Préambule : Rien n'est plus conforme à la tendance autophile de l'homme que de généraliser une chose qui a pour lui une importance toute spéciale. (Cosmos : revue encyclopédique hebdomadaire des progrès des sciences, 2e série, tome 3, 1866)
Chers touristes de votre propre vie,
Je ne peux vivre un jour de plus sans vous adresser cette lettre, ce SOS de détresse. S’il vous plait, je vous en supplie, je vous paie si vous voulez mais arrêtez, arrêtez de pourrir les réseaux sociaux de vos salades de quinoa, de vos cours de yoga, de vos duck face, de votre dernier shampoing acheté ou encore de votre chat.
Parce qu’il y en a marre d’assister à ce narcissisme désabusé, totalement affirmé ou par cet égo démesuré lorsque vous vous photographiez à chaque instant de la journée pour aussitôt le poster dans l’attente d’impressionner vos abonnés.
D’ailleurs qu’attendez-vous vraiment de nous face à vos photos ? Qu’on vous livre notre litre de bave ? Qu’on ait envie de mettre un terme à notre vie qui apparait, en comparaison, véritablement pourrie ? Qu’on tombe follement amoureux de vous ? Qu’on soit véritablement ravi que vous postiez une photo de vous petit déjeuner au lit ? Il faut que vous sachiez mais surtout que vous enregistriez le fait que l’intérêt de vos photos est à relativiser. Vous allez me répondre que, contrairement à ce que je vous écris, vos photos rencontrent un vif succès au vu du nombres d’abonnés. Evidement et le comble est là, les photos de vous comme de votre chat remportent énormément de cœurs, de pouces ou de smileys bouche bée. La logique de cela découle du fait qu’il s’agit essentiellement de personnes tout autant attirées que vous par la culture de l’image. Pour clarifier les choses, vous formez un vaste réseau d’égocentriques qui se regroupent à travers différentes plateformes appelées Instagram et Snapchat et vous vous entraidez pour proliférer, nous tuer doucement à coup posts sans grand intérêt. Avec un sens de la mesure qui a complétement chaviré et qui s’entretient par un nombre grandissant d’utilisateurs satisfaits, faut-il s’attendre à ce que l’ensemble des réseaux se retrouvent totalement colonisés par une horde d’instagrameurs photoshoppés ? (Je tourne de l’œil).
Avec plus de 800 millions de photos chaque jour rien que sur Instagram, l’application carbure et nous on sature. Au vu de vos clichés, on comprend bien que les mots humilité et modestie ne vous sont pas familiers. Au contraire, vos selfies diffusent l’idée que le monde qui vous entoure ne trouve pas grâce à vos yeux parce que rien n’est plus beau que soi-même. Mais à force d’être omnibulé par votre propre personne vous courrez à votre perte (il est évident que vous ni avez pas pensé mais je suis là pour vous informer). Dans cette course au selfie parfait, dans l’attente de dépasser la barre des 100.000 abonnés, vous enchainez les posts. L’appétit augmente et les chevilles enflent. Il en faut plus, toujours plus, quitte à se rendre ridicule. Il faut faire le buzz, faire du bruit, qu’on en fasse un sujet d’actualité sur BFM TV, que ca devienne un événement historique. Le temps se fait long et votre tête ne vous reviendra toujours pas parce que l’Homme est un éternel insatisfait. Vous comprendrez alors que votre désir le plus profond ne pourra jamais se réaliser. Désœuvré, la vie n’aura plus aucun goût. Vous vous laisserez aller en apparaissant pas du tout frais sur vos photos, vous perdrez des abonnés mais gagnerez quelques kilos, vous ne dormirez plus, les cernes arriveront, votre filtre anticernes ne fonctionnera plus, le monde vous découvrira alors tel que vous êtes vraiment, c’est-à-dire pas si terrible que ca. Après une véritable descente aux enfers, vous déciderez de vous reprendre, de faire une place dans votre cœur au monde qui vous entoure. Hélas il sera trop tard parce que pendant les 10 ans passés à vous photographiez dans votre salle de bain, le monde aura changé, évolué trop vite pour que vous puissiez vous adapter.
Outre un message d’appel à une redescente sur terre pour certains accros des réseaux, cette lettre a aussi pour dessein de vous faire assumez votre mal être profond.
Parce qu’entre nous on peut se le dire, la confiance en vous qui transparait dans vos photos c’est du fake ! Au fond vous êtes au plus mal. Vos sois disant « amis » sont des figurants, vous avez investi dans un fond vert pour reproduire les paysages du bout du monde, votre chat est moche, votre bouffe dégueulasse, votre voiture est volée et vous ne rentrez certainement pas dans ce maillot de bain taille 36. Passé le journal intime, la vitrine d’une vie rêvée partagée à toute la planète, l’instagrameur se trouve être une âme fragile qui a soif de reconnaissance. Mal dans sa peau, il veut avoir l’air cool, hyper socialisé. Pour cela, il veut faire valider son existence à travers des photos qui nécessitent retouches et applications de filtres parce que la réalité est bien plus fade que l’effet polaroïd. La crainte d’être laid appelée dysmorphophobie vous empêche d’avancer. Dans votre esprit, beauté rime avec popularité alors il faut être beau ou du moins en avoir l’air.
Persuadée que vous entendrez raison à la suite de la lecture de cette lettre, je vous souhaite de profiter pleinement de votre vie et de ne pas laisser le monde qui vous entoure de côté.
Dans l’attente d’un retour de votre part, je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées.
Maud Estie,
Présidente du comité anti- miroir