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Les conséquences du réchauffement océanique sur la migration des espèces marines expliquées par un maquereau

Cet article est -malheureusement- basé sur des faits réels. Seuls les personnages et leurs histoires ont été dramatisés à des fins purement sensationnalistes…

 

Sous les courbes ondulées de nos immensités océaniques et pas plus éloigné des côtes que les frontières immatérielles des zones économiques exclusives, peut actuellement être observer un amas d’espèces marines, naviguant en quête d’un environnement plus propice à leur survie.

En effet, l’élévation de la température des surfaces aquatiques causée par le réchauffement climatique est en train de bouleverser des écosystèmes entiers, contraignant certains spécimens à fuir leur habitat naturel. Si certains d’entre eux ne semblent pas être -encore- affecté, d’autres sont dans l’obligation de modifier leur tradition migratoire, pourtant séculaire, dans l’espoir d’atteindre un nouvel Eldorado.

Notre envoyé spécial est parti à la rencontre de ces « réfugiés climatiques » oubliés de la population terrestre, afin de les interroger sur les dessous abyssaux de cette crise halieutique contemporaine. Voici le témoignage d’un Scomber Scombrus, communément appelé maquereau atlantique, qui comme beaucoup d’autres, est touché par ce phénomène dramatique.

 

Le Décodé : M. Maquereau, vous êtes aujourd’hui en présence de votre famille, fuyant littéralement votre domicile, pouvez-vous nous en expliquer la raison ?

 

Maquereau : Et bien tout d’abord, sachez qu’à la différence de l’Homme, nous n’avons pas de domicile fixe et établi, nous ne sommes que nomade en perpétuelle quête de vivres. Cependant, il est vrai que nous migrons habituellement dans les mêmes zones chaque année. Ainsi, mon père, son père, le père de son père, et ce sur des générations, avaient coutume de naviguer dans les eaux froides bordant ce que vous appelez le Royaume-Uni en été, avant de repartir vers des eaux plus tempérées en automne. Aujourd’hui, à cause du réchauffement climatique, les surfaces océaniques s’adoucissent, nous forçant à pousser toujours plus loin vers le nord à la recherche d’eaux un peu moins… exotiques ! Cette année nous allons jusqu’en Islande, c’est le premier grand voyage des p’tiots ! [regard inquiet vers ce qui semblerait être ces enfants]

Voyez-vous, la température de l’eau affecte notre comportement et plus globalement celui des espèces possédant une capacité d’adaptation rapide, dont nos proies et  nos prédateurs. C’est toute la chaîne alimentaire marine qui se trouve alors bouleversée et plus largement nos habitats, nos modes de vie, de reproduction et d’alimentation. En migrant ainsi, c’est un peu comme si cela affecte une partie de notre héritage biologique, qui s’est construit en plusieurs siècles, celui qui nous dit où nous devons aller et quand, celui qui nous guide.

 

Le Décodé : Vous venez de regarder vos enfants avec un regard un inquiet, et c’est finalement l’ambiance générale qui semble se dégager de ce mouvement de foule : calme, inquiet voire un peu morbide. Comment expliquez-vous cela ?

 

Maquereau : Comme je vous l’ai expliqué, nous ne savons pas jusqu’où le réchauffement climatique va nous pousser à migrer. Actuellement nous sommes encore en eaux européennes, où des Totaux Admissibles de Captures (TAC) sont fixés de manière annuelle ou pluriannuelle selon les espèces, par la Commission européenne à l’aide de scientifiques. Ces quotas permettent, théoriquement, d’éviter une situation où à cause de la surpêche les stocks halieutiques ne peuvent plus se renouveler naturellement, conduisant ainsi les espèces à leurs pertes. Ils assurent ainsi la pérennité de la faune marine. Cependant, nous allons d’ici peu sortir de ces eaux européennes pour rejoindre l’Islande, qui pour des raisons économiques et politiques ne fait pas partie de l’Union, et par conséquent, ne garantit pas la même protection. Nous ne serons donc plus à l’abri des pêches intensives et seuls les plus chanceux passeront entre les mailles du filet. 

