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Traité CETA : retour sur un traité controversé

« Make Our Planet Great Again pour les multinationales et les gros investisseurs ». Tel est, pour Laurence Dumont, secrétaire de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, la résultat du Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA), dit également l’Accord Économique et Commercial Global (AECG).

Le CETA est un traité international de libre échange dont les parties sont le Canada et l’Union européenne. Ce traité prévoit la mise en place de nombreuses mesures dont les plus connues sont la suppression des droits de douane entre les parties et la mise en place d’un tribunal arbitral pour la résolution des différends (article 2.4 et Section F du texte). Le texte avait déjà fait l’objet de vifs débats et contestations il y a quelques années et le sujet est de nouveau d’actualité après la ratification du traité le 23 juillet 2019 par l’Assemblée nationale française. Pour mieux comprendre toute l’importance de cette convention, il convient de s’intéresser rapidement au processus de ratification du CETA.

 

Faisant suite aux signatures des 28 États membres de l’Union européenne (avec, on le rappelle, une courte opposition de la Wallonie dans le cadre de la signature belge), la signature finale du CETA par Justin Trudeau, le Premier ministre canadien, et Donald Tusk, le Président du Conseil européen, a eu lieu le 30 octobre 2016. Toutefois, l’entrée en vigueur de l’entièreté du traité a pris un certain retard. En cause, l’avis 2/15 de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) rendu le 16 mai 2017 à propos d’un accord avec Singapour, dans lequel il est notamment indiqué que le régime du règlements des différends (par la mise en place de tribunaux d’arbitrage), n’est pas un domaine relevant de la compétence exclusive de l’Union. Pour le CETA, la difficulté est la même et c’est pourquoi une ratification particulière par les 43 parlements nationaux et régionaux des États membres est nécessaire.

 

C’est bien cette ratification par les différents États membres qui a de nouveau placé le CETA au centre de l’attention. Reste que, dans l’attente de ratification, l’ensemble des domaines relevant de la compétence exclusive de l’Union européenne – soit 90% du texte – est déjà entré en vigueur depuis le 21 septembre 2017. Néanmoins, point essentiel du sujet, le texte a été présenté en un seul « bloc » et si un seul des États membres refusait de ratifier le traité, ce ne serait pas seulement les 10% restant, mais bien l’ensemble des stipulations du texte qui ne seraient plus appliquées. Dans cette optique, le gouvernement italien, eurosceptique, a annoncé que la majorité parlementaire ne ratifierait pas le traité.

 

Le regain d’intérêt pour le traité CETA est donc l’occasion d’expliquer succinctement les points majeurs du débat.

 

Un traité favorable à l’économie

 

Les défenseurs du traité invoquent souvent ses bienfaits économiques. En effet, l’Union européenne est le deuxième partenaire commercial du Canada et l’échange de biens entre eux est estimé à près de 89,2 milliards d’euros par an. Grâce au CETA, au terme d’un durée de sept ans, la suppression des droits de douanes serait totalement achevée et elle permettrait de réaliser une économie d’environ 600 millions d’euros par an. Par ailleurs, en permettant aux entreprises de chaque partie de participer aux marchés publics de l’autre, l’emploi serait également favorisé. En termes d’investissements dans l’Union européenne, le site du Parlement du Canada indique que le pays est placé deuxième, avec 171,5 milliards d’euros investis en 2012, l’Union européenne ayant investi de son côté près de 180,9 milliards d’euros au Canada pour la même année.

Selon Eurostat, depuis l’entrée en vigueur de 90% des stipulations du traité, plus précisément entre septembre 2017 et juillet 2018, les exportations de l’Union européenne vers le Canada ont augmenté de 7%. Dans les 12 mois suivant cette mise en œuvre, la progression a été de 13,3%, le montant des importations étant passé de 1036 millions de dollars canadiens à 1174 millions de dollars canadiens.

Malgré cette multitude de points positifs, la ratification du traité par l’Assemblée nationale française le 23 juillet 2019 ne s’est pas faite par une écrasante majorité, puisque 266 députés ont voté pour, 213 contre et 74 se sont abstenus (le texte sera présenté au Sénat au mois d’octobre). En plus de la France, de nombreux États n’ont pas encore ratifié le traité, parmi lesquels figurent des pays ouvertement eurosceptiques tels que la Hongrie, l’Italie et la Pologne.

 

Une question subsiste alors, pourquoi un traité aussi vertueux que le CETA a été et est encore à l’heure actuelle aussi contesté ? 

