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Fin de vie : À la recherche d’un impossible équilibre

     D’un point de vue philosophique, la mort constitue, pour certains auteurs, l’interrogation ultime. « Philosopher, c’est apprendre à mourir » écrivait ainsi Montaigne. Mais pour le droit et son analyse toujours systémique, la mort suppose avant tout d’être définie à des fins d’encadrement, de régime spécifique. En d’autres termes, la mort, sous un angle juridique, n’est qu’affaire de qualification et d’application du droit en question. Pourtant, le philosophe et le juriste ont pour point commun de s’interroger depuis toujours sur cette même question. Et si la définition et le constat de la mort font l’objet d’une relative stabilité normative, c’est son contexte, sociétal et médical, qui se veut continuellement débattu, encore aujourd’hui, notamment sous l’angle de l’accompagnement des personnes en fin de vie. Débat qui suppose ainsi la prudence, parfois qualifiée de timidité.

 

 

     Juridiquement, la mort est un fait biologique inéluctable, dernière étape de la personnalité juridique (1). C’est parce que la mort se veut protéiforme, contrairement à la naissance, que le droit ne la définit pas, il en tire seulement des conséquences circonstanciées. La diversité des situations mortifères impose une diversité de conséquences juridiques tirées par le législateur. Le décès résultant d’un acte volontaire (homicide ou suicide) n’entraîne pas les mêmes conséquences que celles intervenant de cause naturelle. De la même manière, la mort brutale ne suppose pas la même réaction que celle qui fait suite à une période préparatoire. Ainsi, Jean Léonetti relevait encore, dans son rapport d’information pour la loi éponyme, que le destin de chaque individu relève d’une absolue singularité. Et l’instigateur de la loi de 2005 (2) d’écrire, lorsqu’il évalue son œuvre législative, que la diversité et la complexité des peurs et des souhaits de chacun ne rendent-elles pas vaine toute législation portant sur la fin de vie ? (3).

 

     Ce manque d’homogénéité, cette impossible systématisation, justifie l’absence de définition arrêtée du phénomène de mort. À l’exception du cas du don d’organe (4), le décès d’une personne est une question factuelle, pouvant être constaté par tout moyen et soumis, si nécessaire à l’appréciation des juges du fond au sens de l’article R.1112-69, alinéa 2 du Code de la santé publique. Et tous le reconnaîtront : le constat du décès au sein d’un simple procès-verbal, ne constitue pas une frontière parfaitement définie. C’est cette ambiguïté qui a ainsi placé sur le devant de la scène médiatique l’affaire Vincent Lambert, patient en état végétatif chronique depuis 2008, et ramené brutalement la question de la fin de vie en France. Dans ce cadre, si la législation s’est toujours évertuée à trouver un juste équilibre entre respect de la volonté du mourant et souveraineté de l’analyse médicale, aujourd’hui et à l’occasion des états généraux de la bioéthique, le débat sur l’accompagnement en fin de vie réapparaît. 

 

 

Historicité du régime juridique de la fin de vie

 

 

     L’évolution des techniques médicales, si elle a pour conséquence l’allongement de l’espérance de vie, a paradoxalement impliqué une multiplication des situations de survie difficiles. La loi n° 99-477 du 9 juin 1999 est alors intervenue dans ce contexte pour garantir un droit d’accès aux soins palliatifs permettant donc, dans un premier temps, de garantir un traitement visant à soulager la douleur, à apaiser la souffrance et à sauvegarder la dignité de la personne malade. Ce vœu pieux sera plus tard renouvelé par la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, reconnaissant encore une fois le droit de chacun de recevoir des soins visant à soulager sa douleur ainsi que de disposer de tous les moyens destinés à lui assurer une vie digne jusqu'à la mort.

