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Table Ronde - Le CETA : Un accord controversé ? La place du citoyen dans les accords commerciaux internationaux

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Le 15 février 2017, le Parlement Européen adoptait, à 408 voix contre 254, l'Accord Economique Commercial Global (AECG) ou Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA).

Cet accord dit de nouvelle génération (car disposant à la fois d’un volet commercial et d’un volet national), censé favoriser les échanges entre la zone européenne et le Canada, avait fait l'objet de nombreuses contestations politiques et juridiques, que ce soit par le veto du Parlement wallon, en octobre 2016, ou par la saisine du Conseil constitutionnel français plus récemment. Dans ce contexte, les associations Open Diplomacy, l’association des étudiants du M2 « Juriste Européen » et les Jeunes Européens Toulouse organisaient une table ronde en présence d'intervenants de premier ordre. Une occasion de faire le tri entre les contestations partisanes et les incertitudes réelles sur un accord d'un nouveau type. 

Le 22 février étaient ainsi réunis, Amphi Boyer, l'eurodéputée Virginie Roziere, Jacques Vonthron, ancien haut-fonctionnaire à la Commission Européenne et actuel Président de la maison de l'Europe de Toulouse, le docteur N’dior, maître de conférence en droit public à l'UT Capitole et Messieurs Figuer et Guerin, membres du collectif de citoyens indépendants "Collectif pour un commerce sain et démocratique" afin de débattre de l'accord conclu entre le Canada et l'Union européenne, sujet déjà promis à polémiques. Dans cette optique, les discussions de cette table ronde étaient organisées en deux temps : d'une part, la place de la démocratie et de la transparence dans ce type d'accord, de leurs négociations à leurs ratifications. Et d'autre part, sur divers aspects matériels de l'AECG tel la coexistence du libre-échange et des valeurs non marchandes ou même du controversé recours à l'arbitrage aux fins de règlement des différends. Ce choix d’organisation correspond particulièrement à la nature hybride de l'accord, entre commercial et légal (voir régalien). Ce traité éminemment complexe fait l'objet de nombreuses critiques et interrogations : certaines peuvent alors paraître relatives puisque inhérentes au processus décisionnel européen quand d'autres, propres aux effets de l'AECG, semblent plus justifiées.

 

 

Démocratie et transparence : des problématiques génériques de l'Union Européenne

 

Il peut effectivement paraître étonnant qu'un accord en cours de négociation depuis l’année 2004, ne soit traité par la presse que depuis quelques mois. Est-ce révélateur d'une carence en transparence dans le mécanisme législatif de l'Union Européenne ? Si on analyse cette question sous l'angle de la théorie ou de la pratique, la réponse peut varier.

 

Théoriquement en effet, la Commission européenne ne peut pas entrer en voie de négociation sans un mandat préalable du Conseil de l'Union (Articles 207, 3° et 218, 2° du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne). De la même manière, le Parlement européen dispose d'un droit de regard sur ces travaux, renforcé notamment depuis le Règlement (UE) n°182-2011 du 1er mars 2011 (Article 291 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne). Ainsi, les institutions de l'Union tendent à éviter toute forme d'opacité entre elles. C'est ce qui pousse Jacques Vonthron, ancien haut-fonctionnaire de la Commission, à considérer que jamais une institution si complexe n'a autant fait d'efforts de transparence. Il souligne également que plusieurs médias, à l'instar du site internet de la Direction Générale Commerce (http://ec.europa.eu/trade/), relayent quotidiennement l'ensemble des travaux de la Commission européenne dans les domaines économiques. Travaux donc, théoriquement, accessibles à tous.

 

Pourtant, dans la pratique, ces mécanismes n'ont pas permis d'accélérer l'émergence de la question de l'opportunité de l’AECG en France. A contrario, il s'agirait d'une exception française. Il existerait alors une vraie hétérogénéité selon le pays quand il s'agit de l'intérêt porté sur les questions européennes. Ainsi et comme le rappelle Bertrand Guerin à l'occasion de ces échanges, la prise de conscience des populations est à géométrie variable : en Allemagne notamment, une manifestation réalisée en 2016 à Berlin a réuni plus de 200 000 personnes pour contester cet accord. Pour lui, la question de la transparence au sein de l'Union Européenne transcende l'accord qu'est le CETA et touche, plus généralement, l'ensemble des travaux bruxellois.

 

En France, la question de l’AECG émerge concomitamment à la fin des négociations – infructueuses - sur le TAFTA (Transatlantic Free Trade Area). Mais ce n’est finalement qu'à l'occasion du veto du Parlement wallon en octobre 2016, que les journalistes français ne commenceront réellement à s'intéresser à l'AECG en lui-même. Pourtant L'eurodéputé Virginie Roziere ne croit pas en une instrumentalisation des médias. Il s'agirait plus d'un désintérêt de la société civile française dans les questions européennes. Elle souligne une responsabilité partagée, par le public d'abord en ce qu'il ne manifeste aucune demande sur ces sujets d'actualité. Mais également des pouvoirs publics nationaux et européens qui ne feraient pas d'efforts de vulgarisation de ces questions européennes pourtant plus que complexes. Situation adéquate afin que le serpent se morde la queue encore longtemps.

