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Rédaction législative : le nouveau temps parlementaire par le projet de loi constitutionnelle

 

     Jugée pourtant comme prioritaire par le Président de la République, la réforme constitutionnelle « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace » enchaîne les contretemps. D’abord décalé à la fin de l’été à la suite de la polémique Benalla, le Premier ministre annonçait, fin août, que le projet de loi constitutionnelle se verrait de nouveau reporté « de quelques mois tout au plus »[1]. Dans la foulée, Richard Ferrand, chef de file des députés de la majorité, estimait que le calendrier ne permettrait l’examen de la réforme qu’entre novembre et janvier, se réjouissant que le gouvernement privilégie des mesures à caractère principalement économique. Et effectivement, quand on sait la volonté de l’exécutif de réformer la procédure législative, on comprend que les parlementaires puissent se réjouir de l’opportune procrastination.

 

     Comportant dix-huit articles pour la version sur laquelle le Conseil d’État s’est prononcé, la réforme constitutionnelle en question compte toucher évidemment d’autres sujets que celui de la procédure d’adoption des lois par le Parlement. Sur le plan institutionnel, elle envisage en effet, la suppression de la Cour de Justice de la République, le remplacement du Conseil économique, social et environnemental par une Chambre de la participation citoyenne ainsi que le régime constitutionnel des collectivités territoriales dont notamment la Corse. Il est également question de modifier la composition du Conseil constitutionnel, en mettant fin à l’inclusion de droit des anciens Présidents de la République, mais également sa saisine, en l’élargissant à quarante députés ou sénateurs contre soixante actuellement. Enfin, la réforme constitutionnelle envisage l’alignement du statut des magistrats du parquet sur leurs homologues du siège, en conditionnant leurs nominations à un avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Ce dernier serait également chargé du contentieux disciplinaire des parquetiers, autre rapprochement entre les deux magistratures.

 

     Mais si chacun de ces sujets rivalise d’importance, c’est bien la procédure d’adoption législative qui est l’objet principal d’une telle réforme, avec sept articles sur les dix-huit en question. Sur ce point, l’objectif affiché par le gouvernement est celui de la rationalisation du temps parlementaires ainsi que la lutte contre l’inflation législative. Deux modifications majeures en découlent : d’une part, la limitation du mécanisme de navette parlementaire et d’autre part, l’irrecevabilité systématique des amendements dépourvus de caractère normatif ou sans lien direct avec le texte en discussion

 

L’accélération de la procédure législative

 

      Déjà dans le viseur de l’exécutif précédent, Emmanuel Macron prévenait le Congrès réuni devant lui le 3 juillet 2017 : « le rythme de conception des lois doit savoir répondre aux besoins de la société […]. Il faut qu’au temps long du travail législatif, que je viens d’évoquer, soit ajoutée la faculté d’agir vite »[2]. Or dans le cadre de la procédure ordinaire d’adoption des lois prévue à l’article 45 de la Constitution du 4 novembre 1958, la navette parlementaire constitue la manifestation du dialogue bicaméral en ce qu’elle permet la réponse d’une assemblée parlementaire à une autre concernant la rédaction législative. Le rapport accompagnant le projet de loi constitutionnelle souligne d’ailleurs qu’un même texte peut être examiné jusqu’à treize fois lors de la procédure d’adoption législative ordinaire. Mais ce qui n’est pas relevé d’abord, c’est l’usage quasi-généralisé de la procédure dite accélérée et surtout, de la réduction déjà amorcée du temps moyen nécessaires à l’adoption d’une loi. En effet, cette moyenne se situait entre 162 jours pour la session 2013-2014 contre 137 pour celle entre 2016 et 2017 concernant la procédure accélérée[3]. Concernant la procédure ordinaire, une baisse est aussi observée puisque qu’on passe, sur la même période de 454 jours à 354 nécessaires à l’adoption d’un texte. Plus rapide donc, mais toujours pas assez. Soit.

 

     Toujours est-il que l’article 5 du projet de réforme constitutionnelle ambitionne à une réécriture de l’article 45 de la Constitution du 4 novembre 1958 en modifiant son quatrième alinéa. Il en découlerait la suppression d’une des trois étapes prévues en cas d’échec de la commission mixte paritaire : le Sénat se prononcerait dorénavant en quinze jours sur le dernier texte voté par l’Assemblée nationale. Cette dernière disposerait alors d’un délai de huit jours pour statuer définitivement sur le même texte, à la demande du gouvernement. Cette modification s’inscrirait, selon ce dernier, dans l’esprit de la Constitution de 1958 puisqu’elle laisse à l’Assemblée nationale, chambre des représentants directs du peuple, le dernier mot, marque de fabrique du bicaméralisme imparfait du constituant de 1958.