Autre facteur important, peu importe là où nous allons, d’autres espèces sont déjà présentes, ou d’autres vont également y migrer. Qui nous dit qu’un prédateur ne nous attend pas pour son dîner ? Qui nous dit que nos proies seront également présentes et en quantité suffisante ? Vous l’aurez compris c’est tout un tas d’inconnus qui rendent l’équation de notre migration pour le moment insolvable, et ce que je dis est valable pour beaucoup d’autres espèces. Les algues ne sont pas forcément plus vertes ailleurs vous savez.

 

 

Le Décodé : Savez-vous s’il existe des solutions pour forcer les États à agir pour lutter contre ce phénomène de migration climatique ?

 

Maquereau : Vous l’aurez compris, le problème ce n’est pas la migration, c’est la destination. Il existe déjà des solutions mises en place afin de garantir une protection de l’environnement aquatique. Celles-ci sont issues en grande partie de conventions internationales et régionales mais aussi de la législation des différents États côtiers. Dans notre cas, il y a tout d’abord la Convention de Montego-Bay sur le droit de la mer qui prévoit une obligation générale aux États partis de protection et préservation du milieu marin. On retrouve également la Convention sur la diversité biologique qui prévoit que la biodiversité est « une préoccupation commune à l’humanité » et qui propose des solutions adaptées afin de garantir une protection et une préservation des écosystèmes terrestres comme maritimes. Ces textes, comme de manière générale en droit international, ne créés pas de sanction pour la violation de ces obligations, ils ne servent que de base pour invoquer la responsabilité internationale d’un État.

            Le réchauffement climatique est en grande partie dû aux activités de l’Homme, de tout État qu’il soit. Il apparaît dès lors une difficulté majeure dans l’engagement de cette responsabilité : à quel État incomberait la responsabilité dans notre cas ? Qui peut dire que tel ou tel État est responsable du réchauffement climatique et donc de notre migration ?

 

Le Décodé : La Convention sur la diversité biologique que vous venez de mentionner, prévoit à son article 8, la possibilité pour les États d’établir « un système de zones protégées ou de zones où des mesures spéciales doivent être prises pour conserver la diversité biologique ». Pensez-vous que cela serait une solution efficace pour lutter contre les menaces surjacentes à votre nouveau type de migration ?

 

Maquereau : Certains de ces sanctuaires ont déjà été mis en place, ils sont appelés les « aires marines protégées » (AMP). Des effets très positifs et encourageants ont pu être observés au sein de ces zones, l’exemple typique est celle localisée au large de l’Australie, dans la grande barrière de corail. Elles apportent en effet de grandes restrictions ou interdictions à la navigation, aux pêcheries industrielles, à exploitation des fonds marins, au tourisme ou encore à certaines activités terrestres pouvant avoir des conséquences sur les eaux adjacentes.

            Si leur but n’est que louable, je tiens à rappeler les différentes failles de ces zones. Tout d’abord, elles ne sont que trop peu nombreuses. Elles ne représentent actuellement que 3,70 % de la surface océanique mais ce chiffre devrait atteindre les 10 % d’ici 2020. Nous encourageons et remercions d’ailleurs les parties à la Convention sur la diversité biologique à poursuivre leurs efforts, gros big-up.

 Ensuite, il existe la difficulté de leur établissement, qui ne relève que de la compétence et de la volonté des États côtiers seulement dans les limites territoriales de leur souveraineté, c’est-à-dire à l’intérieur de leur zone économique exclusive. S’il est établi que 90 % des espèces aquatiques vivent dans les limites de ces zones, qu’en est-il des espèces migratoires qui doivent traverser les eaux internationales pour atteindre leur nouvel habitat ?

L’établissement d’AMP dans les eaux internationales est possible, mais n’aura d’effet que pour les parties à la convention l’établissant. Les États peuvent cependant y être particulièrement réticents puisqu’il conduit à une atteinte relativement importante du principe coutumier de la liberté de la mer, maintenant cristallisé dans la Convention de Montego-Bay. Preuve en est, la première AMP établie dans une zone internationale (en Antarctique) ne date que de 2016, soit 24 ans après la création de cet instrument par la Convention sur la diversité biologique.

