide du droit DE la culture 
 
 
Pourtant d'un point de vue historique, la France s'avère un pays plutôt précoce lorsqu'il s'agit de s'intéresser à la culture. Déjà sous la monarchie, ont émergé les premières politiques culturelles. Le but était alors d'unifier le royaume, d'affirmer le prestige du Roi en usant du mécénat et organiser les esprits au sein des Académies. C'est une période faste en matière d'accumulation de patrimoine culturel sous la protection de son altesse et des "bienveillants" nobles autour de lui. Et dès la Révolution des dispositions sont prises pour l'éducation et l'accès à la culture. On forge l'idée d'un patrimoine français dont tous les citoyens seraient propriétaires. A fortiori c'est à l'Etat que reviendrait la lourde tâche de protéger ce bien commun. Cela peut paraître évident aujourd'hui mais il s'est pourtant bien posé la question de savoir si la Révolution impliquait la destruction des œuvres du passé. Mais Notre-Dame de Paris étant encore debout, il semble qu'ils aient opté pour les conserver. Mieux encore, on créait, en l'espace de cinq années, les Archives nationales, le Muséum central des arts et la Bibliothèque nationales pour sanctifier la culture de l'Ancien Régime. D'autres institutions naîtront ensuite dans cette même optique. La Constitution de 1795 établit d'abord un Institut national chargé de recueillir les découvertes, de perfectionner les arts et les sciences (art. 298). Sous la Monarchie de Juillet, l'inspection générale des monuments historiques inventorie les monuments et s'assure de leurs conservations. Enfin, Napoléon III créera l'ancêtre du ministère de la culture : le ministère des beaux-arts. La classe napoléonienne. 
 
Mais un droit à la culture, entendu comme droit fondamental, ne saurait se cloisonner à ce rôle de gardien de musée étatique. Et malheureusement, c'est ce que sera le droit de la culture pendant longtemps. La IIIe République s'est bornée à cet objectif de préservation. Certes de manière efficace, notamment par la loi du 31 décembre 1913 sur la préservation des monuments historiques mais cela n'empêchera pas de lire que "la IIIe République si grande par sa politique économique, sociale coloniale n'a pas eu de politique des Arts" (R. Brichet, Pour un ministère des arts, in La politique culturelle en débat, anthologie 1955-2005). Il faut alors attendre 1946 et la Libération pour un renouvellement de la politique culturelle en France axé sur la démocratisation et la décentralisation de la culture. La consécration vient en 1959 avec la création du ministère des affaires culturelles avec à sa tête l'écrivain André Malraux. L'institution se voit confier la mission de "rendre accessible les œuvres capitales de l'humanité, et d'abord de la France, au plus grand nombre possible de français ; d'assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et de favoriser la création des œuvres d'art et de l'esprit qui l'enrichissent" (Décret n°59-889 du 24 juillet 1959 portant création du ministère des affaires culturelles). S'ensuit alors de nombreuses réglementations qui arroseront un peu plus le terreau d'un droit de la culture, considéré ensuite comme une discipline autonome à partir des années 1990 (M. Cornu, Droit de la culture, in Dictionnaire des politiques culturelles, E de Waresquiel, Larousse, CNRS, 2001, p. 219). L'Etat va enfin se consacrer à sa tâche de débiteur de la culture auprès de tous. Oui mais pas sous le prisme d'un droit de l'humain à la culture mais sous l'égide d'une notion beaucoup moins sexy : le service public.
 
Le service public culturel et la police des activités culturelles sont la "facette administrative" du droit de la culture. La naissance de ces notions est avant tout d'origine prétorienne. C'est le juge qui par ces décisions, et en plusieurs étapes, a reconnu le concept de service public culturel. Et dans l'arrêt du Conseil d'Etat du 7 avril 1916, Astruc et Sté des Champs-Elysées c. Ville de Paris, il refuse d'abord cette qualification. Il s'agissait de la construction d'un Palais philharmonique, concédé sous la forme d'une concession mais inexécutée. Le juge administratif décline sa compétence car selon lui : "le palais dont il s'agit n'était pas destiné à assurer un service public ni à pourvoir à un objet d'utilité publique". Pour l'anecdote, Maurice Hauriou félicitera la décision car selon lui, le théâtre est susceptible "d'exalter l'imagination, d'habituer les esprits à vie facile et fictive, au grand détriment de la vie sérieuse et d'exciter les passions de l'amour, lesquelles sont aussi dangereux que celle du jeu et de l'intempérance".
 
Toujours est-il que la jurisprudence va rapidement retourner sa veste. En 1923, il est jugé que le contrat conclu entre l'Etat et les personnes dirigeant un Opéra (en l'espèce, l'Opéra-comique) est bien une concession de service public. L'objectif qui lui incombe est alors d'assurer "dans un intérêt général la qualité artistique et la continuité de l'exploitation" (CE, 23 juil. 1923, Gheusi, RDP, 1923, p. 560, Cl. Mazerat, note G. Jèze). Enfin, la plus haute juridiction de l'ordre administratif emploiera expressément l'expression de service public culturel en 1959 (CE, 11 mai 1959, Dauphin, D., 1959, J., p. 315, Cl. H. Mayras). Depuis, la jurisprudence a apporté des précisions sur les modes de gestion du service public culturel notamment en 2007. Mais le juge n'a jamais automatisé la qualification de service public culturel : il doit effectivement exister un lien de dépendance à l'égard de la personne publique, qui exerce un contrôle sur l'activité. Il a alors fait œuvre de casuistique pour déterminer ce qui constitue bien un service public de la culture. Par exemple, l'exploitation d'un cinéma local par une société d'économie mixte créée pas la ville n'en constitue pas un (CE, 5 oct. 2007, Sté UGC-Ciné-Cité, AJDA, 2007, p. 2260, note J.-D. Dreyfus). Cela amène le professeur Jean-Marc Pontier a remarqué "qu'il paraît difficile de voir un service public culturel chaque fois qu'une collectivité restaure une fontaine, un oratoire, alors que l'intervention peut être qualifiée de culturelle". Ainsi, le rôle de l'Etat paraît, encore aujourd'hui, incertain en matière d'intervention culturelle, même sur l'aspect des prestations et services qu'il lui incombe ou non de fournir. Mais les services publics culturels, quand bien même, nous intéressent bien moins que l'éventuel droit de l'Homme à la culture.
 
