Donald Trump, ce président plein de surprises, a encore frappé.
Sur la scène international, il répand des braises un peu partout : en Corée où il excite le « petit gros » avec des manoeuvres militaires à sa frontière, au Moyen-Orient où il insuffle une polarisation du monde musulman (Arabie saoudite contre Iran), à Jerusalem où il néglige les tentatives de conciliation…Sur son propre continent, entre menaces d’intervention militaire au Venezuela et les premiers prototypes du mur « anti-migrants ».
Et cette petite liste n’est même pas exhaustive.
Ah qu’il est loin le projet du retour à l’isolationnisme Américain qu’on entendait parfois entre deux insultes pendant la campagne présidentielle. Trump voulait réorienter les coûts de la politique étrangère interventionniste des Etats-Unis en développant une politique sociale mais l’idée a été abandonnée. A ce titre l’animateur de télévision Jimmy Kimmel a médiatisé la potentielle suppression du CHIP, un remboursement médical pour 9 millions d’enfants américains issus de famille intermédiaire (trop riche pour l’aide médical généralisée et trop pauvre pour se la payer).
Bref je ne pensais pas que Trump pourrait encore me surprendre. Et c’est là que… adieu la neutralité du web !
La neutralité du web ? Je vais expliquer ce concept de novice à novice.
Le juriste Américain Tim Wu inscrit en 2003 le terme de « network neutrality » dans la revue Journal of Telecommunications and High Technology Law. Selon la neutralité du web les flux d'informations ne peuvent être ni bloqués, ni dégradés, ni favorisés par les opérateurs de télécommunications.
Je reprendrais l’analogie d’Elisa Braun dans Le Figaro. Pour lire cet article (si vous le lisez sur internet), des paquets de données voyagent du centre de données où ils sont stockés jusqu’à votre écran par un réseau de câbles et de fibres. Le paquet de données est un camion, le réseau de câble une autoroute, le centre de données c’est Montpellier et votre écran Toulouse. Sur l’autoroute le camion paie Vinci pour accéder à l’infrastructure. Sur internet on paie l’opérateur, les Fournisseurs d’Accès Internet (FAI) que sont Free, SFR, Orange, Bouygues, etc.
Le principe de la neutralité c’est qu’une fois l’infrastructure louée, le FAI ne regarde ni le contenu ni la destination ni la nature de la donnée.
Ce jeudi 14 Décembre 2017, la FCC (Commission Fédérale des Communications) devrait abroger le principe de neutralité du web. C’est un enjeu majeur à plusieurs niveaux.
Pour l’utilisateur privé Américain ce serait des abonnements internet à la carte. Donc une programmation par les FAI des futurs sites que vous pourrez consulter ou non, plus ou moins vite.
En fait c’est l’apparition d’Internet à deux vitesses. Deux vitesses conditionnées par votre pouvoir d’achat. C’est par exemple Internet « sans vidéo » ou « sans jeu vidéo en ligne ».
C’est la connexion par l’argent : pour l’utilisateur mais également pour les plateformes qui évoluent sur internet. En effet en fonction du contrat liant l’entreprise qui publie en ligne et son FAI, elle pourra être reléguée sur des parties moins rapides du réseau.
Le calcul pour les géants du web est plutôt intéressant, c’est la suppression directe d’une concurrence saine.
Quand Youtube aura investi auprès des FAI Américaines, quid de Dailymotion ? Vimeo ? Flickr ? Qu’adviendra-t-il de Deezer si Spotify dispose d’un débit plus important ?
Reed Hastings, PDG de Netflix a précisé que la neutralité du Web n’était « plus vraiment notre priorité ». Il explique surtout que son entreprise est aujourd’hui suffisamment puissante pour négocier des contrats auprès des opérateurs. Il a d’ailleurs déjà commencé afin d’assurer la stabilité de sa plateforme.
Trump annonce finalement la fin de la démocratie qu’est internet : pour l’utilisateur d’internet dont les inégalités économiques seront rapportées sur le web mais aussi pour les entrepreneurs d’internet. Comment une Start-up du net pourrait-elle se développer entre le paiement d’un ticket d’entrée et la concurrence des géants déjà implantés ?
Trump décide donc de poser un robinet du flux de données et d’en donner la vanne aux Fournisseurs d’Accès Internet pour des motifs impérieux de profit.
« Ceux qui détiennent le marché actuel créent les conditions pour maintenir leur statuquo ».
Question liberté de la presse, bonjour la claque. Si on imagine que les gros médias pourront maintenir le robinet ouvert qu’en est-il de tous les médias indépendants, de toutes les start-up de la presse qui se développent sur internet pour éduquer et apporter de nouvelles représentations de la réalité ?
En Europe on est moins malheureux. La neutralité du web est garantie par la loi depuis 2016. Le principe n’est pas à la merci d’une décision administrative. Donc aucune discrimination possible des FAI quant aux contenus transmis sur le réseau. Evidemment comme pour tout en droit il y a des exceptions (attaque informatique, rupture de câble sous-marin, etc.) mais ça reste négligeable.
Le danger c’est plus les « zero rating » proposés par les opérateurs mobiles et en vertu desquels ils ne décomptent pas le trafic web d’une application alors que le forfait est limité. On se sent donc relativement à l’abri.
Et puis il y a Stéphane Richard, PDG d’Orange, le Lundi 11 Décembre 2017 au micro de BFM Business qui nous replonge dans l’angoisse : « Certains usages futurs de l’Internet – je pense à l’Internet des objets ou à la voiture autonome – vont nécessiter des Internet particuliers en termes de latence et de vitesse. Il faudra que nous soyons capables de proposer des Internet avec des fonctionnalités, des puissances et des qualités de services différentes. Il faut nous laisser faire ».
Les Etats-Unis ont donc réglé la question de la neutralité. Chez nous c’est plus un sujet d’inquiétude mais la remise en cause de ce principe semble lointaine.
Toutefois en cet instant ne peut-on pas s’interroger sur la neutralité des plateformes - les géants que sont Google ou Facebook - qui servent un nombre croissant de service en ligne ? Sur la neutralité de certains appareils comme les smartphones qui déterminent ce qui peut être fait ou non de sa connexion ?
En 2018 L’ARCEP (Autorité de Régulation des Communication Electroniques et des Postes) établira des recommandations à ce sujet.
Bastien Lafitte