 

     Mais le réel aboutissement d’un régime juridique relatif à la fin de vie viendra avec la loi dite Léonetti du 22 avril 2005. Objet de nombreux travaux des institutions médicales (que ce soit de l’Ordre des médecins, de l’Agence nationale de santé publique ou de la Haute autorité de santé), des associations (comme la Société française d'accompagnement en soins palliatifs) et de la jurisprudence, le texte considère alors la personne en fin de vie comme sujet de droits propres et affirmés sur le fondement de sa vulnérabilité médicale. La loi de 2005 vient ainsi, et pour la première fois, retenir comme motif d’arrêt des traitements le critère de l’obstination déraisonnable, notion déjà contenue au sein de l’article 37 du Code de déontologie médicale. L’alinéa 2 de l’article L.1110-5 tel que résultant de la loi Léonetti énonçait alors que « ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris ». Devait maintenant être définie cette notion d’obstination déraisonnable, tâche à nouveau impossible du fait, là encore, de la diversité des situations et de la technicité médicale moderne. Plaidant pour une casuistique technocrate, la Commission des affaires sociales du Sénat donnait au seul médecin la faculté de déterminer, en conscience s'il arrête ses soins en deçà de ce que sa mission lui impose ou s'il va au-delà de ses obligations (5).

 

     Proche par son esprit et par son nom, la loi Claeys-Léonetti de 2016 (6) vient consacrer cette solution du critère de l’obstination déraisonnable, mais aussi l’affiner par la création d’un article L.1110-5-1 au sein du Code de la santé publique. Cette disposition reprend alors quasiment à l’identique le propos de l’article précédent mais en y ajoutant l’importance déterminante de la volonté du patient qui peut refuser ou suspendre les soins en question. Par la même occasion, le dispositif résultant ainsi de la loi de 2016 vient distinguer le cas du patient capable d’exprimer sa volonté de celui qui ne le peut. C’est dans cette optique que la loi de Claeys-Léonetti vient rendre contraignantes les directives anticipées qui jusqu’alors ne venaient que souligner les vœux de la personne en fin de vie et dont le médecin ne devait que « tenir compte ». Aujourd’hui, l’article L. 1111-11 transforme les directives anticipées non plus en souhaits mais en volonté : elle s’impose au médecin. Évidemment, le texte prévoit des exceptions à cette manifestation unilatérale de volonté « en cas d'urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale » (6). Cette mise à l’écart de la volonté du patient est néanmoins strictement encadrée et soumise à une procédure collégiale ainsi qu’à la nécessaire information de la personne de confiance ou, à défaut, de la famille et les proches du patient. Enfin, la loi brise la faible durée de vie de ces directives, fixée à trois ans par la législation de 2005, pour la rendre à durée indéterminée mais révisable et révocable. Un moyen d’incitation pour le législateur à ce que toute personne réfléchisse à ce potentiel état médical.

 

      Mais la loi Claeys-Léonetti intervient également sur le sujet, plus que sensible, de l’euthanasie. Taisant un tel mot, notamment du fait de sa polysémie, le texte de 2016 prévoit trois types de solutions : l’arrêt des traitements, la sédation et enfin la question du traitement à double effet. Concernant le refus des traitements, le texte vient codifier les leçons de l’affaire Vincent Lambert en qualifiant de traitement les cas d’alimentation et d’hydratation artificielle qui peuvent dès lors être refusés en cas d’obstination déraisonnable. Conséquence de ce premier droit alors étendu, le patient se voit également offrir un droit à une sédation profonde et continue afin que la fin de vie se fasse dans le respect de la dignité de la personne. Enfin, le traitement donné à un patient en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable pour soulager sa douleur, dit traitement à double effet. Déjà présent dans le texte de 2005, ces médications pourront dès lors être prodiguées « même s'ils peuvent avoir comme effet d'abréger la vie » comme en dispose le nouvel article L.1110-5-3.