 

     Ainsi, si la modification aurait bien pour effet de limiter à deux lectures, les textes soumis via cette procédure, force est de constater que le gain temporel ne serait que limité. En effet, hors période exceptionnelle de disharmonie entre les deux assemblées, 88 % des textes ont été adopté à la suite du mécanisme de navette parlementaire ou à la réunion d’une commission mixte paritaire fructueuse pour la période 1959 à 2017[4]. La nouvelle célérité désirée par le gouvernement se voudrait donc extrêmement circonstanciée, mais pourrait, à terme, réduire l’influence du Sénat dans le mécanisme de rédaction législatif, en lui imposant un délai de deux semaines, rarement suffisant aujourd’hui. Le Conseil d’État est pourtant d’avis que l’équilibre entre le temps consacré et l’efficacité du dialogue entre les deux chambres se voudrait respecté en conservant la « possibilité de reprendre, en dernière lecture, les amendements votés ou déposés au Sénat permettra à l’Assemblée nationale et au Gouvernement de bénéficier des apports du Sénat et d’améliorer le texte jusqu’au terme du processus législatif ». Reste à voir si l’articulation des ordres du jour des assemblées permettra de s’accommoder à ce nouveau rythme législatif.

 

     Or, les prérogatives de l’exécutif sur la fixation des ordres du jour des assemblées sont également en question au sein du projet de réforme de la loi fondamentale. L’article 8 du texte projeté envisage ainsi la révision de l’article 48 de la Constitution, y ajoutant la faculté d’inscrire à l’ordre du jour, « des textes relatifs à la politique économique, sociale ou environnementale, déclarés prioritaires par le Gouvernement sans que les Conférences des présidents s’y soient conjointement opposées ». Une telle modification, comme le relève le Conseil d’État, aurait pour conséquence « un élargissement considérable du champ des textes susceptibles d’être inscrits à l’ordre du jour par priorité, dont rien n’interdit cependant qu’il s’agisse de propositions de loi », tout en soulignant que l’aspect prioritaire viendrait moins de l’objet du texte que du choix du Gouvernement.

 

     En conséquence, comme il a pu l’être annoncé, la temporalité de la procédure d’adoption de la loi est clairement un enjeu majeur de la réforme, certes. Mais l’optimisation voulue passe, en l’état du texte, à une maîtrise plus affirmée du temps du débat parlementaire par le pouvoir exécutif. Ce dernier pourrait ainsi écourter le nombre de lectures, mais également imposer les sujets qu’il estime prioritaire. Et le temps du débat n’est pas le seul à se voir, un peu plus, soumis à l’exécutif, son ampleur se verrait elle aussi limitée.

 

L’encadrement du temps législatif 

 

     Au sens de la réforme, mieux légiférer, c’est également moins tergiverser. Pour cela, le projet constitutionnel prévoit l’ajout d’une cause d’irrecevabilité des amendements ou propositions au sens de l’article 41 du texte de 1958. Ainsi, les amendements qui sont sans lien direct avec le texte déposé ou transmis en première lecture ne serait plus recevables. L’ambition est affichée : la lutte contre les cavaliers législatifs. Tirée de l’image symbolique du « cavalier disjoint de sa monture », il s’agit de la greffe dans les débats parlementaires d’initiatives sans lien avec le texte en question.

 

     L’objectif de limitation de cette pratique s’inscrit effectivement dans la prolongation historique de l’histoire parlementaire française. D’abord signe de liberté des débats jusqu’à la IIIème République, la France a peu à peu perdu patience avec les amendements sans lien avec la loi en débat. Ainsi, Léon Gambetta relevait que « C’est bon en philosophie, où tout est dans tout, mais en matière parlementaire, on ne peut mettre en discussion que ce qui se rattache au sujet à l’ordre du jour »[5]. D’abord en matière de procédure budgétaire, le cavalier législatif fut ensuite prohibé de manière générale en 1935 par la modification de l’article 84 du règlement de l’Assemblée nationale. Mais la pratique interne extrêmement souple des assemblées parlementaires n’imposant pas de contrôle systématique des dépôts des amendements n’a pas permis l’application souhaitée de cette interdiction. C’est par la voie jurisprudentielle donc qu’une ébauche de contrôle a vu le jour. Par la décision dite amendement Tour Eiffel de 1985, le Conseil constitutionnel posa le principe selon lequel les amendements doivent se rapporter au texte. Les sages se sont ainsi octroyés de plus en plus de pouvoir en matière de contrôle de ces amendements potentiellement opportuns. Il s’est d’abord reconnu d’office compétent pour soulever les cavaliers législatifs puis a supprimé le préalable parlementaire, pourtant toujours en vigueur en matière budgétaire. La situation est aujourd’hui telle que « la censure du cavalier est devenue un sport constitutionnel de masse : il est rare qu’une décision de conformité n’en comporte pas quelques exemples »[6]