 

Ces contestations, il est important de le rappeler, n’étaient pas isolées. C’est bien une pétition ayant réuni 3,5 millions de signatures qui a été présentée au Parlement européen en février 2017. Toutefois, le processus de ratification n’a pas été remis en question, malgré les oppositions, les risques environnementaux, sanitaires et juridiques mis en évidence.

 

Les risques environnementaux, sanitaires et juridiques du CETA

 

D’un point de vue environnemental et sanitaire, l’Union européenne et a fortiori la France, disposent de normes bien plus protectrices que le Canada. Une des craintes majeures des opposants au CETA est l’affaiblissement du principe de précaution. Ce dernier, introduit en droit français par la loi Barnier de 1995, figure à l’article L. 110-1-II du Code de l’environnement et, depuis 2004, à l’article 5 de la Charte de l’environnement. En droit de l’Union, le principe de précaution est un principe général du droit de l’Union européenne, tiré en réalité de l’article 191-2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). En substance, ce principe permet aux pouvoirs publics de prendre des mesures effectives et proportionnées lorsqu’un doute scientifique sérieux existe en matière environnementale ou sanitaire. Il s’agira par exemple de repousser la mise sur le marché d’un médicament et d’encourager dans le même temps les études scientifiques.

 

En ce sens, le 4 juillet 2019, devant l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), l’Union européenne a été ouvertement critiquée par divers États, dont le Canada, pour ses normes environnementales. Ces États se disent « préoccupés » du fait de l’interdiction par l’Union européenne de « substances qui sont nécessaires pour une production sûre et durable et qui sont autorisées par de nombreux membres de l’OMC ». La fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l’Homme (FNH) rappelle dans un communiqué de presse du 19 septembre 2018 que « le Canada autorise 42 molécules interdites dans l’UE » et qu’il autorise la consommation de saumons génétiquement modifiés (sans obligation d’étiquetage). Le Canada n’interdit pas non plus les farines animales (telles que les farines de sang ou la gélatine) pour l’élevage des bovins, les hormones ou encore les antibiotiques.

 

Pour ce qui est des risques juridiques, avant d’aborder le sujet des tribunaux d’arbitrages, il est intéressant de s’arrêté sur la « coopération réglementaire » visant à aller vers une harmonisation des règlementations canadienne et française sur de nombreux sujets. La FNH indique à ce propos que des comités techniques thématiques ont été créés et que les États membres de l’Union européenne se sont engagés à « communiquer tous les projets de lois, de règlements, de procédures et de décisions administratives à l’avance au Canada (et réciproquement) ainsi qu’à toutes les parties intéressées afin qu’ils puissent présenter des observations ». Un tel mécanisme risque d’augmenter considérablement le pouvoir des groupes de pression.

 

Concernant l’arbitrage, plus précisément l’instauration d’un « système juridictionnel des investissements », il fait partie des 10% du traité n’étant pas encore en vigueur, ce qui ne l’empêche pas de susciter d’ores et déjà des craintes majeures. En outre, la mise en place d’un tel mécanisme permettrait à une entreprise d’exercer un recours en vue d’obtenir des dommages et intérêts de la part d’un État qui mettrait, selon elle, en place une politique publique menaçant son activité économique.

Point important, en 2017, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), le montant des dommages et intérêts versés par les États à des investisseurs s’estimant lésés s’élevait en moyenne à 454 millions de dollars. Quand bien même l’État n’aurait pas à s’acquitter d’une telle somme, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) indique qu’un pays doit en moyenne débourser la somme de 8 millions de dollars en frais de procédure.

 

En France, afin de calmer les oppositions et permettre la ratification du traité, le gouvernement a avancé la mise en place d’un « veto climatique ». Ce veto permettrait en théorie aux États de s’opposer au recours exercé par un investisseur en invoquant par exemple des motifs de santé publique ou de protection de l’environnement. Néanmoins, pour que le mécanisme soit effectif, il doit être validé par un « comité mixte » composé de représentants des deux parties au traité. Cela conduirait alors le Canada à approuver un mécanisme allant à l’encontre de ses intérêts économiques, ce qui est bien improbable et qui fait du « veto climatique » une mesure vouée à l’échec.

 

Enfin, si le Canada n’est déjà pas en accord avec les règlementations environnementales et sanitaires française et européenne, le risque s’accroît avec la probable élection d’Andrew Scheer le 21 octobre 2019, farouche opposant à l’accord de Paris, à la fonction de Premier ministre.

 

 

 

 

Kristiana Tollumi


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