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Alors que les techniques de procréation médicalement assistée sont de plus en plus acceptées par les citoyens, la gestation pour autrui reste l’une des pratiques les plus controversées au sein de l’Europe. En effet, bien que Robert Badinter la qualifie « simple adoption par anticipation », seuls dix pays l’autorise, parmi lesquels les Pays-Bas. Nous nous intéresserons particulièrement à la gestation pour autrui dans ce pays. Cet article met en lumière une autre façon de concevoir la GPA, et n’insinue en aucun cas qu’une opinion est meilleure qu’une autre.
Les Pays-Bas ont considéré qu’autoriser les couples de femmes à avoir recours aux techniques d’aide à la procréation constituait une discrimination par rapport aux couples d’hommes. Ils ont donc décidé de leur ouvrir la gestation pour autrui, celle-ci étant déjà autorisée aux couples hétérosexuels depuis plusieurs années.
L’autorisation d’une gestation pour autrui altruiste
Cette pratique est encadrée par le Code pénal néerlandais. Ainsi, seule la gestation pour autrui altruiste est autorisée, c’est-à-dire lorsque la mère porteuse ne reçoit aucune compensation financière autre que celle liée aux frais de sa grossesse. La gestation à des fins commerciales est strictement interdite, le Code pénal s’opposant à ce que cette technique ne devienne un marché et contribue à l’exploitation du corps des femmes.
Ainsi, les parents d’intention doivent couvrir tous les coûts engagés par la mère porteuse lors de la grossesse. Ceux-ci ont été fixés à 500€ par mois par le gouvernement. Cette compensation doit être payée tous les mois et non à la fin de la grossesse afin d’éviter que cet argent symbolise une récompense en échange de la remise de l’enfant. Enfin, donner ou recevoir des sommes d’argent qui n’ont pas été approuvées par la loi est constitutif d’une sanction pénale.
Le gouvernement a estimé que le profit monétaire ne devrait pas être la motivation principale de la mère porteuse. Cela est important pour la dignité de l’enfant. En effet, une gestation pour autrui commerciale réduirait l’enfant à naitre au statut de marchandise. De plus, financer une grossesse pourrait entrainer des pressions sur la mère porteuse de la part de son entourage.
Par conséquent, le but premier de la gestation pour autrui altruiste est d’aider un couple à devenir parents.
Une gestation pour autrui non rémunérée afin d’éviter l’exploitation du corps de la femme
Le fait d’offrir de l’argent à une femme pour porter un enfant peut être considéré comme une forme d’exploitation. En interdisant la gestation pour autrui à des fins commerciales, il n’y a plus de risque d’une « vente » de l’enfant. En effet, l’obligation de gratuité de la gestation pour autrui altruiste enlève la possibilité de toutes formes de marchandisation.
Il existe également d’autres objections morales concernant cette pratique. Par exemple, le fait qu’une femme puisse utiliser son corps pour gagner de l’argent est incohérent et contradictoire avec la dignité humaine. Toutefois, on peut se demander en quoi consiste le respect de la dignité humaine. Ne s’agirait-il pas justement de laisser chaque personne disposer librement de son corps ? Dans ce cas, l’interdiction de la gestation pour autrui peut être vue comme une restriction de la liberté individuelle.
Selon Robert Badinter, le droit à la vie consacré à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme parait impliquer le droit de tout être humain de donner la vie ainsi que la liberté de choisir les moyens par lesquels il pourra donner la vie. De même, le droit au respect de la vie privée, consacré à l’article 8 de la Convention, ne garantit-il pas l’intérêt de chaque être humain de prendre certaines décisions essentielles pour lui-même ?
Pour Israël Nisand, gynécologue obstétricien, « Une gestation pour autrui entre personnes adultes, consentantes et non vulnérables, n’a rien d’immoral. Si elle était encadrée, on éviterait bien des dérives. D’autant que la générosité de femme à femme existe. »
Elizabeth Badinter considère que « dans la gestation pour autrui éthique, tout repose sur le désir de celle qui souhaite porter l’enfant ». Ainsi, si la mère porteuse a envie d’aider un couple en faisant « don » de son ventre pendant neuf mois, est-ce à l’État de lui interdire ? Si le choix de la gestatrice est libre et éclairé, on ne peut alors pas parler de commercialisation du corps.
Enfin, la philosophe Mary Warnock estime que porter l’enfant de quelqu’un autre peut être vu comme un acte délibéré et réfléchi de générosité d’une femme envers une autre. Le fait qu’il puisse y avoir des risques liés à la grossesse ne fait que rendre l’acte encore plus généreux. On peut finalement se demander si ce n’est pas l’interdiction de cette pratique qui serait à l’origine de la création d’un marché clandestin et donc d’une marchandisation.
Pour conclure, je citerai Robert Badinter, pour qui « laisser à tout être humain la liberté d’user des techniques artificielles de procréation, c’est en somme élargir les possibilités pour la femme d’engendrer. Plus encore, c’est faire apparaître que si, pour procréer, l’homme a besoin de la femme, la femme pourrait, elle, ne plus avoir besoin de l’homme. Comme il n’est pas aisé de déplorer publiquement cette limitation même virtuelle du pouvoir de l’homme et cette liberté accrue de la femme, les critiques avouées avancent plutôt un autre thème, la défense de l’intérêt de l’enfant. Et il y a sans doute quelque paradoxe à invoquer l’intérêt de l’enfant pour lui interdire de naître. »
Oriane Boussard Grevsbo