 

     Désireux d’aller plus loin, le Gouvernement propose donc, via l’article 3 du projet de réforme constitutionnelle réformant l’article 41 de la loi fondamentale, d’inscrire comme cas d’irrecevabilité « les amendements qui sont sans lien direct avec le texte déposé ou transmis en première lecture », l’ajoutant ainsi aux amendements sans portée normative ou ceux contraire à une habilitation à légiférer par voie d’ordonnance comme convenue par l’article 38. Là encore, le Conseil d’État acquiesce, justifiant l’interdiction systématique des cavaliers par « l’augmentation régulière et importante du nombre des amendements, qui a pu nuire à l’efficacité de la procédure parlementaire et à la qualité de la loi, les règles d’irrecevabilité déjà prévues par la Constitution étant très peu utilisées ». De plus, le projet de réforme prévoit la réduction du délai accordé au Conseil constitutionnel pour statuer, passant ainsi de huit à trois jours, imposant à la juridiction des sages, un rythme soutenu de règlement de ce contentieux.

 

      Cette chasse aux cavaliers constitue, pour certains auteurs, une atteinte affirmée au droit fondamental du parlementaire de proposer des amendements. Reprenant la position du constitutionnaliste Eugène Pierre, la faculté d’amender constituerait le « corollaire de l’initiative législative ». En extrapolant, on peut se demander comment articuler l’article 41 voulu par le gouvernement avec l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. En effet, la censure a priori des propositions d’amendements n’est-elle pas une restriction indirecte du droit de chaque citoyen à concourir par leurs représentants à la formation de la loi ?

 

      Quoi qu’il en soit, si on comprend l’importance de tempérer cette pratique, le choix de la méthode a pu interloquer. En effet, il était question à l’origine, de limiter quantitativement le nombre d’amendements en fonction des groupes parlementaires. La solution pouvait paraître plus opportune puisqu’elle apporte, à un problème quantitatif, une solution quantitative. À l’inverse, le choix d’un nouveau cas d’irrecevabilité au sein de l’article 41 de la Constitution oblige à une analyse au cas par cas du fond de chaque amendement déposé. Il faut néanmoins relever qu’en l’état, le projet de réforme aurait le mérite d’instaurer une faculté de contrôle des amendements du gouvernement, par les parlementaires.

 

     Par conséquent, le projet de réforme proposé par le gouvernement apporte effectivement des réponses aux problèmes soulignés. Mais ces réponses se veulent orientées. En s’arrogeant une maîtrise nouvelle sur le temps du débat parlementaire, via la modification des articles 45 et 48 de la Constitution, le gouvernement peut effectivement accélérer le temps nécessaire à la rédaction de la loi… s’il l’estime alors nécessaire. En d’autres termes, le projet ne rend pas la procédure législative plus rapide, mais il offre à l’exécutif la faculté de l’accélérer.

     De la même manière, l’ouverture d’un cas d’irrecevabilité tourné vers les cavaliers législatifs se veut judicieux mais là encore, l’exécution d’une telle disposition pose de nouvelles questions. Sans compter le nouvel équilibre du parlementarisme français qui devra adapter sa pratique en matière de rédaction législative. On comprend bien en quoi il est capital qu’une loi, prise dans un contexte sociétale donné, produise ces effets dans ce même contexte la rendant nécessaire mais, et puisqu’a été cité Gambetta, il est bon de rappeler les propos de Clemenceau : « Ces discussions ont leurs inconvénients, le silence en a davantage. Oui ! Gloire aux pays où l’on parle, honte aux pays où l’on se tait »[7].

 

 

Th. Bugada

 

 

 

 

 

 

[1] A. Lemarié et P. Roger, Le report tactique mais risqué de la révision constitutionnelle, Le Monde Politique, 29 août 2018.

[2] E. Macron, JO, Congrès, débats, 3 juill. 2017, p. 6.

[3] J.-E. Gicquel, L'article 45 de la constitution : du nouveau dans la navette parlementaire, LPA, n° 163-164, p. 9.

 

[4] J.-E. Gicquel, préc. cité.

[5] Séance du 18 nov. 1880, Pierre E., Traité, n° 697.

[6] M. Marin, La prohibition des cavaliers législatifs, LPA, n°135, p.55.

[7] JO, chambre des députés, débats, 4 juin 1888, p. 183.

 

 

 

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 Auteur de l'article : Th. Bugada


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