Le 13 mars dernier, Jean-Jacques Urvoas, alors Garde des Sceaux, présentait un projet de réforme du droit de la responsabilité civile, deuxième volet de la refonte globale du droit des obligations amorcée par la réforme du droit des contrats l'an passé. Or, contrairement à cette dernière, le chantier semble loin d'être aussi ambitieux. En effet, le texte en question s'apparente plus à un aggiornamento de la responsabilité civile, plutôt qu'à une véritable réforme à proprement parler.
Formellement, le texte reformant la responsabilité civile viendrait modifier le sous-titre II, du titre III du live III du Code civil en le sous-divisant en 6 chapitres : Propos liminaires ; Conditions de la responsabilité ; Causes d'exonération ou d'exclusion ; Effets de la responsabilité ; Clauses sur la responsabilité et enfin, Régimes spéciaux de responsabilité. La réforme concernerait alors les articles 1232 à 1299-3 du dit Code.
Pas de suspense inutile : l'ancestral article 1240 (ex-1382) est mort et cette fois, pour de bon. Sa litanie (Tout fait de l'Homme qui cause à autrui un dommage...) a été remplacée par une série de dispositions détaillées sur le triptyque classique des conditions à la responsabilité. Ainsi, le préjudice et le lien de causalité devraient faire l'objet d'une sous-section chacun. Cela permet alors à des notions comme la perte de chance (art. 1238) ou la pluralité d'auteur (art. 1240), jusque là purement prétorienne, d'obtenir leur propre article au sein du Code. De même manière, la faute obtient elle aussi une définition (art. 1242). On l'aura donc compris : une simple actualisation de vos cours sera suffisante même si des nouveautés méritent d'être relevées.
Incorporations et innovations
D'abord, le texte vient codifier des principes longtemps détaillés par la jurisprudence à partir du code napoléonien : principe de non-option entre un fondement délictuel ou contractuel (art. 1233), principe de réparation intégrale du préjudice (art. 1258) et surtout la consécration textuelle de l'objectivisation de la faute civile. En effet, l'ensemble des jurisprudences relatives aux faits générateurs de responsabilité sont reprises, que ce soit en matière de fait des choses (arrêts Teffaine, Jand'heur ou même Franck) ou du fait d'autrui (arrêts Blieck, Lemaire et Derguini ou même Costeboat). Le droit d'hier était ainsi fait de noms, celui de demain redeviendra celui des nombres. A l'image du droit des contrats, il s'agit de graver dans le marbre du Code, les principales décisions prises depuis 1804.
Le projet de réforme soumet également quelques bonnes idées comme le principe de dé-contractualisation des dommages corporels (art. 1233-1). Dès lors, seule la responsabilité extra-contractuelle pourra être évoquée. L'alinéa 2 nuance pourtant en offrant une option si ledit contrat se veut plus favorable. Néanmoins, cette exception ne devrait pas avoir vocation à s'appliquer souvent. L'idée d'exclure du champ contractuel le dommage corporel, au moins dans une certaine mesure, s'inscrit parfaitement dans la logique indemnisatrice du droit de la responsabilité moderne. De plus, à l'aube de la justice prédictive, un décret pris en Conseil d'Etat établira une nomenclature non limitative des postes de préjudice (sur la base de la nomenclature Dintilhac) et un barème médical d'invalidité unique ainsi qu'un barème de capitalisation des rentes. L'ensemble vise à faciliter le chiffrage des préjudices corporels, uniformisant les pratiques et accélérant l'indemnisation des victimes.
Le nouvel article 1266-1 propose également d'instaurer l'amende civile au sein du Code civil afin d'éviter la multiplication des fautes dites lucratives. Il s'agira alors de compenser le bénéfice qu'à pu réaliser l'auteur d'un dommage en majorant les sommes dues par une "amende" au Trésor public. Une disposition en décalage avec la conception française de la responsabilité civile mais pourtant d'un appréciable pragmatisme. Cette somme, non assurable, sera conditionnée à la volonté de l'auteur du dommage de réaliser un profit, malgré la mise en mouvement de sa responsabilité délictuelle. Le projet de réforme rejette donc définitivement l'hypothèse de "dommages et intérêts punitifs" qui auraient été versés à la victime. La solution se conforte alors mieux au principe de réparation du seul préjudice afin d'éviter de battre monnaie via la justice.