 
L'affirmation poussive d'un droit À LA culture 
 
 
Paradoxalement, la culture comme droit fondamental n'a qu'une consécration très faible en droit positif. La Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 n'évoque pas de droit à la culture. Pourtant le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 oblige la Nation à garantir l'égal accès de l'enfant et de l'adulte, à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. Et malgré la théorique consécration de la valeur constitutionnelle de ce texte par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 16 juillet 1971, bien des questions demeurent. Quelles sont les obligations de l'Etat vis-à-vis du citoyen lambda (et non par l'intermédiaire d'un service public cette fois) en matière de culture ? Existe-t-il un minima en deçà duquel la France ne garantit plus cet accès à la culture ? Et comme certain se le demande : où placer le curseur entre la suppression de tous les services culturels et l'intervention autoritaire afin de fournir "une" culture ? En effet, il y a un risque de déboucher vers une culture officielle voir une culture d'Etat (P.-F. Frier, La répartition des compétences entre l'Etat et le pouvoir local, AJDA, 2000, n° spécial, p. 59). Même le droit international, pourtant nombreuses fois source d'inspiration, n'offre pas une réponse plus concluante. Le Pacte des Nations unies de 1966 porte bien sur les droits économiques, sociaux et culturels et son article 15 prévoit que les États parties au présent Pacte reconnaissent à chacun le droit : a) De participer à la vie culturelle". Mais le texte s'arrête là... . A tel point qu'une initiative privée de déclaration des droits culturels a vu le jour le 7 mai 2007 à Fribourg. Le texte, sans valeur juridique énonce que "toute personne, aussi bien seule qu'en commun, a le droit : de choisir et de voir respecter son identité culturelle dans la diversité de ses mode d'expression ; ce droit s'exerce dans la connexion notamment des libertés de pensée, de conscience, de religion, d'opinion et d'expression". On le voit : même en essayant, le droit à la culture n'est qu'un mélange, un croisement entre plusieurs libertés voisines, plus facile à affirmer. Il est facile d'empêcher l'interdiction d'un journal sur l'autel de la liberté d'expression mais il est plus dur d'empêcher l'arrêt d'une bande dessinée parce qu'elle participe à un droit à la culture. 
 
On ne peut qu'arriver à la conclusion que la consécration d'un droit à la culture avec un domaine affirmé n'est pas tant un problème juridique que sémantique. Le droit de la culture s'est heurté à la même limite, qui explique sa reconnaissance tardive comme discipline propre : la culture c'est vaste. Cette branche du droit est tout simplement sans unité, du fait des objets multiples qui constituent la culture. On parle d'un domaine juridique qui devrait toucher à la fois la littérature, la langue française, les arts, les vestiges archéologiques, les monuments, le sport, la science... .  La culture concerne aussi bien le droit public que le droit privé. Empruntant tantôt au droit de la propriété littéraire et artistique, tantôt au droit fiscal, au droit administratif...
 
Pire encore : dès 1718, lorsque le terme culture fait son entrée dans le Dictionnaire de l'Académie française (dans un sens autre que celui de la terre cultivée hein), la culture est alors "l'ensemble des aspects intellectuels, moraux, matériels, des systèmes de valeur, des styles de vie qui caractérisent une civilisation".  La première définition du terme était déjà si abstraite qu’on ne voyait pas ce qui ne touchait pas la culture. Et les philosophes des lumières de brouiller encore un peu plus les pistes en considérant la culture comme tout ce qui s'oppose à la nature : tout ce qui vient de l'Homme donc. Les trolls de haut niveau rétorqueront même que le droit est donc une forme de la culture. Et ils auront raison. La vocation universaliste du mot est noble mais elle a créé un mur infranchissable. Quand bien même il existe un droit de la culture, plus comme un fil rouge entre des questions juridiques que comme une vraie matière autonome, un droit fondamental de la culture semble impossible à consacrer. Pire, il serait philosophiquement redondant : le droit à la culture serait un droit des Hommes à... l'Homme lui-même. Ou au moins à tout ce que l'Homme créé. Heureusement pour nous, on connaît et maîtrise une pléiade de droits de l'Homme permettant, par des chemins détournés, de garantir un résultat équivalent comme la liberté d'expression, la liberté de conscience ou le droit à l'éducation. Peut-être n'aurons-nous jamais vraiment un vrai droit à la culture délimité, évocable dans les tribunaux mais le résultat identique sera bien atteint. Parce qu'avant d'être vaste, la culture est avant tout riche. 
 

T. Bugada


 
Pour aller plus loin :
 
-S. Monnier et E. Forey, Droit de la Culture, lextenso édition, 2009 ;
-J.-M. Pontier, Le service public culturel existe-t-il ?, AJDA, n°spécial, 2000, p. 2016 ;
-CE, 21 janv. 1944, Léonie, Rec., p. 26. 
 

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