Mais juste avant, je laisse la parole à Auriane Joudiou, membre de l’association, qui a eu la gentillesse de m’accompagner tout au long de ma présence sur les lieux, afin de nous parler un peu plus de cet événement en quelques mots.
« Nous avons créé cet événement pour faire découvrir et promouvoir l'entrepreneuriat aux étudiants. C’est une qualité que chacun peut développer et l'idée était vraiment de sensibiliser à l'entrepreneuriat les étudiants passionnés de spatial et de mettre en avant les travaux de l'Aerospace Valley et de l'ESA BIC par la même occasion. Entreprendre est une qualité que l'on retrouve dans tous types de profil. Mais créer une start-up demande tous types de compétences : business, marketing, etc... qui sont complémentaires à l’ingénierie spatiale, et c'est ça aussi l'entrepreneuriat : savoir bien s’entourer [comme c’est le cas pour Hugo Mercier et Quentin Soulet de Brugière, mais nous y reviendrons].
Enfin il faut noter que 6 groupes sont nés lors de ce Startup Weekend Space Edition et vont continuer leur mise sur leur marché grâce à l'aide du CNES et de l'ESA BIC. L'association ISAE-Supaero Entrepreneurs aimerait organiser une deuxième édition du Start-Up Week-End Space Edition l'année prochaine, l'idée étant de devenir un événement clé de l'innovation sur le long terme ».
Hugo Mercier - malheureusement absent ce jour là - Quentin Soulet de Brugière et leur entreprise Dreem n’ont presque aucun lien avec le domaine du spatial, mais un lien très étroit avec le monde du numérique. En effet, leur société étudie les stimuli du cerveau lors de notre sommeil à l’aide d’un bandeau connecté que l’on porte en dormant (et qui rentre de plain pied dans la « mode » des wearable tech comme les montres connectées), et ce afin d’analyser notre qualité de sommeil et tenter de l’améliorer. Pour se faire, des données sont recueillies, analysées et traitées par un ensemble de machines, de serveurs et de médecins hyper qualifiés. Le tout en ne portant qu’un simple bandeau sur la tête au moment d’aller se coucher. Alors bien sur, ce genre de produit est plus ou moins réservé à celles et ceux d’entre nous qui ont un sommeil difficile et non pas à ceux qui ont un sommeil de plomb.
Aujourd’hui les troubles du sommeil ne semblent pas inquiéter plus que ça l’ensemble de la population ; on a déjà assez de souci à se faire avec le sida, les vaccins obligatoires parce que le méchant Gouvernement veut nous empoisonner en nous soignant (à lire certains anti-vax convaincus) ou encore la vache folle, la grippe aviaire (qui était porcine juste avant) et tant d’autres. Après tout, si je ne dors pas bien, ce n’est pas très grave comparé au reste.
Penser de la sorte serait méconnaître l’étendu des troubles du sommeil - 35% des gens ont une mauvaise qualité de sommeil, 15% font de l’apnée du sommeil, 10% font des insomnies chroniques - et leurs conséquences à long terme, comme l’apparition de maladies mentales telles Parkinson. Et il faut savoir qu’aujourd’hui, si on souffre de troubles liés au sommeil, il faut se rendre dans un centre médicalisé dans l’étude du sommeil pour faire des examens poussés. C’est long, contraignant et ça coûte cher. Très cher.
C’est une des raisons qui motive l’équipe de Dreem à persévérer dans sa lancée, car si la volonté de nous aider à aller mieux est un but louable, aucune entreprise n’est à ce point altruiste et désintéressée. Il y a en effet un véritable marché à conquérir avec ce qu’ils appellent les Active Sleep Wearable (que l’on pourrait traduire par vêtement du sommeil paradoxal - phase importante du sommeil pendant laquelle les gens rêvent). Un de leurs axes de vente n’est pas tant de fournir leur bandeau connecté aux particuliers comme on vend une montre connectée à un sportif, mais de passer des partenariats avec des mutuelles, des assurances maladies etc... afin que leur produit soit pris en charge. Actuellement, Dreem est l’entreprise la mieux placée sur ce créneau car si elle n’est pas la seule à travailler sur l’étude du sommeil, elle est aujourd’hui la plus importante.