Enfin, le texte procède à de légères adaptations des régimes spéciaux de responsabilité. Concernant les produits défectueux (art. 1289 et suivants), il s'agit d'abord d'écarter les divergences entre le droit interne et la directive européenne ou encore l'interprétation qu'en fait la Cour de justice de l'Union européenne concernant le concours entre le régime spécial et les autres régimes de responsabilité. De manière identique, la loi Badinter de 1985 fait formellement son entrée dans le Code civil. La principale modification en la matière concerne alors la prise en compte de la faute inexcusable du conducteur pour réduire son droit à indemnisation. Pourtant, et sans doute sous l'impulsion des assureurs, le projet revient sur l'alignement des protections des victimes conductrices et non-conductrices en matière de dommage corporel : la situation du premier restant sensiblement moins favorable (art. 1287).
Deux pas en avant et un pas en arrière
Le projet ainsi présentait semble donc principalement positif : une adaptation nécessaire sans déconstruire ce que la pratique avait mis deux siècles à établir. Mais voilà, quand on compare ce texte à celui soumis à concertation en avril 2016, on ne peut se montrer que déçu. En effet, l'ensemble des points innovants ont tous fait l'objet d'un net recul.
Ainsi par exemple en matière de responsabilité des contractants à l'égard des tiers, si l'avant-projet cassait la jurisprudence Bootshop, considérée parfois comme injuste, dans un salvateur article 1234, le texte de mars dernier y ajoute un laconique alinéa 2 qui vide de sa substance l'innovation et renvoie à l'inique situation de 2006. En effet, certains tiers peuvent alors obtenir les mêmes droits que les créanciers en exigeant sous forme de dommages et intérêts, les avantages qu'ils auraient pu obtenir du contrat. Pire encore, ces tiers disposeraient dans certains cas d'une option entre la responsabilité contractuelle et extracontractuelle. Une telle faculté étant même refusée aux parties au contrat. En conséquence, la survivance de cette jurisprudence à la simple condition "d'un intérêt légitime à la bonne exécution du contrat" revient à privilégier le statut quo, donnant l'impression que le projet reprend de la main gauche ce qu'il donne de la droite.
Toujours concernant les insuffisances, le texte ne répond pas à certaines problématiques particulièrement actuelles notamment concernant la décontractualisation des dommages corporels. En effet, le créancier victime d'un dommage corporel causé à l'occasion de l'exécution du contrat ne pourra pas en demander réparation à son débiteur lorsque celui-ci aura fait exécuter le contrat par un tiers non-préposé. A l'heure de "l'ubérisation" du travail et du recul du salariat, cela revient à créer une exception qui deviendra de plus en plus fréquente au futur texte.
Le tout prend alors un amer goût de pétard mouillé : Moins audacieux et a fortiori plus conservateur, la réforme de la responsabilité civile à venir se veut comme un simple ajustement technique accompagné d'un manque d'anticipation, des occasions manquées et des débats doctrinaux qui resteront en suspens. Or, ce n'est pas la codification à droit constant qui pose problème mais plutôt l'absence d'esprit général au texte. En comparaison l'ordonnance réformant le droit des contrats, consacrant tout autant les jurisprudences passées, avait au moins le mérite de revenir sur la conception volontariste et égalitaire du contrat comme vu au XIXème.
Cela dit, la Chancellerie a encore du travail : le texte devra encore être soumis à une consultation interministérielle ainsi qu'un avis du Conseil d'Etat avant d'être placé à l'ordre du jour du Parlement. On peut néanmoins deviner les deux types de réaction qu'il provoquera. Celle des optimistes d'une part, qui diront que cette réforme était nécessaire. Et celle des pessimistes (ou réalistes), d'autre part, qui la jugeront loin d'être suffisante.
Thomas Bugada
Pour aller plus loin :
-J.-S. Borghetti, L'avant-projet de réforme de la responsabilité civile, D. 2016, p.1442 ;
-G. Viney, Après la réforme du contrat, la nécessaire réforme du code civil relative à la responsabilité, JCP, 2016. 99 ;
-J. Knetsch, Le traitement préférentiel du dommage corporel, JCP 2016, suppl. au n° 30-35, p. 9 ;
-N. Dissaux, Quelles réformes pour la responsabilité civile ? AJ contrat 2017, p.169.