 

 

Postérité du régime juridique de la fin de vie

 

 

     À l’occasion des États généraux de la bioéthique, le Conseil d’État est revenu sur le dispositif légal en matière de fin de vie tel que prévu par les lois de 2005 et 2016. À cette occasion, les magistrats considèrent que le droit positif permet de répondre à l’essentiel des demandes sociales d’une aide médicale à mourir, dans la mesure où elles donnent la possibilité au malade d’obtenir l’arrêt de l’ensemble des traitements qui lui sont prodigués, une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès et, le cas échéant, une intervention médicale ayant […] comme effet d’abréger la vie. Ce qui peut paraître comme une reconnaissance positive du droit des personnes en fin de vie se transforme peu à peu en « bottage en touche » par le Conseil d’État, dès l’instant où la question de l’assistance au suicide est évoquée. Il est alors préconisé de ne pas modifier l’état du droit prohibant l’aide au suicide et à l’euthanasie en raison « du caractère récent de la loi Claeys-Leonetti, adoptée dans un large consensus au terme d’un débat approfondi, des carences persistantes en matière d’accès aux soins palliatifs et enfin de l’impact symbolique particulièrement négatif pour les personnes les plus vulnérables » (7).  

 

     Or, alors que le Conseil d’État refuse de trancher, le débat parlementaire se veut polarisé entre les partisans de la loi de 2016 et ceux réclamant de nouvelles mesures. Le 1er mars 2018, cent-cinquante-six députés se sont exprimés au sein d’une tribune du journal Le Monde. Ils réclamaient à ce que soit donné aux malades en fin de vie « la libre disposition de leur corps et, c'est essentiel, de leur destin ». Ils soulignent que la loi Claeys-Léonetti « n'a pas permis d'introduire d'innovations significatives » et évoquent un « droit au choix ». Représentés par Jean-Louis Touraine, député de la 3ème circonscription de Lyon et médecin, il est proposé d’offrir un droit à chaque personne en phase terminale d'une maladie incurable le droit de choisir sa modalité de fin de vie et notamment une assistance à la fin de vie active. Quelques jours plus tard, quatre-vingt-cinq députés leurs répondaient alors en plaidant le maintien de la législation actuelle. Les changements proposés risqueraient, selon eux, une évolution normative vers une « médecine eugénique » (8).

 

 

     Une des toutes dernières applications en date de la loi Claeys-Léonetti est intervenue le 21 juin 2018 lorsque s’éteignait Inès, 14 ans, à la suite de l’arrêt des traitements pour sa myasthénie auto-immune. Notons que le texte de 2016 n’a pas permis d’éviter un douloureux contentieux pour les parents de la jeune fille, signe peut-être de la nature utopique de la recherche d’une législation équilibrée en matière d’accompagnement dans la mort.

 

 

Th. Bugada

 

 

Pour aller plus loin :

 

- A. Denizot, « Le nouveau droit de la fin de vie », RTD civ. 2016. 460.

- P. Le Maigat, « Rapport du Conseil d'État sur la révision de la loi sur la bioéthique : une consécration du principe de timidité ? », Gaz. Pal. 4 sept. 2018, n° 330, p. 16.

- E. Maupin, « Arrêts des soins sur un mineur : la CEDH approuve le Conseil d'État », Dalloz actu., 30 janvier 2018.

 

[i]

 

(1) P. Pédrot (dir.), Dictonnaire de droit de la santé et de la biomédecine, Ellipses.

(2) Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relatives aux droits des malades et à la fin de vie, dite Loi Léonetti.

(3) Rapport d’information relative aux droits des malades et à la fin de vie, n° 1287, 28 novembre 2008.

(4) Dans ce cas, les articles L.1232-1 à L.1232-6 et R.1232-1 à R.1232-4 du Code de la santé publique fixent les conditions dans lesquelles doivent être effectué le constat de mort qui permettra le prélèvement d’organe.

(5) Commission des affaires sociales, Sénat, rapp. n° 281 sur la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale relative aux droits des malades et à la fin de vie, G. Dériot, 6 avr. 2005, p. 15 ;

(6) Loi n°2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie ;

(7) Art. L.1111-11, alinéa 3 du Code de la santé publique ;

(8) Conseil d’État, Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ?, étude à la demande du Premier ministre, 11 juill. 2018, www.conseil-etat.fr ;

(9) J.-L. Touraine, « Fin de vie : où en sommes-nous ? », D. 2018. 1432.

 

 

 

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 Auteur de l'article : Th. Bugada


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