Mais pourquoi alors ne pas s’installer aux États-Unis où le système de santé serait plus propice au développement d’un tel marché ? Pour rappel, la Sécurité Sociale qui rembourse et prend en charge la majorité des frais médicaux comme chez nous en France n’existe pas là bas, où les mutuelles règnent en maîtres. D’autre part, ne serait-il pas plus avantageux de monter une telle entreprise autant empreinte de nouvelles technologies dans le creuset même de ces nouvelles technologies, à savoir la Silicon Valley ? Le sol américain semble en effet être le terrain de prédilection pour ce type de sociétés.
À cette question, Quentin Soulet de Brugière répond que ce n’est pas plus difficile de monter sa boite en France qu’aux États-Unis car il y a aujourd’hui beaucoup plus d’argent en Europe pour financer les startups qu’il y a 5 ans. L’Europe commence enfin à rivaliser avec les États-Unis en terme de financement, qu’il soit privé ou public, et les levées de fonds se font beaucoup plus facilement désormais. Il est même à souligner que les grosses boites américaines n’hésitent plus à investir chez nous des sommes toujours plus importantes ; gageons que cela continue dans l’avenir et que l’administration Trump ne vienne pas tout ruiner.
Par contre, un problème se pose selon Quentin. Au niveau culture de l’entreprise, les visions européennes et américaines sont diamétralement opposées : là où aux States on cherche à monter la plus grosses boite possible, en France on cherche plutôt à se spécialiser dans un domaine pointu - au hasard, l’étude du sommeil grâce à l’emploi de wearable tech - ou alors à se faire racheter le plus vite possible. Coïncidence bien faite ou business plan de génie, l’entreprise Dreem qui est spécialisée dans un domaine précis - à la française - mais qui cherche à devenir la plus grosse entreprise dans ce domaine - vision américaine - a un pied à Paris et un pied à San Francisco.
Cela peut paraître évident dit comme ça, mais une telle entreprise se doit d’avoir une part de ses bureaux à la Silicon Valley afin de bénéficier des nouvelles technologies et avancées réalisées sur place - tout en gardant des racines en France. Mais elle se doit aussi d’avoir des partenariats importants. On peut citer par exemple des partenariats avec l’ENS, l’Université de Strasbourg, Cambridge ou encore Stanford. Autant de noms prestigieux qui ne font qu’appuyer le sérieux de ces marchands de sable version 2.0
Et leur société fonctionne. Et plutôt bien même ! À peine sorti de leurs études, avec pour seuls bagages leur idée et un business plan à peaufiner, ils ont réussis à lever pas moins d'un million d’euros. Sans oublier leur prix du World Innovation Contest et le fait qu’ils aient levé plus de 22 millions d’euros en 2 ans et demi d’activité. Aujourd’hui, 70 personnes travaillent avec eux sur ce projet d’avenir, en France et aux États-Unis. Parmi elles, des ingénieurs bien sûr comme Hugo ou Quentin pour concevoir toute la partie électronique du bandeau - des capteurs à l’analyse des données en passant par la transmission de celles-ci - mais également des neuro-scientifiques afin de savoir quoi chercher, comment le chercher ou encore comment comprendre les données recueillies, ainsi que des mathématiciens et des médecins spécialisés dans le sommeil.
Par contre, si Dreem est actuellement leader sur leur marché de niche, il ne faut pas être naïf au point de penser qu’ils sont les seuls sur le coup. D’autres boîtes - américaines, coréennes et même européennes - se sont placées sur ce créneau ou comptent s’y mettre. Et ce n’est pas étonnant quand on voit l’intérêt porté à l’évolution des nouvelles technologies et leur usage direct sur les individus par des mastodontes tels que Facebook ou Elon Musk à travers sa nouvelle entreprise Neuralink.