 

Enfin, les intervenants relèvent tous que l'AECG, lui-même, par sa nature de négociation commerciale, impose une relative opacité. Si le Parlement et le Conseil valide le principe même des négociations, leur contenu ne peut s'étaler sur la place publique. L'idée même de tractations implique une certaine confidentialité. En d'autres termes, les États et les multinationales assis à la table des négociations ne sont pas désireux à ce que le déroulement des pourparlers fassent l'objet d'une médiatisation constante : le but étant que chaque protagoniste garde ses atouts secrets le plus longtemps possible. François Figuier, membre du collectif de citoyens indépendants Collectifs pour un commerce sain et démocratique, souligne que cette volonté de confidentialité est accentuée par le poids des multinationales qui jouent un rôle moteur dans ces accords. Pour lui, c'est ici que la société civile a un intérêt à agir : en contrebalançant le poids de ces grandes entreprises présentes à la table des négociations.

 

Harmonisation et judiciarisation : les incertitudes spécifiques à l'AECG

 

C’est évidemment dans son contenu que l’AECG livre toute sa philosophie : il s’agit alors d’éliminer les obstacles inutiles au commerce entre les zones canadienne et européenne afin d’optimiser les profits que réaliseront les entreprises qui traverseront l’Atlantique. Evidemment, cela passe par la diminution voire la suppression d’un maximum de barrières douanières mais également non-douanières, c’est-à-dire les obstacles législatifs. On va alors chercher à tendre vers une harmonisation des normes en vue d’un véritable marché commun comme le qualifie Virginie Roziere.

 

À cette fin, l’accord met en place différents organes notamment un forum dont le rôle sera une négociation progressive et continue des différentes législations des États (Article 21.6 de l’accord). Or la question pose de nombreuses problématiques. Sociales d’une part mais surtout environnementales (et sanitaires) d’autre part avec la question des hormones de croissances, des organismes génétiquement modifiés ainsi que l’exploitation des gaz de schiste qui présente beaucoup d’intérêt au Canada. Ainsi de nombreuses associations dont les membres du Collectif pour un commerce sain et démocratique présents lors des débats craignent une possible dérèglementation et une perte des acquis dégagés en matière de commerce et d'environnement par l’Union Européenne comme par exemple la directive 2009/33 (PE) dite Clean Full du 23 avril 2009. Ces questions, encore en suspens, inquiètent à raison malgré la présence au sein de l’AECG de disposition anti-dumping comme on en trouve notamment au sein de l’Organisation mondiale du commerce dont s’inspire grandement la rédaction du CETA. Se pose pourtant la question de l’opportunité d’un accord entre une zone commerciale de 30 millions d’habitants contre 500 en Europe ? Ainsi, on se souviendra de l’impact de l’Accord de Libre Echange Nord-Américain (ALENA) dont on prévoyait un bénéfice immédiat redistribué de 20 millions d’euros alors qu’en réalité, cela a été une perte sèche de 1 millions d'euros.

 

Enfin, restent les dispositions les plus controversées de l’accord : la mise en place d’un tribunal arbitral afin de règlementer des différends qui viendraient de ces échanges (Chapitre 29 de l’AECG). C’est en effet cet aspect du texte qui a valu la saisine du Conseil Constitutionnel par les députés en France (Affaire 2017-749, DC) mais également la saisine de la Cour de Justice de l’Union Européenne par la Wallonie. Comme l’explique le Professeur en droit public de l’UT Capitole Valère N’Dior, ce tribunal arbitral sera composé de quinze membres (désignés par groupe de cinq par l’Union Européenne, le Canada et divers États tiers). Une entreprise étrangère pourra alors saisir cet organe si elle estime que le traité a été violé, dès lors que cela ne porte pas sur le bénéfice qu’elle entendait en retirer. Les principales critiques adressées à l’égard de ce dispositif est l’inégalité qu’il créerait (puisque si une entreprise peut attaquer un État, l’inverse demeure impossible) et son opportunité (ce type de conflit n’aurait-il pu rentrer dans les compétences des juridictions nationales existantes ?).

 

Pour conclure, les échanges réalisés dans le cadre de cette table ronde furent plus que pertinents : ils ont permis de distinguer ce qui relève de la forme et ce qui relève du fond. Ces premières questions proviennent, plus que de l’AECG, mais bien de la perfectibilité des modes de prises de décision au sein de l’Union Européenne elle-même. Les secondes problématiques, relatives au contenu du texte adopté,  sont plus de nature économique que juridique : elles témoignent d’une volonté d’exalter le libre-échange au prix de sacrifices législatifs contestables. Ainsi, si nul ne sait réellement si le CETA portera ces fruits, il est certain que cet accord reviendra sur le devant de la scène, au moins le temps que les 38 Parlements nationaux européens votent, ou pas, sa ratification.  
 


Thomas Bugada

 


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