            Ensuite une autre difficulté par rapport à ces sanctuaires, qui nous concerne un peu plus dans le cas du réchauffement des surfaces océaniques, c’est qu’elles ne sont établies uniquement que pour une zone géographique fixe. Cela fait que si nous sommes protégés au moment de sa création, dès que nous migrons à cause du réchauffement des eaux ou non, nous ne le sommes plus, laissant un joli polygone tracé sur une carte, sans réelle efficacité…Je suis de mauvaise foi, ces aires marines protégées sont quand même un grand pas en avant dans la protection de l’environnement marin, mais il est vrai qu’elles perdent un peu de leur sens pour les espèces migratoires. Un autre facteur qui leur fait perdre leur crédibilité est celui des frontières maritimes qu’elles mettent en place. Celles-ci sont comme toutes les autres d’ailleurs, abstraites, en tant que poisson nous ne les voyons pas, comment savoir si nous nous trouvons dans l’une de ces zones ou non ? Et comment savoir où elles se trouvent ?

 

Le Décodé : Au final, n’est-ce pas une bonne chose que de migrer de plus en plus vers le nord ? Il est reconnu que les pays septentrionaux sont très respectueux de l’environnement et la présence de glaces est une contrainte pour les pêcheries, ne vous serait-ce pas plus bénéfique ?

 

Maquereau : Votre raisonnement est un peu triste. Comme je vous l’ai dit, nous ne recherchons pas quelque chose mieux que ce que nous avions avant, nous fuyons un endroit où nous ne pouvons plus vivre. À suivre cette logique, les réfugiés de guerres ou politiques quittent leur pays juste pour aller dans un endroit plus riche ou plus moderne. Non, ils quittent juste un endroit où ils risquent leur vie. Je ne veux pas dire que la situation est similaire, mais si on regarde le fond un peu quand même. Notre environnement devenu mortel, en majorité à cause d’activités humaines que l’on n’a pas demandées, nous contraint de fuir notre domicile et mode de vie. Nous nous évadons alors vers un endroit que nous pensons plus sécurisé, sans pour autant être sûr de ce qui nous attend. Peut-être que des États nous aurons garanti une protection par le biais de quotas élevés par exemple, peut-être que d’autres le feront également mais avec des quotas plus faibles. Peut-être que des locaux nous accepteront, peut-être que d’autres nous « mangeront ».

            Ensuite, pour répondre à votre question sans créer de polémique, il est vrai que les pays nordiques sont réputés pour leur protection de l’environnement. D’abord il faut savoir que tout ce que je dis depuis le début est aussi valable pour le pôle sud. Le problème étant le réchauffement des eaux et la migration des espèces vers des eaux plus froides, cela concerne les deux extrémités polaires de notre planète. Les pays méridionaux bordant les terres australes n’ont pas cette même réputation écologique. Ensuite, dans le cas de l’Arctique, regardez sa forme de bassin, avec une entrée du côté de l’Océan Pacifique et une du côté de l’Atlantique. Supposons que le réchauffement des eaux continu, ce qui va arriver d’ailleurs, les poissons migrent vers le nord et entrent dans cette cuve par ces entrés. La glace fondue et les activités de pêche désormais possibles, l’Arctique sera devenu pour nous un véritable goulot d’étranglement.

            Des groupes d’experts du Conseil de l’Arctique travaillent actuellement sur une possible création d’aires marines protégées dans cette haute mer boréale. Pour le reste du bassin, ce sera principalement aux États côtiers (Russie, Norvège, États-Unis, Canada, Islande et Danemark ou Groenland selon l’avancement de l’indépendance de ce dernier) de prendre les mesures nécessaires pour garantir une protection des stocks suffisantes pour leur pérennité, par le biais de ce type de sanctuaire ou d’autres moyens.

J’espère que ce témoignage suscitera un peu de réaction de la part des États et les aidera à prendre conscience de ce qui nous arrive.

 

Le Décodé : Ah non, cela va être compliqué puisque c’est pour un journal étudiant.

 

Maquereau : Il fallait le dire plus tôt je ne me serais pas cassé l’arête à tout vous expliquer ! Venez les enfants, en route pour l’Islande !

 


Hugo Lopez


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