Ces derniers travaillent en effet sur des technologies permettant de relier directement le cerveau à des machines. Vous voulez prendre des notes mais avez la flemme de taper sur cet outil archaïque qu’est un clavier d’ordinateur ? Vous souhaitez jouer à un jeu mais avez en horreur les manettes et tous leurs sticks ou boutons ? Pas de problème, reliez votre cerveau à votre ordinateur ou votre console à l’aide d’un casque et vous contrôlerez les machines par la pensée. Ou alors vous vous ferez hacker votre matière grise.
Avec cette course en avant aux nouvelles technologies et la volonté de certains de passer le plus vite possible dans l’ère du transhumanisme et des humains améliorés, les recherches sur le cerveau et le moyen d’y connecter toute sorte de chose fait rêver - ou cauchemarder - et il n’est pas étonnant que de plus en plus de sociétés s’intéressent à ce domaine ; que ce soit pour améliorer notre cerveau en jouant aux savants fous ou de façon beaucoup plus raisonnable pour améliorer notre sommeil.
Mais si les finalités sont bien différentes entre les uns et les autres, les technologies et outils nécessaires à ces finalités sont eux extrêmement proches. Bien que Dreem dispose à l’heure actuelle d’une vingtaine de brevets, ce n’est pas eux qui vont permettre de les protéger si demain l’ogre Facebook décide de leur voler leurs technologies. Ah, capitalisme quand tu nous tiens. C’est en sachant cela que les dirigeants de Dreem ont choisi un autre mode de défense dans ce monde de sauvages : sortir rapidement un produit efficace qui sera intrinsèquement meilleur que les autres et toujours en avance sur eux. Un peu comme Elon Musk qui a ouvert les brevets détenus par son entreprise Tesla (les meilleures voitures électriques au monde) car ça ne lui causera aucun préjudice vu que son entreprise a 10 ans d’avance sur ses concurrents. Innover vite et bien en somme.
Certains se posent peut être la question de savoir comment Dreem récolte les données qu’ils analysent, et s’interrogent sur ce qu’ils en font. Est-ce qu’ils les vendent à d’autres entreprises ? Est-ce que ces données sont bien sécurisées? Quentin Soulet de Brugière nous a assuré qu’il n’y avait aucune crainte à avoir. D’une part ses données sont anonymisées. D’autre part elles sont triées automatiquement de façon à ce que tout le monde ne puisse pas y avoir accès : quand des médecins y ont accès, ils n’ont par exemple pas accès à toutes les données.
Ces données personnelles particulières - car relatives à la santé - sont encore plus protégées par le droit européen et français que les autres données personnelles. Le fait que Dreem ait son siège social à Paris fait qu’il y a donc une certaine sécurité juridique quant à ses données et qu’ils ne peuvent pas en faire ce qu’ils veulent ; pas sûr qu’une entreprise concurrente américaine soit soumise à autant d’obligations légales. De plus, Dreem travail en collaboration avec énormément de médecins et l’ensemble de leurs travaux sont publiés et passent devant des comités d’éthiques. De plus, si l’entreprise d’Hugo Mercier et Quentin Soulet de Brugière ne vend pas ses données, des partenariats sont passés avec des laboratoires en Europe et aux États-Unis afin de prévenir les risques liés à ces données. Ils souhaitent à terme arriver à une parfaite traçabilité des données afin de savoir par exemple qui a eu accès à quoi (et ainsi vérifier qu’on ne fait pas n’importe quoi avec ces données).
Fun fact pour conclure : même si c’est encore au simple stade de projet, l’équipe de Dreem a discuté de leur projet avec la NASA pour par exemple surveiller le sommeil des astronautes en cas de vol jusqu’à Mars. C’est pour l’instant un projet bien trop long et bien trop compliqué, mais ils ne ferment pas cette porte et y reviendront peut être plus tard. Pour autant, ils ne comptent pas privilégier des collaborations B to B (business to business) dans le futur.
Nos petits frenchies sont désormais lancés dans la course aux technologies du cerveau et caracolent en tête devant des monstres de puissance aux ressources illimitées et autres concurrents outsiders qui n’ont rien à perdre. Qui de David ou Goliath gagnera cette course, seul l’avenir nous le dira.
Jonathan Peccini